Née d'un père togolais et d'une mère gabonaise, c'est dans la presqu'île de Port Gentil, la capitale économique du Gabon, qu'elle voit le jour. La quarantaine florissante, Clotilde Chantal Alléla Kwevi est à la fois enseignante chercheure à l'Université Omar Bongo (Gabon) et directeur général de l'institut universitaire des Sciences de l'Organisation, une division de l'université où l'on forme, entre autres, les assistantes de direction. Avec Le chant de Yaye, publié aux éditions Nten, celle que ses proches appellent affectueusement Kaïssa signe son premier récit qui sonne comme un hymne à une enfance à l'africaine. En douze chapitres courts, écrits avec sensibilité et simplicité, l'auteur rend hommage à Yaye, cette grand-mère qui savait si bien prodiguer sagesse et leçons de vie... en chantant. En plus de son aspect pédagogique sur le respect des valeurs et des traditions, ce livre est aussi et surtout une invitation à la découverte, au voyage, au partage. |
Vous êtes titulaire d'un doctorat de littérature américaine, d'une licence de langue et culture portugaises, et d'un diplôme universitaire de théorie littéraire (Université Paul Valéry de Montpellier III). Est-ce votre long parcours universitaire qui explique que vous n'ayez eu votre premier enfant qu'à 29 ans, comme vous semblez l'évoquer dans votre récit autobiographique Le chant de Yaye?
Oui c'est cela. J'ai attendu, d'autant que je viens d'une famille très croyante. Ma mère était rigoureuse et j'ai évolué dans les couvents. C'est une éducation qui m'a permis d'avoir des repères. Issue d'une famille très modeste de dix enfants, ma priorité était d'abord de réussir mes études. Ma mère aimait à dire que le « premier mari » c'est d'abord l'école. Après mes études, j'ai rencontré mon mari à 28 ans et à 29 ans j'ai effectivement eu mon premier fils.
Le chant de Yaye est à la fois l'éloge de la grand-mère idéale, mais aussi tout un parcours initiatique et une heureuse enfance africaine. Racontez-nous un peu la genèse de ce joli récit?
Disons que j'écris depuis que je suis toute petite, en tenant des journaux intimes et des mémoires sur ma famille ou ma vie. Le chant de Yaye est né d'un entretien que j'ai eu avec ma mère juste après la naissance de mon fils et cette grand-mère, Yaye, qui a façonné toute mon enfance. Elle a été le pilier de la famille puisque je viens d'une famille matriarcale. J'ai voulu rendre hommage non seulement à cette grand-mère mais aussi, à travers mon témoignage, à tout un patrimoine culturel. Mon récit est une façon d'asseoir cette identité et de la valoriser.
Effectivement, ce n'est pas uniquement le témoignage de l'amour que vous aviez pour Yaye; c'est aussi la valorisation de toute une culture, du leg dont vous parliez et de toutes ces petites choses importantes que l'on apprend au quotidien mais qui ne s'écrivent pas, dans nos traditions orales...
Exactement ! Dans le récit, je prends par exemple le cas de la pratique de la pêche, une passion de mon père, un cheminot qui s'est reconverti à la pêche, et que j'ai pu vivre intensément avec ma grand-mère. Et il y a aussi le labourage, ce rapport qu'une femme peu avoir avec la terre et le bonheur de la germination. De cette complicité avec ma grand-mère naissaient des choses simples qu'elle m'apprenait. A travers ces rituels quotidiens, j'ai vu la vraie valeur de la vie. Pour une petite fille, se voir offrir un lopin de terre et voir comment les plantes qu'elle aura semées poussent, et être source d'autosuffisance pour la famille, c'est une belle reconnaissance.
Une enfant intelligente, épanouie, curieuse de tout, mais aussi une enfant considérée comme « anormale » parce que différente par la couleur de sa peau: entre votre recherche d'identité et la discrimination dont vous avez souffert, à quel moment vous êtes vous vraiment acceptée et quel a été le rôle de Yaye?
Disons que ma grand-mère était une femme forte. Elle était aussi une très belle femme. Je l'ai dépeinte connue une gazelle pour décrire la volupté de la beauté africaine que je magnifie dans ce livre, à travers elle et aussi ma mère. Avoir des représentations aussi dignes m'a permis de me construire, sinon de me reconstruire. Mon image aurait pu être détruite par l'environnement parce que l'enfant d'un teint différent ou ayant une anomalie ou une infirmité physique est rejeté par la société, mais pas forcément par la fratrie. Ma grand-mère m'a apporté cette assurance parce qu'elle était une femme simple, d'une beauté simple, mais noble. Elle n'était pas instruite mais elle avait des atouts. On n'avait ni besoin d'être la plus belle femme du monde, ni la plus intelligente pour s'accepter en tant que tel. C'est une femme qui m'a également magnifiée. Je ne sais pas si c'était dû au fait qu'elle voyait en moi le reflet de sa grand-mère, dont elle m'a attribué le pseudonyme. Peut-être que cela a permis de renforcer les liens que j'avais avec elle, et aussi de me grandir. Face à cela, je me suis sentie être quelqu'un avec des valeurs. Ma grand-mère me trouvait très intelligente, et j'avais une sensibilité qui faisait que j'étais à l'affût de tout: du savoir, de la connaissance. Et être à ses côtés me rassurait. Pour ma mère, si elle a pu me rejeter les premiers jours, elle a compris avec l'âge que j'étais une enfant docile, intelligente et comme les autres. Donc c'est cet amour qu'elles m'ont donné qui m'a permis de m'accepter en tant que telle, cela à partir de la classe de CM2, vers 12 ans. À l'époque, dans les tâches quotidiennes comme à l'école, j'étais très assidue et je n'avais que des éloges.
Vous sentir rejetée lorsque vous étiez petite, vous a-t-il finalement permis, contre toute attente, de développer des qualités de survie justement qui, au final, vous ont rendu plus douée, comme une revanche sur la vie?
Oui, je pense que cela m'a aidée, peut-être bien. Mais je ne peux pas affirmer que j'ai vécu ce sentiment de rejet de la part de ma famille. Cela venait de l'extérieur. Ma famille m'a protégée. Même si un de mes frères m'affublait d'un quolibet...
Dont vous choisissez de ne pas parler dans votre récit...
(Sourire) Oui, c'est un quolibet dont je ne parle pas et ce d'autant plus que j'ai perdu ce frère, aujourd'hui. Mais ce que vous dites est intéressant. Dans mon subconscient, c'est peut-être un élément qui a fait que j'ai eu envie de faire un peu plus que les autres. D'ailleurs ce sentiment m'a animée pendant toutes mes études. Je dois ma réussite à la providence, à la détermination et aussi à une volonté d'aller de l'avant. Car lorsque l'on vient d'une famille modeste, on cherche à accéder à un idéal que l'on ne peut avoir que par l'effort. Ma grand-mère m'a communiqué ce goût de l'effort, du travail bien fait, de l'accomplissement de soi. J'ai toujours voulu aller au bout de mes objectifs.
Très bel hommage, car au-delà de Yaye, c'est toute une communauté, toute une culture africaine traditionnelle comme on l'aime à qui vous rendez hommage. Yaye nous a quittés, mais si vous ne deviez retenir qu'une seule chose d'elle aujourd'hui, ce serait quoi?
C'est un guide, un modèle, mais si je ne devais retenir qu'une seule chose, ce serait la chanteuse. Tout en elle passait par le chant. Elle était l'incarnation même de la douceur. Et je crois qu'il n'y a pas plus beau langage que celui des chants. Quand on est dans la forêt et qu'on écoute le chant des oiseaux, on en est ému. Chez moi, j'ai d'ailleurs des carillons de toutes sortes pour justement avoir en permanence un son mélodieux, un cliquetis qui m'apaise. À travers son chant, Yaye était la porteuse du monde au sens utérin du terme.
Votre récit a été publié en mai 2011 au Gabon. Comment peut-on se le procurer si on habite hors du Gabon?
On peut se le procurer en faisant la demande directement aux éditions Nten, ou en m'écrivant sur internet. En France, les éditions Dagan le diffusent depuis peu, par le biais de la librairie Rutebeuf (23 avenue Claude Vellefaux - 75010 Paris), ainsi que sur leur site intemet. J'espère qu'il sera bientôt disponible chez Présence Africaine (25 bis rues des écoles 75005 Paris).
Propos recueillis
par Renée Mendy