Née à Abidjan en 1971, Marguerite Abouet arrive en région parisienne en 1983. D'abord assistante juridique, elle se consacre ensuite à l'écriture et publie sa première bande dessinée «Aya de Yopougon», en 2005. La série est plébiscitée par le public et par la critique avec le Prix du festival d'Angoulême 2006. En 2010, elle débute une série jeunesse, Akissi, et publie le premier volume de «Bienvenue», avec Singeon. Marguerite Abouet réalise aussi avec Clément Oubrerie le film «Aya de Yopougon» en 2013. En parallèle, elle met sur pied des bibliothèques pour la jeunesse en Côte d'Ivoire et au Sénégal et s'investit dans l'association Handicap International. Marguerite Abouet nous confie qu'Akissi, c'est elle, en nous contant quelques souvenirs pimentés. |
Cette BD est présentée sous un nouveau format comprenant les trois premiers tomes, «Attaque de Chat», «Super héros en plâtre», «Vacances dangereuses». Pourquoi les avoir regroupés ainsi?
C'est certainement pour attirer un nouveau public, car beaucoup de livres pour enfants sont sous ce format-là comme «Mortèle Adèle», puis d'autres personnes n'aiment pas le format BD classique. On touche ainsi d'autres lecteurs. Avec les trois premiers tomes réunis en un, l'objet est plus accessible et le livre est beau.
D'où est partie Akissi?
Akissi a été mon premier projet avant Aya (NDRL: «Aya de Yopougon», best seller adapté en film). Je suis partie de mes souvenirs d'enfance, à propos de toutes les bêtises que j'ai pu faire. Aya n'était pas moi, elle est trop parfaite. Moi je suis plutôt cette petite Akissi. Quand j'étais à Yopougon, enfant, mes plus belles histoires étaient celles que me contait mon grand-père maternel autour du feu lors de nos vacances au village. Mon grand-père m'a vraiment appris à regarder et à écouter tout ce qui se passait autour de moi. J'étais assez turbulente, petite, et pendant des heures, il m'emmenait en forêt, il me disait d'observer les feuilles, le bruit du vent, une petite rivière qui coulait. Je trouvais cela très ennuyeux mais plus tard, cela m'a été précieux. Quand je suis arrivée en France, j'ai voulu continuer à raconter mes souvenirs d'Afrique, j'avais l'impression que j'allais les oublier. J'avais été arrachée malgré moi à ma terre et j'avais besoin de dire: «Voilà comment c'était chez moi, voilà comment on joue à Yopougon!». Et petit à petit j'ai eu besoin de raconter à mes amis têtes blondes, en France, que je chassais le lion dans la forêt avec mon grand-père, que je m'étais fait mordre par un serpent je montrais ma vraie morsure de serpent. Et comme je jouais très bien au foot, j'étais un peu la star de la récré. Puis j'ai continué à raconter mes histoires aux enfants que je gardais pour me faire un peu d'argent de poche. Mon grand-père m'a toujours dit que l'aventure se trouvait dans notre maison, dans la rue, chez notre voisin, autour d'eux. Nous, nous avions la chance d'avoir un centre de jeu en plein air dans notre quartier. Pour moi, c'était ce monde-là qui m'entourait, et chaque personne était un aventurier. Akissi est une aventurière. Tous mes personnages sont des aventuriers urbains qui essaient de vivre avec le monde qui les entoure. On peut partir très, très loin en quête d'évasion, de sensation et de projet. Être un aventurier urbain demande énormément de courage, c'est déjà l'art de vivre ensemble. Tisser des liens est un combat quotidien. Akissi combat.
... Pour s'affirmer, pour ne pas s'ennuyer, pour ne pas être à la traîne derrière son grand frère et rester dans son coin...
Même l'école est une aventure. Éviter que le maître ne vous donne des coups était une aventure. Les enfants africains vivent beaucoup hors de chez eux, ils ne se mêlent pas des problèmes des adultes. II y a vraiment un monde entre enfants et adultes, et les petits ne sont pas perturbés par toutes les histoires de «grands». Quand je suis arrivée en France, j'ai été très choquée par cette promiscuité entre enfants et adultes. Tout se sait et cela fait des histoires compliquées. Cet espace là m'a beaucoup manqué, ne pas pouvoir ouvrir la porte et aller chez le voisin.
C'est spécifique à toutes les grandes villes en France. Ce n'est pas ainsi dans les villages ou dans les zones pavillonnaires. On se méfie davantage des rencontres que les enfants peuvent faire aujourd'hui...
C'est vrai. Ce n'était pas ainsi en 83 ou 84. En sortant de l'école, nous pouvions jouer en bas de chez nous. Aujourd'hui ce n'est plus possible, même pour aller à la boulangerie, tandis que nous, nous allions au marché ramasser des légumes pour faire des plats! Nous pouvions partir toute la journée et rentrer quand nous avions faim ou quand nous avions un bobo et les voisins nous surveillaient. Des tontons ou des tatas passaient nous surveiller et nous gronder si nous avions fait une bêtise.
Vous racontiez toutes ces aventures à vos petits amis et au lieu d'être la nouvelle, vous faisiez sensation dans votre lycée parisien...
J'avais beaucoup de succès et n'avais pas ma langue dans la poche. Au collège, en France, je me suis fait accepter. J'étais arrivée avec mon accent, mes cheveux et ma tête ... mais j'étais une des meilleures en dictée. Mes parents me manquaient énormément et j'avais besoin de me faire des amis.
Où en est la série d'animation avec Akissi?
C'est en pourparlers. C'est une question de standard pour les héroïnes. Mais qui peut être héroïne d'Akissi hormis Akissi?
Et vos projets de bibliothèques?
Une deuxième a été ouverte à Abidjan dans un autre quartier. Et nous avons aidé deux bibliothèques à Dakar, mais elles ne font pas vraiment les activités liées à l'association. Dans nos bibliothèques, il y a beaucoup d'animation avec les enfants mais pas à Dakar.
En parallèle vous avez fait un film sur les enfants handicapés et l'école en Afrique...
Sur les enfants handicapés, il n'y en a que 5 % qui sont scolarisés. Les autres aident, comme ils peuvent, à vendre ou à faire quelque chose; et quand ils sont autistes, ils sont délaissés. Handicap International avait lancé un concours de scénario en Afrique sur le thème: «J'ai 6 ans, je suis handicapé(e) et je vais à l'école. Ça vous étonne?» Quand on parle des handicaps, il y a un vrai problème. Tous les scénarios étaient larmoyants et il était impossible de filmer quelque chose comme ça! C'était à l'encontre du thème, donc pas de scénariste gagnant. Ensuite, un scénariste de chaque pays a créé un scénario en groupe sous ma houlette. Avec un enfant qui va déjà à l'école, pour changer le regard des gens; cela passe sur Youtube et les réseaux sociaux. L'héroïne de ce film en animation est une petite fille, assez chipie. J'ai présenté Akissi à des enfants adolescents autistes et ça s'est très, très bien passé. J'ai débuté en annonçant: «Voila, Akissi c'est moi!» Ils m'ont tous posé des questions et ont voulu faire une photo avec moi, alors qu'on ne peut pas les toucher. Ça m'a beaucoup minée de les voir avec ce handicap. L'Europe du Nord est bien plus en avance que nous pour intégrer les handicapés dans la vie quotidienne !
Propos recueillis
par Marguerite Abouet
Dessin animé Handicap International:
J'ai 6 ans, je suis handicapé(e) et je vais à l'école.
https://www.youtube.com/watch?v=WOHqvwAX20s
Bande dessinée. Akissi. Histoires pimentées. Paris: Gallimard, 2014.