Des personnages touchants, des récits poignants autour de la relation de couple, l'amitié et la maladie. Une œuvre pleine d'humanité que salue une critique unanime. Hemley Boum se livre dans Amina sur son deuxième roman paru aux éditions la Cheminante en 2012. |
La condition féminine est la thématique centrale de cette œuvre. C'est un sujet important pour vous?
Je suis toujours un peu surprise lorsque l'on me fait cette remarque. « Si d'aimer » n'était pas a priori axé sur la condition des femmes, en tout cas pas au moment où je l'écrivais. Mais il semblerait que cette thématique est ce qui frappe à la lecture de ce livre. Ceci dit, c'est vrai que la question des femmes m'interpelle et cela transparaît dans mon écriture. Les femmes connaissent les difficultés communes à toute la société mais elles doivent aussi faire face à des obstacles liés à leur genre. « Celui qui tient la femme, tient la société toute entière » disait Jules Ferry pour justifier que les femmes aient accès à la même éducation que les hommes et puissent participer à la transition nécessaire de l'obscurantisme religieux à la lumière républicaine. D'ailleurs, à ce sujet, les religions ne s'y trompent pas non plus. Toutes, aussi nombreuses qu'elles soient, ont depuis longtemps compris la nécessité de « tenir la femme », de maîtriser son corps et son esprit, de la rendre partie prenante d'un projet social par la conviction ou par la force; l'idéologie qui gagne la femme à sa cause impose son projet de société. Telle est la vérité. Mais où est la volonté propre de la femme dans ce calcul? Que veut-elle faire de sa vie? Est-elle libre de ses choix? Jusqu'à quel point?
En mars dernier, au Salon du livre de Paris, vous avez participé à une table ronde autour des « lettres féminines » au stand « Livres et auteurs du bassin du Congo ». Le débat a porté sur la littérature féminine et ses revendications. L'écriture est-elle une arme pour vous?
Je me suis mise à l'écriture sur le tard et je ne la considère certainement pas comme une arme. Il s'agit simplement d'un mode d'expression. Malgré tout, je suis consciente qu'un livre est dans un sens une prise de position officielle. Je l'assume comme tel. J'aborde des thèmes qui me tiennent à cœur. Mes livres s'inspirent des réalités sociales et s'y adossent.
Dans ce roman, vous décrivez une société camerounaise sexiste qui banalise la violence faite aux femmes et cautionne les infidélités conjugales du mari. Puisez-vous votre inspiration d'expériences vécues glanées autour de vous?
Comme vous y allez... Le livre est plus nuancé que cela, il ne se veut pas partisan. La société décrite n'est pas sexiste, en tout cas pas dans le sens où elle brime les femmes. Elles y ont leur place, d'une manière ou d'une autre. Celle que leur octroie la société, comme Salomé au début du livre; celle qu'elles arrachent à un mari violent comme Bella; celle qu'elles construisent elles-mêmes en fonction de leurs convictions et de leurs expériences comme Valérie et d'autres femmes de ce roman. Aucune d'elles n'est une victime, ou, en tout cas, ne se conçoit comme telle. Aucune ne pleurniche sur un destin contrariant et ne s'avoue vaincue. Telle est l'expérience que j'ai des femmes dans mon entourage.
Salomé, l'un des personnages clés du livre quittera son mari, lassée par ses trahisons et refusant de lui pardonner sa dernière liaison. Sa mère lui conseillera de regagner son foyer. Quel message avez-vous voulu transmettre à travers cette scène?
Salomé quitte son mari non parce qu'elle est lassée de ses infidélités, elle aurait pu les supporter, mais parce qu'il lui a transmis le VIH. Il l'a condamnée à mort, l'a livrée à l'opprobre de la société. Cette tragédie fait exploser son monde ultra protégé et la laisse face à elle-même, à ses propres manquements, à ses lâchetés et sa compromission. Les mères sont gardiennes de la famille, de la cohésion. La sienne lui parle en tant que telle. Même si elle comprend les décisions de Salomé, elle lui demande de tenir son rôle social, hors duquel guettent l'anarchie et la désorganisation. Pour cette mère, la cohésion de la communauté prend le pas sur l'épanouissement individuel. Mais Salomé n'est pas de cet avis. Elle vit une expérience inédite, la maladie la fragilise et en même temps lui offre des perspectives auxquelles elle n'aurait pas songé autrement. Les deux visions se confrontent, elles sont toutes les deux envisageables, mais c'est le personnage qui décide ce qui est le mieux pour elle.
Le portrait de Valérie, la femme libre et croqueuse d'hommes avérée, n'est-il pas quelque-peu subversif?
Valérie peut être perçue comme subversive, tout comme n'importe quelle autre femme, quelle que soit la société dans laquelle elle vit, décidant de vivre sa vie en dehors des sentiers battus. Il faut cependant noter que Valérie choisit de vivre sa liberté sans heurter la société dans laquelle elle évolue. Son amie Salomé paraît bien plus subversive et socialement agressive lorsqu'elle quitte son mari pour s'installer avec un autre homme, puis décide de mener sa vie comme elle l'entend.
Vous traitez de façon approfondie la question du VIH dans ce livre. Pensez-vous qu'en dépit du danger, les comportements sexuels à risque perdurent?
Les comportements sexuels à risque perdurent évidemment. Je ne suis certainement pas dans la critique des comportements sexuels des uns et des autres. Le fait est que le risque est inhérent à l'acte sexuel et il est inutile d'espérer le dompter définitivement. Si le VIH est en quelque sorte l'un des moteurs de ce livre, c'est plutôt parti d'un constat positif. Grâce aux nouvelles thérapies, je vois autour de moi des personnes porteuses du virus mener une vie normale, faire des projets. Cela n'était pas envisageable il y a encore quelques années. Je pouvais dès lors me saisir de cette problématique dans le cadre d'un roman, parler de la vie, de la nécessité de penser et de construire son existence, pas seulement de deuil et de mort.
Pour finir, un mot peut être, sur ces romancières qui vous ont marquée et donné l'envie d'écrire à votre tour?
Toni Morrison est ma romancière favorite depuis toujours, je l'ai découverte avec "Beloved", je devais avoir 15-16 ans, et elle n'a jamais cessé de m'émouvoir. Et j'aime beaucoup Joyce Caroll Oates, Charlotte Brontë.
Propos recueillis
par Ralphanie Mwana Kongo