Après quelques années d'absence, l'auteur d'origine camerounaise Calixthe Beyala revient avec un nouveau roman: « Le Christ selon l'Afrique » (Albin Michel, 2014). Son héroïne, Boréale 20 ans et pleine d'ambitions finalement assez simples est symbolique d'une Afrique qui se cherche et qui va plutôt mal, malgré ses nombreuses richesses. Elle gagnera pourtant une certaine forme de liberté, non sans peine. Écrit avec l'humour et la verve qu'on connaît à l'auteure, cette chronique de la rue africaine, avec la ville de Douala comme toile de fond, est aussi une critique acerbe de la montée des évangélistes sur le continent africain. Explications. |
Dans quel état d'esprit et dans quel contexte étiez-vous lorsque vous avez écrit ce livre?
Quand j'ai écrit cet ouvrage, l'Afrique venait de vivre des moments assez tragiques. Il y avait une instabilité je pense notamment aux événements de Côte d'Ivoire et de Libye et en même temps une circulation dense des idées et des idéaux. Et cette situation d'instabilité de la région avait poussé aussi bien l'élite que les peuples africains à se questionner sur l'avenir, les choix politiques et les choix spirituels. J'ai donc baigné au milieu de ces questionnements africains lorsque j'ai écrit ce livre; j'étais impliquée et triste.
Vous mettez également le doigt sur ceux qui, sous couvert de la religion, s'enrichissent alors que l'Afrique et les Africains s'appauvrissent...
Beaucoup de choses traversaient le continent, le remuaient, le secouaient, l'amenaient vers quelque chose d'autre. Il m'a paru évident que le religieux sous tendait tout cela. On parle beaucoup de l'islam et pas assez de la poussée des évangélistes. Ce qui se passe à Douala se passe aussi à Abidjan, à Libreville et même au Congo. Et partout, ces prophètes sont devenus un pouvoir à l'intérieur des pays. Aujourd'hui, ils ont un plus grand contrôle sur l'avenir du peuple que les dirigeants politiques, tellement ils sont influents. Et ceux qui contrôlent l'esprit des peuples contrôlent les peuples. Ils sont capables de provoquer des divorces, des mariages, des naissances, et quand on voit l'emprise qu'ils ont sur ces peuples, on ne peut que s'interroger sur ce qu'il adviendra. J'ai beaucoup travaillé là dessus. Je les ai approchés et j'ai mis en exergue d'autres courants d'idées qui traversent l'Afrique, à savoir le panafricanisme, la démocratie copiée sur le modèle occidental, et l'égyptologie très présente dans le livre. J'ai donc choisi un personnage essentiel qui est Boréale. Une jeune célibataire de 20 ans qui travaille et qui vit avec sa mère dans ce quartier pauvre de Douala, et à qui on demande de faire un enfant pour sa riche tante, qui n'a pas eu d'enfant. Elle est aussi dans un univers où elle se cherche. Mais elle a son utilité et son heure de gloire. A la fin, c'est une femme libre, et c'est cette Afrique libre, qui contrôle son destin, que cette fille symbolise.
Vous réinventez la langue française et vous vous la réappropriez. Surtout, vous créez des néologismes qui sont à la fois drôles et très imagés. Est-ce parce que la langue française n'est pas suffisamment riche pour décrire nos réalités africaines?
Certes, elle n'est pas suffisamment riche pour décrire nos réalités africaines, mais elle est élastique et peut être travaillée. De plus, le travail littéraire ne consiste pas seulement à raconter une belle histoire, il y a un véritable travail sur la langue. Il faut la rendre poétique, subtile, perceptible, facile et difficile à la fois. C'est comme de la pâte à modeler que je m'amuse à retravailler et à renouveler selon mes humeurs. Vous ne pouvez pas savoir quelle joie j'éprouve chaque fois que je trouve un mot, une association d'idées au départ contradictoire, mais qui après a un sens, et c'est ça le travail littéraire pour moi. Je trouve que la musique est la forme la plus élevée de la pensée et de l'expression humaines.
De même, les noms de vos personnages ont du sens...
Je ne choisis jamais les noms des personnages au hasard, et j'ai fait un énorme travail sur les noms, en effet. Boréale, ça n'existe pas. C'est une aube magnifique, et je voulais que cette jeune fille symbolise cette aube là. Homotype parce que c'est un être à part et assez exceptionnel. Foning c'est la résonance d'un nom. Cette femme fait beaucoup de bruit, mais c'est un personnage très généreux.
Est-ce que vous travaillez vos personnages avec une trame ou est-ce que c'est de la psychologie des personnages que naît l'histoire?
C'est l'histoire qui vous choisit, ce n'est pas vous qui la choisissez. Un matin, il y a des choses qui viennent à vous. C'est pour cela que j'ai l'humilité de penser que, quelque part, nous sommes guidés par d'autres entités qui nous poussent à écrire. Et à un moment donné, il y a Le Christ selon l'Afrique qui vient vous retrouver, et vous devez vous mettre au service de tout ce qui va jaillir (les personnages, les idées). Car si vous commencez à dire « moi je vais écrire sur tel sujet... », c'est comme cela que naît un très mauvais romancier.
Si vous deviez donner envie à quelqu'un de lire ce livre, qu'est-ce que vous lui diriez?
Lire c'est une rencontre entre un auteur et un public, entre un lecteur et un livre. Tous les mots que je pourrais employer pour essayer de convaincre les lecteurs seront des mots trop faibles. C'est vrai que j'aimerais beaucoup que ceux qui nous lisent aient la curiosité d'y aller et qu'ils me disent ce qu'ils en ont pensé.
Qu'est-ce qui vous a donné l'envie de lire et d'écrire?
Depuis toujours, j'ai eu envie de lire. Enfant, déjà, je me perdais dans les bandes dessinées. J'étais une enfant très solitaire qui ne participait pratiquement pas aux jeux d'enfants. Je pense que c'est la mort de ma sœur lui m'a donné envie d'écrire. Cela a boosté quelque chose qui germait et qui était déjà en moi. Je n'ai pas eu la prétention de devenir écrivain, mais je le suis devenue. C'est un titre que j'ai même du mal à assumer. J'admire les gens qui me disent qu'ils sont écrivains mais je ne sais pas s'ils comprennent ce que cela signifie « être écrivain ». Quand j'étais jeune auteur, mon éditeur me disait de ne pas écrire écrivain sur ma carte de visite avant le 6e roman. Même au bout du 6e roman, je n'ai pas réussi à mettre écrivain sur ma carte, et au bout du 10e non plus. Je suis maintenant au 20e et je ne l'ai toujours pas fait. Peut être qu'un jour, les gens diront que je suis écrivain. Et ce n'est pas de la modestie, mais la conscience de l'amplitude de la chose.
L'ironie semble être une arme dont vous aimez vous servir...
J'ai toujours eu un côté un peu ironique, sarcastique et je suis comme ça. Pour moi, le monde sans le rire ne saurait exister.
Le livre finit presque comme il a commencé, sauf qu'à la place des psaumes qui sont un peu comme des remèdes à tous les maux que nous aurions dans nos vies, vous proposez des paroles de musique. Pourquoi?
Parce que j'aime bien ces chanteurs dont je parle. Je trouve que la musique est la forme la plus élevée de la pensée et de l'expression humaines. La musique c'est la parole de Dieu. J'ai donc proposé cela aux lecteurs parce que le livre traversait certaines époques avec des chanteurs dont la musique me parle, comme Manu Dibango, Bob Marley, Francis Bebey et bien d'autres encore. Ces chanteurs correspondent aussi à certains chapitres du livre.
Propos recueillis
par Claire Renée Mendy