Chercheure associée à l'Institut d'études des femmes de l'Université d'Ottawa, Angèle Bassolé Ouédraogo est aussi écrivaine, éditrice et productrice de films. Elle vient de publier « Cantate pour un Soleil libre », une œuvre ancrée dans la turbulence de l'histoire africaine dont la mémoire est peuplée de martyrs pour la liberté. Elle évoque, avec Amina, sa passion littéraire, la situation des femmes africaines et ses projets. |
Pourquoi le titre, « Cantate pour un Soleil libre »? Quel message fondamental voulez-vous faire passer?
« Cantate pour un Soleil libre » évoque l'aspiration à la liberté du continent africain qui m'a toujours habitée et m'obsède. Cantate vient de l'italien cantare qui signifie chant. C'est donc un long chant langoureux sur fond de blues rythmé par la déception face au perpétuel recommencement de notre chère Afrique qui tue ses enfants.
On sent dans vos écrits, la révolte, l'aspiration à la liberté, la passion pour la justice, la volonté d'agir. Vous avez mal à l'Afrique?
Oui, j'ai très mal à mon continent, et ça ne date pas de ce recueil. J'ai toujours eu mal à mon continent, même très jeune déjà, par rapport à ses dirigeants indignes, ses élites et sa diaspora défaillantes, la condition inhumaine et inacceptable de ses femmes, le désarroi de sa jeunesse qui ne rêve que d'Occident, quitte à mourir dans la traversée.
Vous parlez de déception, de désillusion à l'égard surtout du continent africain. D'où peut venir l'éclaircie?
D'une prise de conscience générale de tous les Africains du continent et de l'extérieur que la responsabilité du développement de l'Afrique leur incombe et qu'ils ne peuvent compter sur personne d'autre pour le faire à leur place. De la prise en compte de l'apport immense et important des femmes et d'une meilleure place accordée à la jeunesse, les femmes et les jeunes composant la majorité de la population africaine.
Dans « La mémoire peuplée de martyrs pour la liberté », on évoque peu les figures féminines africaines, souvent méconnues par les Africains eux-mêmes, que faire?
Y a-t-il plus martyrs que les femmes africaines? Qui a donné la vie à ces « martyrs masculins » dont vous parlez? Qui a épousé et vécu avec ces hommes martyrs dont un certain nombre sont sortis un matin et ne sont plus jamais revenus chez eux? Qui vit avec les conséquences de ces disparitions cruelles, de ces morts sans sépulture? Y a-t-il plus martyrs, par exemple, que Mariam Sankara et ses fils? Y a-t-il plus martyr que maman Zongo qui a perdu de façon atroce le même jour ses deux garçons? Et combien d'autres encore en Afrique? Les premières (permettez cette féminisation impossible) martyrs sont bien les femmes, touchées dans leur chair, leur cœur et leur âme à jamais.
« Cantate pour un soleil libre » parle de ces citoyens et citoyennes du monde qui n'ont plus que la fuite et l'exil comme options de vie. Comment la diaspora africaine en Europe et ailleurs peut-elle contribuer à développer le continent mère?
En s'impliquant davantage, en étant plus actifs que juste de beaux « discoureurs » dans leurs salons occidentaux sur le développement de leur continent. Certes, ils contribuent déjà par l'argent qu'ils envoient en Afrique, qui (aussi incroyable que cela puisse être) dépasse de très loin toute l'aide internationale réunie et se chiffre en milliards par année. C'est bien, mais (comme le diraient mes petits frères du quartier), ce n'est pas arrivé. Ils peuvent très bien faire plus et mieux en s'organisant davantage, en priorisant l'intérêt de leur continent là où ils sont, en donnant de l'Afrique une image positive, en optant définitivement pour l'excellence plutôt que la médiocrité.
Vous en êtes à votre septième œuvre. Quel bilan faites-vous de votre parcours littéraire?
Je ne suis pas une personne qui s'attarde sur les bilans et les résultats dans sa vie, qui ressasse sans fin ses succès. Je fais ce que j'ai à faire et je continue à foncer. Pour mon travail d'écriture, c'est pareil. Mes livres ne sont pas mes livres de chevet. Si je vous dis que j'ai dû dernièrement emprunter mon tout premier livre, Burkina Blues, épuisé, à notre bibliothèque de l'Université, vous ne me croirez pas. Je venais de perdre le seul exemplaire qui me restait et j'en avais besoin pour la réédition. Rires! Une fois qu'un livre est publié, je ne m'en occupe plus, je pense au prochain titre, en général déjà prêt et que je retravaille jusqu'à la publication. Ainsi, mon prochain recueil, « Les porteuses exilées » est déjà prêt et je travaille sur le prochain après ça, « Traversées ».
Qu'attendez-vous des femmes africaines?
Qu'elles aient plus confiance en elles et qu'elles foncent. Qu'elles arrêtent de compter sur les hommes pour leur survie et leur bonheur. Ils peuvent certes y contribuer mais ne peuvent en être ni les garants, ni la pierre angulaire. Or, je constate avec regret que mes sœurs continuent à penser au mariage, à la présence d'un homme dans leur vie comme la raison ultime de leur existence. Les jeunes filles sont à la recherche de l'âme sœur à tout prix (qui n'existe pas); elles s'illusionnent en pensant que leur seul et véritable bonheur dépend du mariage, qu'il repose sur un homme. Qu'elles s'autonomisent financièrement et socialement, se prennent en charge en comptant sur elles-mêmes, leur intelligence, leurs capacités et potentialités et non pas sur un illusoire prince charmant. Le taux élevé de violences conjugales et de maltraitance des femmes africaines est directement lié à une dépendance économique vis à vis des hommes qui les amènent à accepter l'inacceptable et à tolérer l'intolérable allant jusqu'à l'atteinte de leur dignité humaine, parce que n'ayant aucun autre choix. Vivre heureux, c'est vivre libre et non pas dépendant. Comme le disent les Mossé du Burkina Faso dans un adage plein de sagesse: « Nèd sin, qè a to pun gin tinga », celui qui dort sur la natte de son voisin dort par terre.
Dans un environnement de survie, le livre ne semble pas être une priorité en Afrique. Comment y remédier et que peut apporter la littérature au continent?
Tant que l'ensemble des élites et des dirigeants africains ne comprendront pas que la littérature et la culture dans son ensemble sont le socle premier de tout développement économique et social, on n'arrivera à rien. Tant qu'on continuera à considérer le livre, la littérature et la culture comme de simples accessoires pour des gens désœuvrés et des artistes en mal d'inspiration dont le métier n'est même pas considéré, il n'y aura aucun miracle au niveau du développement de l'Afrique. Pour y remédier, il faut tout simplement commencer par considérer que c'est un axe important du développement et mettre en œuvre les moyens requis comme on en met pour construire les ponts, les routes et les chaussées. Le développement est d'abord humain et social avant d'être économique. La culture et le patrimoine sont ce qui reste quand tout a disparu. C'est ce qui nous permet de savoir que nos ancêtres ont existé et quel était leur mode de vie. La question financière et le manque de moyens ainsi que le coût des livres qu'on aime évoquer en Afrique ne sont que des prétextes pour ne pas lire. Peu d'Africains lisent, y compris un bon nombre d'enseignants de tous les niveaux qui ont pourtant pour fonction de transmettre le savoir. On trouvera trop cher un livre vendu à 5 000 FCFA mais on n'hésitera pas du tout à acheter un costume à 200 000 FCFA ou une paire de chaussures griffées à 100 000 FCFA, par exemple, en ce qui concerne les jeunes. C'est une question de choix individuel et sociétal.
Où en êtes-vous avec vos projets de film documentaire « Sèbêko » sur la vie d'esclavage des domestiques africaines au Canada, votre roman, « Zaamè », et le lancement des collections Jeunesse, Spiritualités et Musiques d'Afrique?
« Sèbêko » a pris du retard dans son avancement parce que j'ai eu de très graves problèmes de santé et suis passée tout droit dans les ravins de la mort, comme le dit le psaume XXII. Mais par la toute puissance divine, me voilà aujourd'hui répondant à vos questions. J'ai perdu l'usage total de mes jambes pendant quatre mois et j'étais incapable de faire le moindre pas. Mais par la grâce de Dieu et les prières des uns et des autres, j'ai réappris à marcher comme un bébé le ferait, un pied en avant, un autre ensuite et peu à peu, j'ai pu marcher à nouveau et je peux vous défier au marathon à présent. (Rires]. Je suis une vraie miraculée et j'écris cette expérience qui sera justement publiée dans la nouvelle collection « Spiritualités » de Malaîka. Quant à « Zaamè», il est prêt et sera lancé au printemps. On prépare activement les titres des collections Jeunesse et Musiques d'Afrique en vous réservant une surprise.
Propos recueillis
par Tiego Tiemtoré
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