Ecrivain et scénariste, Calixthe Beyala a été récompensée par de nombreux prix littéraires. Son combat et son ambition volent aujourd'hui au secours de la sous-représentation des minorités visibles. Elle se confie à Amina. |
Pouvez-vous nous décrire le MAF (Mouvement des Africains-Français) ?
Initié en juin 2011, le mouvement dont je suis la présidente a pour vocation de faire entendre d'une seule et même voix les revendications de ces Africains-Français qui, représentant quelque 15 % de la population, semblent rejetés du débat national. Notre démarche est intellectuelle et culturelle. Elle s'adresse à tous ceux qui ont une double culture et contribuent, par leur présence, à la riche diversité dont l'Hexagone se fait l'écho. Entrepreneurs, cadres supérieurs, chercheurs, artistes participent à la grandeur et à l'exception française; à ce titre, ils doivent être écoutés. C'est un combat quotidien que je mène avec discernement. Une stratégie qui doit servir d'exemple à tous ceux qui veulent s'investir et apporter leur pierre à l'édifice en construction. Nul n'est épargné. Pour cela, il faut que l'état révise son cahier des charges et prenne en considération nos exigences, afin que nous puissions travailler main dans la main avec nos pairs, sans préjugé ni obstination. Ajoutons que nous ne voulons pas d'assistanat, mais la simple reconnaissance de notre poids dans l'économie française. A cet égard, le succès grandissant du MAF est plus qu'encourageant.
En tant que femme, comment le vivez-vous ?
C'est un honneur, et de surcroît un grand privilège. Etre une femme est un enjeu capital. Car c'est la femme qui a construit, de toutes pièces, le continent africain, lui a donné les atouts nécessaires à son développement. En responsable occupant de multiples fonctions à différents échelons de la société ou bien en simple mère de famille, la présence féminine est indissociable de tout épanouissement. Et depuis longtemps l'homme l'a compris, percevant en sa démarche, le germe d'une création toujours plus féconde. Par là-même, il l'a portée, tout naturellement au pouvoir. N'oublions pas que l'homme est avant tout un guerrier et non un concepteur. En Afrique, la femme est respectée, voire adulée. Il faut donc mettre fin à ces clichés sordides qui nous réduisent à des tâches subalternes. Mon rôle au sein du MAF est précisément de montrer ce dont nous sommes capables, notamment en matière d'éducation.
Pensez-vous que l'éducation est en péril ?
Certainement, si nous n'y prenons pas garde ! A l'instar de l'humaniste Cheick Anta Diop, je pense que la culture grandit les peuples. Lui-même prônait la maîtrise des systèmes éducatifs. Un objectif qui visait l'enracinement des sciences en Afrique, la restauration de la conscience historique africaine, la contribution au progrès général de l'humanité et à l'éclosion d'une ère d'entente universelle. Or nombre de jeunes aujourd'hui sont en difficulté,voire en échec scolaire, ou en déperdition intellectuelle, ce qui est grave. Or un peuple instruit est un peuple sauvé. C'est le cheval de bataille de notre mouvement que de permettre à chacun de s'élever au rang qui doit être le sien. Vecteur fondamental de l'économie, l'éducation doit résoudre les problèmes liés au chômage, à la dégradation et au chaos. Qu'il soit noir, blanc ou jaune, chaque être humain a quelque chose à apporter. C'est essentiel à la survie de toute humanité. Et c'est précisément par le biais de l'éducation que l'homme peut engager des actes concrets, porteurs d'espoir pour des générations entières.
Est-ce le but de votre démarche intellectuelle ?
Sans nul doute. Grand prix littéraire d'Afrique noire, Grand prix du roman de l'Académie française, Grand prix de l'Unicef, Chevalier des Arts et Lettres, je me suis toujours penchée sur les problèmes de l'humanité, ses souffrances, ses aspirations mais aussi l'aveuglement de ceux qui refusent de voir la réalité d'hommes et de femmes œuvrant à leurs côtés. Marquée par la pauvreté de mon milieu, issue d'une famille nombreuse, j'ai toujours porté attention aux valeurs qui nous animent, et qui font de chacun des êtres uniques et dignes d'intérêt. Dans mes romans, mes personnages portent toujours l'empreinte d'un monde tourmenté, mais auquel il faut croire, pour ne pas courber l'échine et réaliser de grands projets à notre dimension. C'est en étant solidaires que nous progresserons. C'est en étant forts, que nous attirerons les regards vers notre félicité.
Qu'attendez-vous du nouveau gouvernement ?
Qu'il écoute nos revendications. Qu'il sache reconnaître que nous sommes des enfants de la République, à part entière. La diversité n'a de sens qu'à cette condition, sans préalable, ni faux-fuyant. Il faut que le gouvernement prenne ses responsabilités. Car nous ne pouvons, rester en l'état où 10 millions d'Africains-Français se trouvent totalement désorganisés face à leur avenir, face à leur statut, où la majorité se trouve en marge d'une société repliée sur ses convictions, où le chômage frappe 40 % de nos ressortissants, à l'heure même où la moyenne nationale n'est que de 10 %. D'autant plus que le refus de la main tendue peut-être préjudiciable pour l'image d'une France, patrie des Droits de l'homme et du citoyen. Alors nous appelons la République à réviser ses fondamentaux, afin de dissiper le malaise face à cette injustice flagrante.
Quels sont vos projets ?
Après trente ans de militantisme acharné, après avoir été en charge - dès 1998 - du Collectif égalité, j'aimerais voir mon combat s'achever par la réalisation d'une Maison de la Culture africaine qui réunirait tout le monde dans un élan de fraternité. Pas besoin de grands espaces, ni de beaucoup d'argent pour finaliser le projet, mais la volonté de chacun pour atteindre le but et voir naître, au grand jour, un lieu de convivialité et d'échanges, de dialogue et de culture. Tant de voix s'élèvent, tant de talents attendent un soutien, qu'il nous faut agir vite pour ne pas voir tant d'espoir s'évanouir ! Prévue aux alentours de 2014, son ouverture pourrait peser sur les prochaines échéances électorales et réorienter les politiques vers notre combat.
Globalement, comment voyez-vous l'avenir ?
Sincèrement, l'humanité me fait peur ! Les guerres, le repli identitaire, les confrontations religieuses, l'effondrement économique conduisent à la destruction. Or la violence ne règle rien. Il faut que l'homme prenne davantage de recul pour analyser la situation, conduise une autre politique, fasse l'apologie de la paix, seule capable de sauver notre monde fragilisé. Là encore, l'éducation et la culture ont leur rôle à jouer. Par la connaissance et le partage des richesses communes, la compréhension de l'autre, elles permettent de réunir les peuples, de parvenir à des accords communs, d'envisager des solutions fiables afin d'éviter les dérapages, les dérapages, les exactions qui conduisent à la catastrophe. Le propre de l'homme est d'atteindre le bonheur par les voies de la générosité, de l'altruisme, de l'hospitalité, de la bonté qui forment le socle de tout édifice. C'est bien précisément ce pourquoi se bat le Mouvement des Africains-Français, aujourd'hui.
Propos recueillis
par Chantal Guionnet