A près l'incendiaire « Afrique, Alerte à la Bombe » (1995, éditions MINSI), Marie-Louise Abia, Congolaise, professeur d'anglais, signe « Bienvenus au royaume du Sida » (2003, éditions ICES). Véritable cri d'alarme, ce deuxième livre traite du sida et de l'urgence de prendre au plus vite nos responsabilités, « à moins, bien sûr, que nous ayons délibérément décrété d'être les derniers de l'espèce ». Interview. |
Qu'est-ce qui vous a poussé à écrire ce livre sur le sida ?
J'ai voulu mettre en lumière le monde de quelqu'un qui est malade. Comment vit-il avec ce virus ? Quelle est la place qu'il lui donne ? Et que deviennent les autres pour lui ... ? J'ai donc voulu montrer comment on vit avec cette destruction du système immunitaire qui vous ouvre à toutes les maladies. Je me suis sentie concernée par le fait que bien des gens, pas seulement des Africains, semblent ne pas vouloir mourir « seuls » et préfèrent entraîner les autres. Certains se trouvent des coupables, ils préfèrent accuser plutôt que de porter cette charge. Ils pensent que ce serait bien que personne ne le sache et continuent à faire ce qu'ils font. J'ai voulu remettre les gens devant leurs responsabilités parce que nous sommes aussi responsables de la vie des autres. Et ce n'est pas parce que l'on est contaminé que l'on doit contaminer les autres. Il faut vivre et laisser vivre.
Avez-vous déjà été confrontée à ce genre de comportement ?
Oui, comme chacun, j'ai connu quelqu'un qui en est mort : une très bonne amie à moi. C'est pour cela que j'ai voulu dire que le sida n'atteint pas que les prostituées. Car même les personnes les plus pieuses peuvent en être atteintes par transfusion, ou à la suite d'une petite imprudence, il n'y a pas que le sexe.
Le fait que l'Afrique soit stigmatisée vous agace aussi...
C'est vrai, tout le monde veut sauver l'Afrique du sida, mais elle souffre de tellement d'autres maux: la guerre, la famine... Il ne faut pas se concentrer sur cela. Les Occidentaux nous montrent du doigt :« Regardez-les, ils meurent du sida ! ». Ils semblent oublier que chez eux aussi, il y a le sida. D'ailleurs on ne donne pas les chiffres des séropositifs européens. Et surtout, on oublie qu'il y a aussi des gens qui n'ont pas le sida en Afrique. Ne va-t-on pas les sauver ? On peut mettre en place des systèmes d'aide comme en France avec la sécurité sociale. Pourquoi l'Afrique ne bénéficie-t-elle pas de cette couverture sociale universelle alors que les plantes qui aident à faire les médicaments partout dans le monde viennent souvent des forêts d'Afrique ?
Pourquoi ne pas avoir abordé ce thème sous la forme d'un essai ?
J'ai volontairement écrit des nouvelles: j'ai voulu exposer les différents aspects des causes qui peuvent amener à être atteint du sida, même si ce n'est pas exhaustif. En un essai j'aurais dit d'un trait tout cela. Mais avec un roman, on montre mieux que ces histoires sont celles de « monsieur » et « madame » tout le monde. Cela me permet d'interpeller le lecteur afin qu'il se demande comment il aurait agit s'il avait été à la place des personnages. La décision qu'ils finissent par prendre, était-ce la seule solution ?
Parlez-nous de l'infirmière. Comment est né son personnage ?
J'ai peur des injections. J'ai imaginé que chez nous l'infirmière vient prendre votre seringue et se rend dans une salle de soins pour faire un mélange avant votre injection. Et je me suis toujours demandé pourquoi elle ne le faisait pas devant le patient ? Je crois que les gens doivent être plus exigeants et demander à ce que tout soit fait sous leurs yeux. J'imagine que le scénario que j'ai imaginé peut arriver.
C'est quand même une situation catastrophique et extrême, n'est-ce pas ?
Je ne juge pas, je ne critique pas, mais je constate que la déontologie n'existe pas chez nous; un médecin peut, par exemple, briser le secret médical et vous dire que tel ou tel a le sida. Malgré son serment, il n'est pas rare qu'il vous expose. En fait, les gens font leur travail par nécessité. Et par nécessité, ils peuvent vous mettre en danger. Le manque d'humanité des gens de chez nous, et surtout des infirmières me choque. C'est réel et dangereux, car ne pas considérer l'être humain est la pire des choses. Le simple fait de soigner quelqu'un, c'est l'aider à vivre.
Vous allez encore vous faire des amis avec ces nouvelles ...
J'espère surtout que les hommes politiques vont contribuer à l'éducation de la population. S'ils ne sont là que pour l'oppression, on n'en veut pas ! Eux qui sont « les pères de la nation », s'ils n'éduquent pas leurs enfants, c'est qu'ils ne valent rien. Il faut qu'ils nous prouvent qu'ils aiment leur pays.
Vous semblez toujours écrire pour tirer la sonnette d'alarme ...
J'écris toujours quand j'ai mal. Je ne sais pas comment le dire à tout le monde en même temps, donc j'écris. J'aurai toujours des sujets de ce genre. La prochaine fois, ce sera le Pape qui me tuera : je pense à un titre comme « Hommes et femmes, Dieu les créa ».
Si votre éditeur vous avait demandé de changer le titre de votre livre, quel autre titre auriez-vous choisi ?
« Bienvenus au royaume du sida » ! (rire). Je ne sais pas comment le dire autrement. Je ne passe pas par quatre chemins: je dis les choses comme elles sont. Si quelqu'un vous transmet le sida volontairement, c'est qu'il vous souhaite la bienvenue dans son monde...
Propos recueillis
par Renée Mendy Ongoundou
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