Dans son ouvrage « Seconde épouse », paru aux éditions Michalon en novembre, Yasmine Ajami livre un témoignage poignant de l'expérience qu'elle a fait de la polygamie. Rien ne destinait pourtant cette femme d'affaires française à partager son amour pour un homme avec une autre femme. De l'union avec son mari ivoiro-libanais Ysat, dont elle n'acquit que le statut de seconde épouse, est née Eva. Auourd'hui, Ysat n'est plus et Eva risque d'être retirée à sa mère. Yasmine n'est pas la seule à endurer cette situation. Rencontre avec celle qui s'est fait le porte-voix malgré elle des «secondes épouses ». |
Pourquoi vous battez-vous?
Tout d'abord, j'ai écrit ce livre pour Eva, pour qu'elle connaisse son histoire, si jamais je venais à disparaître... Depuis le décès de mon époux et les 7 mois de ma fille, je me bats pour elle, je me bats pour son identité et pour qu'on ne me l'enlève pas. J'ai subi des humiliations, un divorce post-mortem par l'imam sur place, enduré la violence morale, les injures, mais je ne baisse pas les bras pour autant. Je dois m'occuper de ma fille, de son épanouissement, de son bien être, de sa croissance, de sa santé au quotidien. Etre un père et une mère à la fois. Eva est ma raison de vivre.
Si vous pouviez revenir en arrière, quelles solutions adopteriez-vous pour faire valoir les droits de votre fille?
Vous me demandez si cela aurait changé quelque chose que ma fille naisse en France? Je me souviens, enceinte, avoir hésité entre accoucher en France ou en Côte d'ivoire. J'ai choisi la Côte d'ivoire car mon époux vivait à Abidjan et je ne voulais pas être séparée de lui. En juillet 2011, le pays était en plein changement, juste après la chute de l'ancien président Gbagbo. Ma fille est française par sa mère et bénéficie du statut de Française même si son père avait acquis la double nationalité libanaise et ivoirienne. Je pense simplement que supprimer la reconnaissance d'un enfant alors qu'il est reconnu par son père, dans tous les pays sauf en Côte d'ivoire, est une erreur judiciaire. Donc, si je devais revenir en arrière, Eva serait née en France.
Certaines femmes vivent la polygamie de façon harmonieuse. Comment est-ce possible?
Je pense juste qu'il faut faire abstraction de beaucoup de choses et ne pas être égoïste. Apprendre l'oubli de l'autre et la tolérance. Si l'on n'est pas de nature jalouse, ce qui est mon cas, il suffit de se concentrer sur son propre bonheur. Toutefois, il faut absolument que l'homme consacre le même temps à chacune de ses femmes: c'est son devoir. Finalement tout dépend de l'homme. S'il n'arrive pas à gérer ses femmes, c'est la catastrophe! Toutefois je ne prône pas la polygamie: c'est parfois un choix que l'on fait par amour.
La polygamie peut-elle se conjuguer avec une vie moderne?
Tout dépend du milieu dans lequel vous évoluez. J'ai passé d'un monde occidental à un monde oriental et traditionnel. Une femme indépendante peut y trouver son compte car elle n'est pas tout le temps avec son mari; elle a du temps pour s'occuper d'elle. Dans l'Europe moderne actuelle, vous n'êtes pas confrontée tout le temps à la famille, il y a moins de pressions sociales. La polygamie est souvent mal vécue quand les femmes se harcèlent et vivent à proximité l'une de l'autre.
Que retenez-vous de votre expérience de seconde épouse?
C'est une expérience très difficile, et originale lorsqu'on a un parcours comme le mien. Mes choix ont été guidés par l'amour uniquement, même si j'ai hésité à les faire. J'ai considéré ça comme une expérience à vivre et j'ai fait confiance à mon époux et à sa religion. Malheureusement, il n'a pas su gérer cela lui-même car il était esclave de ses sentiments et culpabilisant pour les deux parties. J'ai vécu les pires moments de ma vie après son décès, tout simplement pour des raisons d'héritage. Je dirais donc qu'il faut être très prudente avant de s'engager dans cette voie...
Propos recueillis
par Ekia Badou