Mme Alizata Sana est professeur certifié d'histoire géographie. Actuellement, elle gère la documentation du Ministère des Enseignements Secondaires, Supérieurs et de la recherche Scientifique à Ouagadougou. En plus du CAPES, elle est titulaire d'une Maîtrise en Géographie Physique et d'un Certificat d'Etudes Supérieures en Economie Coopérative et Associative. Après Niamey, elle est venue à Abidjan pour la promotion de son livre et nous proposer deux autres manuscrits. Nous avions fait connaissance quand elle nous a proposé « Les Deux maris » qu'elle vient de faire paraître aux éditions Moreux, en France. Déçus de son choix, nous avons tout de même décidé de discuter avec elle de son roman. |
Présentez votre roman « Les Deux maris » à nos lectrices.
« Les Deux maris » parle d'un phénomène répandu en Afrique noire. Il s'agit de femmes (ou d'hommes) unis involontairement à des esprits. En ce qui concerne précisément le roman, c'est d'une femme qu'il s'agit. Elle est donc « mariée » à un esprit qui se présente à son époux chaque fois qu'il tente de remplir son devoir conjugal. Pour la débarrasser de son partenaire indésirable, le père de son troisième époux va procéder à des séances d'envoûtement.
Pour un sujet aussi africain, pourquoi le choix d'une maison française sachant que le livre coûtera beaucoup plus cher en Afrique ?
C'est vrai que ce thème paraît insolite pour un Européen. Mais il faut reconnaître que le directeur de la collection « Archipels littéraires », Jacques Chevrier, est un spécialiste de l'Afrique en matière de littérature et qu'il connaît les thèmes africains qui peuvent plaire partout. Je ne suis pas convaincue que si le roman avait été édité dans une maison africaine, il aurait eu plus de succès. L'avenir nous le dira.
Quels faits ont inspiré ce roman ? Avez-vous été victime du deuxième mari qu'on appelle ici « mari de nuit » ?
Quand je suis allée au Bénin, j'ai appris là-bas qu'on appelle le deuxième mari, le « mari de nuit ». Pour répondre à votre question, je dis malheureusement non. Je n'ai pas été victime du « mari de nuit ». Je dis malheureusement parce que je crois que cela doit être extraordinaire de vivre une telle expérience... En fait, j'ai été inspirée par une histoire vécue. Il s'agit d'une de mes amies d'enfance qui a été victime du phénomène. On en a souvent parlé autour de moi, mais cela s'est limité aux rumeurs jusqu'à ce qu'on indexe une victime. Alors, cela m'a intéressée et j'ai mené ma petite enquête auprès du premier mari que je connaissais assez bien, puis j'ai suivi l'évolution de la dame jusqu'à son désenvoûtement. Le résultat est là.
Comment se manifeste le mari de nuit ou le deuxième mari ?
De plusieurs façons en fonction de son tempérament. Lorsqu'il n'est pas jaloux, on ne peut même pas se rendre compte de son existence. Mais il arrive que ce soit un partenaire très possessif qui agresse le conjoint ou le mari comme c'est le cas dans le roman. Alors, si on n'y prend garde, il peut arriver que l'esprit tue son rival, ou le rende fou.
Qu'est-ce que c'est qu'un génie ? Croyez-vous en son existence ?
Un génie est un esprit doué d'une puissance extraordinaire. Il peut être bon ou mauvais, tout comme les humains en général. Les génies cohabitent avec les humains et ont des caractères semblables aux nôtres même s'ils évoluent dans un monde parallèle et invisible de nous. Bien sûr que je crois en l'existence des génies. Je suis née dans un milieu musulman et j'ai évolué en milieu djerma où les histoires de génies et autres djinns pullulent. En plus, j'ai souvent assisté à des séances de « holley » assimilables au Vaudou, où les esprits des génies font des prédictions qui se réalisent souvent. Cela m'a convaincue.
Pourquoi ce sont les femmes qui sont le plus souvent victimes des génies ?
Ce n'est pas un phénomène exclusivement féminin. Les hommes aussi peuvent avoir des « femmes de nuit ». Je ne sais pas sur quels critères les génies se basent pour choisir leurs partenaires humains mais, en général, ce sont des femmes et des hommes ordinaires comme vous et moi. Dans tous les cas, lorsque la relation devient encombrante, il faut nécessairement procéder à un désenvoûtement.
La recrudescence de jeunes veuves peut-elle s'expliquer par les actions maléfiques des maris de nuit de ces femmes ?
Je ne crois pas qu'on puisse rapprocher le veuvage d'un quelconque maléfice. Les veuves ont existé de tous temps dans nos sociétés. On a souvent expliqué la longévité de la femme par le fait qu'elle est naturellement plus résistante que l'homme aux maladies. On dit souvent aussi que les hommes meurent plus vite parce qu'ils sont plus exposés aux dangers mortels que les femmes (guerres, chasses ... ). Toutes ces justifications sont fondées. Je ne crois pas qu'il y ait plus de veuves aujourd'hui que deux siècles plus tôt. A preuve le besoin de nos grands-parents de recourir au lévirat. Ce n'est certainement pas par manque de moyens financiers mais parce qu'au-delà du fait qu'il n'y a pas assez de femmes, il était plus normal que l'homme meure avant la femme. On attendait alors tranquillement la mort de son frère pour prendre sa femme. Il est vrai que, de nos jours, la pratique du lévirat a d'autres mobiles.
Comment êtes-vous arrivée à la littérature, à la création littéraire ?
Par vocation. J'ai toujours rêvé d'être écrivain, depuis le lycée. Puis, avec le temps, je me suis dit qu'il est difficile d'écrire si on n'a pas une bonne assise financière. Mais le rêve a pris le dessus et, un matin de juin 1998, je me suis retrouvée en train de travailler mon premier manuscrit.
Vous venez de nous déposer deux manuscrits. D'autres projets sont-ils en cours ?
J'espère que mon roman et mon recueil de nouvelles seront bien appréciés par votre comité de lecture, qui avait déjà donné un avis favorable pour « Les Deux maris ». Mais un autre éditeur a été plus rapide que vous pour me proposer un contrat. Mon projet est d'écrire deux autres romans dans les mois à venir, dont l'un sera consacré à ma biographie. Vous savez mieux que vos lectrices la grande tragédie de ma vie. Mais la foi nous permet de tout supporter.
Pour en revenir au « mari de nuit » ou « deuxième mari », comment peut-on s'en débarrasser définitivement ?
Par des séances de désenvoûtement. Cela peut se faire à l'Eglise, à la Mosquée ou par le biais des religions traditionnelles. Mais il y a des esprits dont on ne peut pas se séparer définitivement. Ils restent en latence. A partir du moment où ils ne nuisent pas, on fait avec. Vous savez, nous avons tous des esprits qui nous suivent d'une manière ou d'une autre. On peut appeler cela « ange gardien » ou tout ce que vous voulez, mais nous ne sommes jamais seuls. C'est la façon dont l'esprit se manifeste qui diffère. Et puis, tous les esprits ne sont pas mauvais.
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Propos recueillis
par lsaïe Biton Koulibaly