Née à Lagos en 1964, Sefi Atta est romancière, nouvelliste et dramaturge. Plusieurs de ses œuvres ont été traduites en français: un recueil de nouvelles intitulé «Nouvelles du pays», les romans «Le meilleur reste à venir» et «Avale», et enfin son dernier ouvrage, «L'ombre d'une différence», dans lequel elle évoque sur un ton très personnel l'exil, la famille, l'amitié, la féminité, le couple aujourd'hui et la force de l'amour et de la vie. |
J'ai noté une évolution dans la narration, qui est aussi en partie, la voix intérieure de Deolo, l'héroïne. Plus factuel au début, et plus sensible quand sa vie se met à changer. Etait-ce voulu? En aviez-vous conscience?
Quand j'écris, j'écoute une voix, ma voix d'auteure et, dans ce roman, la voix de la narratrice. Je n'étais pas consciente de l'évolution du ton jusqu'aux corrections, mais je m'en suis rendu compte. Si vous arrivez dans un environnement qui ne vous est pas familier, vous avez tendance à vous concentrer sur ce qui se passe autour de vous pendant un temps. Après, vous revenez au dialogue intérieur que vous avez avec vous-même.
Deola, votre personnage œuvre dans l'humanitaire. C'est extrêmement documenté. Avez-vous travaillé dans ce secteur?
Je n'ai jamais travaillé pour une organisation humanitaire, mais j'ai travaillé en tant qu'auditrice dans des industries similaires. Il est assez aisé d'imaginer comment une organisation humanitaire fonctionne et de visualiser les types de personnes à qui Deola rend des comptes.
Vous expliquez bien le dilemme de Deola, elle a un passeport britannique et vit en Grande Bretagne mais elle se sent avant tout nigériane. Est-ce le cas pour nombre de Nigérians, ce ressenti?
Cela dépend de leur histoire et de leurs orientations. Deola est née au Nigeria et elle y a été élevée. Elle y a suivi ses études supérieures et sa formation et y va souvent pour les vacances. Elle se voit donc elle-même comme une Nigériane expatriée en Angleterre.
La famille de Deola est aisée, avec des emplois bien payés, malgré la situation socio économique du Nigeria. On peut être surpris par les disparités économiques avec le nord suivant plus ou moins la charia et sous la menace de Boko Haram...
Deola appartient à la bourgeoisie de Lagos. Je suis surprise que des gens vivant hors du Nigeria puissent ignorer qu'une telle bourgeoisie existe. Elle existe et j'en parle sans avoir pour autant à justifier son existence. En d'autres termes, je n'ai pas besoin d'une crise politique ou religieuse pour en parler. J'ai choisi cette classe sociale pour évoquer la vie au quotidien dans mon roman.
Deola ne croit pas en Dieu et trouve que ses compatriotes accordent une trop grande place à la religion. Pourtant, elle prie quand elle est très anxieuse et l'homme qu'elle rencontre prie pour se sauver. La religion serait-elle réservée aux cas désespérés?
On peut avoir cette impression, mais qui connaît les diverses raisons pour lesquelles les gens prient? Je ne peux parler que de mes personnages et de la façon dont ils raisonnent. Deola se pose sans cesse des questions au sujet de ses croyances.
On pourrait aussi dire qu'elle n'est pas très romantique, qu'elle n'aime pas trop séduire. Sa vie paraît monotone et ennuyeuse au début. Vouliez-vous montrer que l'amour peut arriver n'importe quand, ou bien créer un personnage féminin moderne, peu concerné par les traditions?
On n'a pas besoin d'être romantique pour séduire ... Je dirais plutôt qu'elle ne croit pas aux clichés associés à l'amour et au mariage. Elle est pragmatique. Au début, elle s'ennuie dans sa vie parce qu'elle n'a personne avec qui partager son quotidien. Est-elle une femme nigériane moderne? Oui, par certains aspects. N'a-t-elle pas une aventure d'un soir? Mais elle est aussi traditionnelle. Elle aimerait se marier, avoir une réception...
Son amie Subu, très religieuse, est supposée être une femme épanouie par sa réussite et son engagement spirituel, mais sa réponse à la fin en dit long. Vouliez-vous opposer le bonheur de ces deux destins de femmes?
Subu figure dans mon roman parce que je connais beaucoup de femmes nigérianes comme elle. Des femmes qui sont religieuses, conservatrices, entrepreneuses, mais aussi contradictoires car elles ne vivent pas toujours selon leurs critères moraux qu'elles défendent. Deola est plus tolérante à cet égard ...
Dernière question: vous sentez-vous vous-même Nigériane?
Je vis surtout aux Etats Unis, mais je vais souvent en Angleterre et au Nigeria. J'ai fait mes études au Nigeria, donc je me sens Nigériane, mais l'Angleterre et les Etats Unis m'influencent. Le Nigeria m'a donné la matière. L'Angleterre m'a permis d'apprécier la littérature et les Etats Unis m'ont fourni l'opportunité d'écrire.
Propos recueillis
par Pascale Athul
Sefi Atta. L'ombre d'une différence. Arles: Actes Sud, 2014.