Article AMINA


      Interview de Dominique Aguessy
      par Fatoumata Sidibé
      publiée dans Amina en février 2008.

      Dominique Aguessy, écrivaine
      "Il ne faut pas intérioriser les images négatives et croire que la misère est un horizon obligatoire"

      Dominique Aguessy démarre sa carrière littéraire après une carrière professionnelle bien remplie en tant que chercheure en sociologie et consultante. Depuis 1993, elle consacre son temps à l'écriture et à ses multiples engagements associatifs. Son dernier recueil de poèmes "Comme un souffle fragile" porte le droit à l'espérance.


      'interviewed' Pourriez-vous revenir sur votre parcours professionnel ?

      Licenciée en lettres de l'université de Bordeaux, titulaire d'une maîtrise en sociologie de l'université de Dakar et diplômée d'études supérieures en management du Templeton Collège à Oxford, j'ai été responsable syndicale au Sénégal avant de m'installer en Belgique en 1973. J'y ai occupé, de 1973 à 1985, trois mandats électifs de quatre ans comme secrétaire générale adjointe de la Confédération mondiale du travail, devenue Confédération internationale des syndicats. De 1956 à 1958 et de 1964 à 1970, j'ai été productrice d'émissions culturelles pour la radiodiffusion nationale du Sénégal et l'Office de co-operacion radiophonique devenu RFI. Puis, j'ai été chercheur à l'Institut de sociologie de l'ULB à Bruxelles dans l'équipe de Gabriel Thoveron, consultante en relations industrielles, de 1985 à 2000, pour la Commission européenne (DG Affaires sociales) et l'Association des chambres de commerce ACP. J'ai effectué de nombreux voyages d'étude et de représentation syndicale en Asie du Sud- Est, Afrique, Amérique latine, Europe centrale, Etats-Unis et Canada.

      Vous vous êtes mise tardivement à la littérature, après avoir élevé trois enfants et mené une carrière professionnelle très dense...

      Ma carrière littéraire a démarré en 1993 avec la publication d'un premier recueil de poèmes, Les chemins de la sagesse, contes et légendes du Sénégal et du Bénin (L'Harmattan), suivi par Le caméléon bavard, contes et légendes du Sénégal et du Bénin (L'Harmattan) en 1994.
      La même année, j'ai publié mon premier essai auquel je tiens beaucoup Pouvoir et démocratie à l'épreuve du syndicalisme (Unesco-Breda), qui m'a valu seize années plus tard une émission sur TV5 Afrique, avec le Conseil international des radios et télévisions francophones. Quand j'ai sorti ce livre, il est un peu tombé dans le désert, et pourtant c'est un sujet fondamental. J'y traitais déjà de l'instrumentalisation politique du religieux. C'est un débat sur la démocratie, essentiellement dans les pays du Sud. J'avais étudié la notion de pouvoir, qui n'est pas la propriété privée, et puis j'avais mis le point de vue du syndicalisme après les indépendances. A la sortie de ce livre, la Banque mondiale m'a invitée à intervenir dans des séminaires sur la bonne gouvernance. Cet essai a refait surface seize années plus tard. Comme quoi quand les idées sont utiles, elles font leur chemin.
      En 1996, j'ai publié un recueil de contes et de légendes du Bénin, La maison aux sept portes, illustré par Titane de Vos (L'Harmattan).
      En 1999, un autre recueil de poèmes, L'aube chante à plusieurs voix, préfacé par Emile Kesteman et illustré par Titane de Vos, a été publié aux Editions de l'Acanthe à Namur. La même année, j'ai aussi sorti pour les ACP un rapport sur la relance du secteur privé en Afrique intitulé Promotion et expansion du secteur privé dans les pays ACP, rôle du secteur privé dans les relations entre les pays ACP et l'Union européenne.
      En 2002, j'ai publié un recueil de poèmes, Le gué des hivernages, préfacé par Cheikh Hamidou Kane et Oumar Sankharé (La Porte des Poètes). J'ai enchaîné, en 2004, sur Contes du Bénin, L'oracle du hibou (Editions Maisonneuve et Larose). Fin 2005, ce fut au tour de Comme un souffle fragile, sorti aux Editions Parole et Silence. La littérature est ma troisième carrière.

      Quel est le fil conducteur de votre dernier recueil de poèmes "Comme un souffle fragile" ?

      C'est le droit à l'espérance qui est d'ailleurs le titre d'un des poèmes de ce recueil. Il y a beaucoup de poèmes qui se réfèrent à l'Afrique et même au génocide au Rwanda. Quand on parle de l'Afrique, on parle souvent des guerres, du Sida mais il ne faut pas faire de reproches aux Africains. Il y a plein de bonnes choses qui se passent sur le continent et on n'en parle pas. Ceux qui y vivent ont foi en l'avenir puisqu'ils initient des projets formidables. Il ne faut pas les condamner d'avance sans savoir ce qu'ils font ce qu'ils pensent comment ils voient la vie. On considère que leur horizon est bouché. La misère n'est pas une fatalité. Il n'y a rien qui nous y oblige. Tout le monde a le droit au bonheur.

      Dans "Comme un souffle fragile", il y a de nombreux poèmes religieux. Etait-ce votre volonté de mettre en avant la spiritualité et le mystique, la poésie et le sacré ?

      Je voulais en effet parler de spiritualité mais avec un vocabulaire moderne et adapté à l'Afrique. Dieu n'est pas la propriété des Européens. Chacun la conçoit comme il veut. Le 8 avril 2007, le poème "Pâques en Provence" a fait l'objet d'une lecture à la messe des artistes à la Cathédrale Saint-Michel à Bruxelles.
      Le 6 janvier 2008, la comédienne belge Lucile Clairembourg a lu des extraits de mon recueil dans le même cadre. Le poème "Seigneur le monde a tant besoin de toi" a été traduit en flamand, en espagnol, en anglais. Il a été repris dans plusieurs anthologies. J'en dessiné moi-même la couverture. C'est de la calligraphie chinoise. Cela signifie le cœur. Pour faire de la poésie, il faut vraiment avoir du cœur.

      L'année 2008 sera-t-elle un bon cru pour vous en matière de publication ?

      En 2007, j'ai fait plusieurs critiques littéraires car je voulais m'imposer en Belgique où nombreux sont ceux qui pensent que les écrivains africains ne peuvent parler que de l'Afrique et particulièrement de leurs propres oeuvres comme si nous étions incultes. J'ai beaucoup travaillé sur la littérature belge. J'écris tous les mois dans le journal de l'association des écrivains wallons.
      En 2008, je compte sortir un recueil de nouvelles et un recueil de poèmes que je n'ai pas encore pu mettre en forme, faute de temps. Je voudrais aussi terminer mon roman sur l'immigration qui dort dans mes tiroirs. Pour cela, il faudrait que je fasse moins de conférences et de rapports. Ecrire un livre nécessite une concentration mentale qui engendre un grand stress intérieur. Mon prochain livre sera illustré avec de la calligraphie arabe.

      Vous êtes également très sollicitée dans le milieu associatif.

      Je suis membre du conseil d'administration de l'Association des écrivains belges de langue française. C'est l'association la plus représentative en Belgique depuis plus de cent ans. Sa mission est de promouvoir les œuvres des écrivains belges. C'est la première fois qu'un Africain est intégré dans son conseil d'administration. Je suis aussi la seule Française.
      Pour les prix décernés en Belgique, je ne peux hélas pas concourir car il faut être de nationalité belge alors que tous les écrivains belges de langue française peuvent concourir en France. En tant que militante de gauche, je suis contre toutes les formes de discrimination, y compris celle-là. Un de mes objectifs cette année est de présenter mes œuvres à des prix, en France.
      Jusqu'alors je n'ai reçu de prix qu'aux Etats-Unis, où je n'ai jamais posé ma candidature. Les Américains sont moins discriminatoires. J'avais envoyé mes poésies au New York Times. Je suis également membre de l'association Français du monde, section Belgique, et sociétaire de l'Association des écrivains de langue française (ADELF) en France.
      Au niveau associatif, je suis membre de l'Union des femmes africaines, du Conseil francophone des femmes de Belgique, d'Oxfam Solidarité. Je suis aussi membre active du PS français et membre passif de la section PS belge de Woluwé Saint-Pierre. Je participe beaucoup aux activités de Raffia Synergies ; le cercle de réflexion Yaguine et Fodé. Et puis j'ai été pendant huit ans rédactrice en chef de Tribune, le journal des Français à l'étranger. M'asseoir et me lamenter n'est pas mon style. Quand j'étais étudiante dans les années 50, je militais déjà dans les mouvements d'étudiants tout en faisant mon émission contestataire "Fenêtre sur le monde noir". Tant que je serai en bonne santé, je serai sur pieds. Nous, les anciens, avons le devoir d'entraîner les jeunes avec nous.
      L'année 2008 est l'année de la diversité. L'occasion pour les associations africaines d'être davantage visibles. Il faut travailler en réseau, quelle que soit la profession que l'on exerce.

      Vous travaillez aussi sur la violence...

      J'ai participé, à Bruxelles, à des séminaires sur la violence dans les bandes de jeunes du milieu immigré en Belgique. Les jeunes se reconnaissaient dans mon discours. Il faut comprendre ceux qui vivent ici. Ils ne sont plus des Africains, mais des Belges d'un genre spécifique. Ils sont citoyens belges et se revendiquent comme tels. J'ai été affolée quand une dame, une éducatrice, s'est levée pour dire qu'une solution serait de recréer le village africain. Même si on recrée des communautés d'appui et de soutien, ce ne sera jamais la même chose. J'ai l'expérience des conflits en Afrique. La violence, ce n'est pas que l'autre. Elle vient aussi de nous. J'ai écrit des textes sur le génocide au Rwanda. Nous autres Africains, depuis l'esclavage en passant par la colonisation, nous subissons toute la violence induite. Ce n'est pas une circonstance atténuante, ni une réflexion misérabiliste. Il y a quelque chose de cette frustration qui est héréditaire. C'est une injustice tellement grande et elle continue au quotidien. Quand je prends le bus et qu'on m'insulte à cause de la couleur de ma peau, cela me ramène à l'esclavage en un flash.
      La confiance en soi et la foi en l'avenir sont les piliers indispensables pour s'en sortir. La confiance en soi, ce n'est pas de l'orgueil. Il faut valoriser ce que l'on est, ce que l'on fait au lieu de nous minimiser et dire que nous n'avons pas les moyens. L'Afrique est un des continents les plus riches du monde. Nous avons du pétrole, des minéraux et pourtant on nous rabâche tout le temps que nous sommes les plus pauvres. Il ne faut pas intérioriser les images négatives et croire que la misère est un horizon obligatoire. Je suis pacifique mais je ne suis pas pacifiste. J'ai dû tellement lutter pour faire des études et me faire une place dans la société. Quand on est élu, on doit se battre pour que l'on vous donne des dossiers qui correspondent à votre statut et pas des dossiers au rabais, pour occuper la place qui nous est due. Moi je ne veux jamais être figurante.

      Propos recueillis
      par Fatoumata Sidibé

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      Fatoumata Sidibé. "Dominique Aguessy, écrivaine." Amina 454 (March 2008), pp.XXXIX-XL.
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      Editor ([email protected])
      The University of Western Australia/French
      Created: 2 March 2008
      Archived: 12 October 2016
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