Dominique Aguessy démarre sa carrière littéraire après une carrière professionnelle bien remplie en tant que chercheure en sociologie et consultante. Depuis 1993, elle consacre son temps à l'écriture et à ses multiples engagements associatifs. Son dernier recueil de poèmes "Comme un souffle fragile" porte le droit à l'espérance. |
Pourriez-vous revenir sur votre parcours professionnel ?
Licenciée en lettres de l'université de Bordeaux, titulaire d'une maîtrise en sociologie de l'université de Dakar et diplômée d'études supérieures en management du Templeton Collège à Oxford, j'ai été responsable syndicale au Sénégal avant de m'installer en Belgique en 1973. J'y ai occupé, de 1973 à 1985, trois mandats électifs de quatre ans comme secrétaire générale adjointe de la Confédération mondiale du travail, devenue Confédération internationale des syndicats. De 1956 à 1958 et de 1964 à 1970, j'ai été productrice d'émissions culturelles pour la radiodiffusion nationale du Sénégal et l'Office de co-operacion radiophonique devenu RFI. Puis, j'ai été chercheur à l'Institut de sociologie de l'ULB à Bruxelles dans l'équipe de Gabriel Thoveron, consultante en relations industrielles, de 1985 à 2000, pour la Commission européenne (DG Affaires sociales) et l'Association des chambres de commerce ACP. J'ai effectué de nombreux voyages d'étude et de représentation syndicale en Asie du Sud- Est, Afrique, Amérique latine, Europe centrale, Etats-Unis et Canada.
Vous vous êtes mise tardivement à la littérature, après avoir élevé trois enfants et mené une carrière professionnelle très dense...
Ma carrière littéraire a démarré en 1993 avec la publication d'un premier recueil de poèmes, Les chemins de
la sagesse, contes et légendes du Sénégal et du
Bénin (L'Harmattan), suivi par Le caméléon
bavard, contes et légendes du Sénégal et du
Bénin (L'Harmattan) en 1994.
La même année, j'ai publié mon premier essai auquel je
tiens beaucoup Pouvoir et démocratie à l'épreuve du
syndicalisme (Unesco-Breda), qui m'a valu seize années plus tard
une émission sur TV5 Afrique, avec le Conseil international des radios
et télévisions francophones. Quand j'ai sorti ce livre, il est un
peu tombé dans le désert, et pourtant c'est un sujet fondamental.
J'y traitais déjà de l'instrumentalisation politique du
religieux. C'est un débat sur la démocratie, essentiellement dans
les pays du Sud. J'avais étudié la notion de pouvoir, qui n'est
pas la propriété privée, et puis j'avais mis le point de
vue du syndicalisme après les indépendances. A la sortie de ce
livre, la Banque mondiale m'a invitée à intervenir dans des
séminaires sur la bonne gouvernance. Cet essai a refait surface seize
années plus tard. Comme quoi quand les idées sont utiles, elles
font leur chemin.
En 1996, j'ai publié un recueil de contes et de légendes du
Bénin, La maison aux sept portes, illustré par Titane de Vos
(L'Harmattan).
En 1999, un autre recueil de poèmes, L'aube chante à
plusieurs voix, préfacé par Emile Kesteman et illustré
par Titane de Vos, a été publié aux Editions de l'Acanthe
à Namur. La même année, j'ai aussi sorti pour les ACP un
rapport sur la relance du secteur privé en Afrique intitulé
Promotion et expansion du secteur privé dans les pays ACP,
rôle du secteur privé dans les relations entre les pays
ACP et l'Union européenne.
En 2002, j'ai publié un recueil de poèmes, Le gué des
hivernages, préfacé par Cheikh Hamidou Kane et Oumar
Sankharé (La Porte des Poètes). J'ai enchaîné, en
2004, sur Contes du Bénin, L'oracle du hibou (Editions
Maisonneuve et Larose). Fin 2005, ce fut au tour de Comme un souffle fragile,
sorti aux Editions Parole et Silence. La littérature est ma
troisième carrière.
Quel est le fil conducteur de votre dernier recueil de poèmes "Comme un souffle fragile" ?
C'est le droit à l'espérance qui est d'ailleurs le titre d'un des poèmes de ce recueil. Il y a beaucoup de poèmes qui se réfèrent à l'Afrique et même au génocide au Rwanda. Quand on parle de l'Afrique, on parle souvent des guerres, du Sida mais il ne faut pas faire de reproches aux Africains. Il y a plein de bonnes choses qui se passent sur le continent et on n'en parle pas. Ceux qui y vivent ont foi en l'avenir puisqu'ils initient des projets formidables. Il ne faut pas les condamner d'avance sans savoir ce qu'ils font ce qu'ils pensent comment ils voient la vie. On considère que leur horizon est bouché. La misère n'est pas une fatalité. Il n'y a rien qui nous y oblige. Tout le monde a le droit au bonheur.
Dans "Comme un souffle fragile", il y a de nombreux poèmes religieux. Etait-ce votre volonté de mettre en avant la spiritualité et le mystique, la poésie et le sacré ?
Je voulais en effet parler de spiritualité mais avec un vocabulaire
moderne et adapté à l'Afrique. Dieu n'est pas la
propriété des Européens. Chacun la conçoit comme il
veut. Le 8 avril 2007, le poème "Pâques en Provence" a fait
l'objet d'une lecture à la messe des artistes à la
Cathédrale Saint-Michel à Bruxelles.
Le 6 janvier 2008, la comédienne belge Lucile Clairembourg a lu des
extraits de mon recueil dans le même cadre. Le poème "Seigneur le
monde a tant besoin de toi" a été traduit en flamand, en
espagnol, en anglais. Il a été repris dans plusieurs anthologies.
J'en dessiné moi-même la couverture. C'est de la calligraphie
chinoise. Cela signifie le cœur. Pour faire de la poésie, il faut
vraiment avoir du cœur.
L'année 2008 sera-t-elle un bon cru pour vous en matière de publication ?
En 2007, j'ai fait plusieurs critiques littéraires car je voulais
m'imposer en Belgique où nombreux sont ceux qui pensent que les
écrivains africains ne peuvent parler que de l'Afrique et
particulièrement de leurs propres oeuvres comme si nous étions
incultes. J'ai beaucoup travaillé sur la littérature belge.
J'écris tous les mois dans le journal de l'association des
écrivains wallons.
En 2008, je compte sortir un recueil de nouvelles et un recueil de
poèmes que je n'ai pas encore pu mettre en forme, faute de temps.
Je voudrais aussi terminer mon roman sur l'immigration qui dort dans mes tiroirs.
Pour cela, il faudrait que je fasse moins de conférences et de rapports.
Ecrire un livre nécessite une concentration mentale qui engendre un
grand stress intérieur. Mon prochain livre sera illustré avec de la
calligraphie arabe.
Vous êtes également très sollicitée dans le milieu associatif.
Je suis membre du conseil d'administration de l'Association des
écrivains belges de langue française. C'est l'association la plus
représentative en Belgique depuis plus de cent ans. Sa mission est de
promouvoir les œuvres des écrivains belges. C'est la
première fois qu'un Africain est intégré dans son conseil
d'administration. Je suis aussi la seule Française.
Pour les prix décernés en Belgique, je ne peux hélas pas
concourir car il faut être de nationalité belge alors que tous les
écrivains belges de langue française peuvent concourir en France.
En tant que militante de gauche, je suis contre toutes les formes de
discrimination, y compris celle-là. Un de mes objectifs cette
année est de présenter mes œuvres à des prix, en
France.
Jusqu'alors je n'ai reçu de prix qu'aux Etats-Unis, où je n'ai
jamais posé ma candidature. Les Américains sont moins
discriminatoires. J'avais envoyé mes poésies au New York Times.
Je suis également membre de l'association Français du monde,
section Belgique, et sociétaire de l'Association des écrivains de
langue française (ADELF) en France.
Au niveau associatif, je suis membre de l'Union des femmes africaines, du
Conseil francophone des femmes de Belgique, d'Oxfam Solidarité. Je suis
aussi membre active du PS français et membre passif de la section PS
belge de Woluwé Saint-Pierre. Je participe beaucoup aux activités
de Raffia Synergies ; le cercle de réflexion Yaguine et Fodé. Et
puis j'ai été pendant huit ans rédactrice en chef de
Tribune, le journal des Français à l'étranger.
M'asseoir et me lamenter n'est pas mon style. Quand j'étais
étudiante dans les années 50, je militais déjà dans
les mouvements d'étudiants tout en faisant mon émission
contestataire "Fenêtre sur le monde noir". Tant que je serai
en bonne santé, je serai sur pieds. Nous, les anciens, avons le devoir
d'entraîner les jeunes avec nous.
L'année 2008 est l'année de la diversité. L'occasion pour
les associations africaines d'être davantage visibles. Il faut travailler
en réseau, quelle que soit la profession que l'on exerce.
Vous travaillez aussi sur la violence...
J'ai participé, à Bruxelles, à des
séminaires sur la violence dans les bandes de jeunes du milieu
immigré en Belgique. Les jeunes se reconnaissaient dans mon discours. Il
faut comprendre ceux qui vivent ici. Ils ne sont plus des Africains, mais des
Belges d'un genre spécifique. Ils sont citoyens belges et se
revendiquent comme tels. J'ai été affolée quand une dame,
une éducatrice, s'est levée pour dire qu'une solution serait de
recréer le village africain. Même si on recrée des
communautés d'appui et de soutien, ce ne sera jamais la même
chose. J'ai l'expérience des conflits en Afrique. La violence, ce n'est
pas que l'autre. Elle vient aussi de nous. J'ai écrit des textes sur le
génocide au Rwanda. Nous autres Africains, depuis l'esclavage en passant
par la colonisation, nous subissons toute la violence induite. Ce n'est pas une
circonstance atténuante, ni une réflexion misérabiliste.
Il y a quelque chose de cette frustration qui est héréditaire.
C'est une injustice tellement grande et elle continue au quotidien. Quand je
prends le bus et qu'on m'insulte à cause de la couleur de ma peau, cela
me ramène à l'esclavage en un flash.
La confiance en soi et la foi en l'avenir sont les piliers indispensables pour
s'en sortir. La confiance en soi, ce n'est pas de l'orgueil. Il faut valoriser
ce que l'on est, ce que l'on fait au lieu de nous minimiser et dire que nous
n'avons pas les moyens. L'Afrique est un des continents les plus riches du
monde. Nous avons du pétrole, des minéraux et pourtant on nous
rabâche tout le temps que nous sommes les plus pauvres. Il ne faut pas
intérioriser les images négatives et croire que la misère
est un horizon obligatoire. Je suis pacifique mais je ne suis pas pacifiste.
J'ai dû tellement lutter pour faire des études et me faire une
place dans la société. Quand on est élu, on doit se battre
pour que l'on vous donne des dossiers qui correspondent à votre statut
et pas des dossiers au rabais, pour occuper la place qui nous est due. Moi je
ne veux jamais être figurante.
Propos recueillis
par Fatoumata Sidibé
Courriel : [email protected]