Qui ne connaît pas la BD Aya de Yopougon de Marguerite Abouet, traduite dans treize pays ? Ce best-seller a été adapté en long métrage d'animation et Marguerite Abouet co-signe la réalisation avec Clément Oubrerie. Truculence et franc parler: à Yop'City on rit, on se chamaille, on pleure et on résout ses chicanes en famille et entre amis. Entre deux rires, Marguerite Abouet partage ses réactions après le film et elle nous confie ses projets: sa BD Bienvenue en film d'animation et un livre intitulé, Le Commissaire Kouamé. |
Vous avez adapté en film, votre BD, Aya de Vopougon avec Clément Oubrerie, l'illustrateur designer des personnages aux manettes de l'animation. A-t-il réalisé les scènes dans l'ordre?
Nous avons pris les deux premiers tomes que nous avons adaptés. Je les ai scénarisés, réécrits. J'ai rajouté des parties, j'en ai enlevé d'autres afin que ça ressemble à un long-métrage.
Vous avez élaboré ce film au fur et à mesure. Quelle a été votre réaction en voyant le film terminé?
J'ai eu beaucoup d'émotion! La fin m'a replongée dans mon parcours: ce pays auquel j'ai été arrachée malgré moi assez tôt, pour aller étudier en France, tout est remonté à la surface. On dit en Afrique que quand un bébé est dans votre ventre, il vous appartient et que quand il sort, il appartient à tout le monde. J'ai commencé Aya à deux mains, il y a quelques années, ça s'est poursuivi à quatre mains avec Clément Oubrerie et aujourd'hui cela se termine à deux cents mains. Cent personnes ont travaillé sur ce film! Aujourd'hui je me dis: « - Mon bébé a grandi, Aya va faire sa vie, elle a tourné, c'est devenu une grande personne. » C'est ce sentiment que j'ai eu quand j'ai vu le film. Cela a été le sentiment d'une maman qui voit son parcours jusqu'à ce bébé qui sort.
J'avais lu les cinq tomes et arrivée à la fin du film, j'avais envie que l'histoire continue. J'ai eu la sensation d'un morceau de vie. Pensez-vous faire une suite avec les tomes III et IV?
Je me suis arrêtée au tome VI mais j'aurais pu continuer. Ce sont des tranches de vie, la vie continue. Si je dois arrêter cette série, je le ferai et on n'en parlera plus. Mais Aya ne peut pas avoir une fin, elle va continuer à vivre. On a cette impression car les gens connaissent la série et qu'il y a six tomes. Ce sera fonction de la réaction du public. Si ça marche bien on pourrait envisager éventuellement une suite.
Dans le 4e tome, un événement clé a lieu avec Aya et son professeur de médecine qui abuse de son autorité professorale pour tenter d'assouvir ses instincts. Et Aya met à jour ses agissements. Cette intrigue est passionnante...
Elle se fait un peu harceler par son prof à partir du quatrième tome. J'aimerais continuer le film, mais cela ne dépend plus de moi. Ca dépend de beaucoup de personnes car c'est une grosse machine. Des gens ont beaucoup investi et veulent d'abord récupérer leur mise. Peut-être y aura-t-il une suite...
II y a deux façons d'adapter un film à partir d'une BD, soit au fil de l'histoire comme pour Aya, soit en privilégiant un tome de la série, comme l'a fait Joann Sfarr pour Le Chat du rabbin...
J'aurais pu faire de même, mais Aya est différente. Il y a une galerie de personnages autour d'elle. Le tome I sert de scène d'exposition. En compactant l'histoire, cela aurait été plus compliqué à comprendre. Ce qui est bien, c'est que l'on peut lire chaque tome séparément ou tous à la file. Aya vit par procuration, elle a une vie sans surprise.., pour moi le héros est la ville de Yopougon! J'ai voulu mettre en scène le quartier où j'ai grandi.
Les pubs des années 70 sont très savoureuses. Sortes de gimmicks, elles donnent le ton ou film en le rythmant en arrière-plan...
C'est un clin d'oeil aux années 70 où tout était permis, il y avait une telle liberté dans ces années-là
Il n'y avait pas le SIDA...
Déjà. Mais aujourd'hui les pubs sont plus censurées. Je ne pouvais pas faire le film sans y insérer toutes ces pubs qui ont bercé mon enfance et qui reflètent l'époque. Elles donnent un cachet. Ça donne le ton, le mode de vie...
L'effet comique réside surtout dans le parler savoureux et le comique de situation, une sorte de comédie de boulevard à l'africaine. Les personnages sont expressifs et Aya est plus mesurée, sage, pratique et réaliste...
Bien sûr! ça se passe en Afrique mais c'est assez proche car les problèmes y sont universels. Ce langage est le nouchi, c'est l'argot ivoirien ou le français africanisé avec humour. Le gâte gâte est un jeu de joute verbale: la palabre. Dans Aya on est loin des clichés véhiculés sur la vie africaine dans les albums à propos du SIDA, de la pauvreté, de l'écologie... Pour moi, il est normal qu'il y ait ce ton, ces joutes verbales qui sont si présentes dans ce pays. C'est ainsi en Côte d'ivoire. Je parle d'une Afrique moderne. Je ne voulais pas être pédagogique... Quand je vais à Abdjan, il y a une joie de vivre qui est là. C'est ce que je voulais mettre dans le film !
Un long-métrage est un travail monumental. Qu'est-ce que vous avez appris en travaillant sur ce film?
C'est magique. J'apprends, tout le temps. Je n'étais pas auteure de BD, je le suis devenue. Je n'étais pas réalisatrice scénariste, et je le suis, car ce que j'aime, c'est travailler avec des gens compétents qui peuvent m'apporter quelque chose, et j'apprends! Mon rôle a été le travail des comédiens. Je suis très fière d'avoir travaillé avec des talents africains de différents horizons sur ce film dont on n'entend pas assez parler.
Est-ce que ça vous donne l'envie d'écrire d'autres scénarios?
Oui! Car j'ai scénarisé mon autre bande dessinée « Bienvenue». Je l'adapte en « live » et j'ai un autre scénario aussi, car ce que j'aime, c'est raconter des histoires. Mais les supports peuvent être complètement différents. Ça peut être un support papier ou bien un film. C'est une autre expérience.
Alors pour quand sera le film « Akissi, attaque de chat »? Akissi c'est un peu vous, non?
Le tome IV est sorti. Ensuite il y a des projets télévisés, mais rien n'est sûr encore.
Vous vous occupez d'une assodation qui crée des bibliothèques en Afrique...
Oui, on a créé une association qui s'appelle "Des Livres pour Tous". Le but est d'ouvrir des bibliothèques en Afrique, comme celles qu'on a ouvertes à Abidjan et à Dakar.
Et quels sont vos autres projets?
Un long-métrage avec Bienvenue. Bienvenue est un film choral. Elle a des galères d'étudiante. Elle me ressemble plus! Bienvenue a une vie pas facile, donc elle n'a pas besoin des autres. Ce sont les histoires que l'on m'a racontées. Le tome Ill sortira en 2014. Et j'écris un autre livre, Le commissaire Kouamé. Rires.
Propos recueillis
par Pascale Athuil
- Film d'animation Aya de Yopougnon de Marguerite Abouet et Clément Oubrerie avec les voix de Aissa Maïga, Jacky Ido...
- BD Aya de Yopougon, tome I à VI, de Marguerite Abouet chez Gallimard Collection Bayou
- Akissi Attaque de chat, tomes I à IV de Marguerite Abouet chez Gallimard jeunesse
- Bienvenue, tome I et II, de Marguerite Abouet
chez Gallimard Collection Bayou