Sarah Bouyain est une métisse française par sa mère et
burkinabé par son père. Née en 1968, elle fait des
études de mathématiques, puis l'école de cinéma
Louis Lumière. En étant assistante de caméra, elle
décide alors de s'intéresser à ses origines africaines.
Sarah Bouyain est également partie au Burkina-Faso à la recherche
du passé à travers des témoignages, même si les gens
ont du mal à en parler. Des nouvelles originales drôles et fascinantes sur le passé des habitants du Burkina-Faso à l'époque de la colonisation. Les militaires et les fonctionnaires français avaient une cohabitation un peu étrange avec les femmes de ce pays anciennement appelé Haute-Volta. Ces hommes qui y séjournaient pour une durée de deux ans au maximum avaient des enfants avec ces femmes, alors qu'ils savaient pertinemment qu'ils n'assumeraient pas leur paternité. Ces enfants n'étaient donc pas reconnus. Les Africains horrifiés par ces comportements prièrent les blancs de changer leur attitude envers ces femmes. Mais, afin de se donner une soi-disant bonne conscience, les autorités coloniales décidèrent alors de créer des orphelinats de métis. Les enfants étaient alors arrachés à leur mère, pour être élevés dans ces orphelinats, à la manière des blancs français. Ils avaient accès à l'éducation, à la culture française plus précisément et, surtout, ils étaient distingués des autres enfants du pays : un mystère pour ces enfants qui ne connaissaient pratiquement pas leur père. Ils refusaient également l'idée qu'ils aient été abandonnés. Devenus grands, ces enfants épousaient des hommes cultivés noirs ou blancs et créèrent malgré eux une petite bourgeoisie aux attitudes françaises qui enchantaient le gouvernement colonial. L'histoire de quelques personnes, de quelques femmes, des années après la colonisation, après que quelques-unes aient pu se rendre en France ou aient occupé de bons postes, Sarah Bouyain la raconte avec une pointe d'humour, de fantaisie, parfois, dans ses personnages. Mais, sans détour, Sarah Bouyain retrace l'histoire dramatique de ces personnes, leur tristesse et leur sentiment de rejet que certains burkinabés nourrissent à leur égard. Un rejet souvent dû à la jalousie envers leur peau métisse qui fait des envieux, mais suscite également du mépris. Sarah Bouyain va plus loin, elle présente le sentiment de honte que les enfants venus d'Afrique peuvent quelquefois ressentir lorsqu'un parent n'essaie pas de se fondre dans la masse, eux qui ont un fort désir de s'intégrer dans la société française. L'amour est également très présent, de l'amour envers une enfant pas très appréciée par sa mère et de l'amour à l'égard d'un père inconnu qu'une jeune-fille tentera de retrouver au Burkina-Faso. La plume de Sarah Bouyain surprend. Elle qui est une métisse née en France et qui a grandi dans ce pays, elle a su faire passer l'accent africain dans son livre. Le lecteur ne peut que suivre et laisser libre cours à sa propre imagination. Les expressions sont drôles et les réflexions et les comportements de certains personnages peuvent paraître exagérés, mais ils sont teintés de vérité. Absatou Keita qui trouve Joséphine laide, Rachel partie retrouver son soi-disant père pense que les burkinabés apprécieront ses nattes à la façon rasta. Cette Rachel, qui en fait un peu trop, passe pour une fille facile, une 'fille-africaine-minute". Mais c'est la vision idéaliste d'une jeune fille qui met les pieds en Afrique pour la première fois et qui s'imagine que sa coiffure et son attitude légère plairont.
Dans la région parisienne, Salimata veut se rendre invisible aux yeux des Blancs. Elle a honte des réflexions de sa mère et se sent concernée par le "sans-gêne" de certains de ses compatriotes. Loin de son pays et de sa fille, une Africaine se prend d'affection pour une jeune fille qui grandit dans l'indifférence de sa mère. |
La métisse que vous êtes avait-elle besoin de parler du passé ?
Le passé est en nous. Il était important que je cherche à connaître la partie africaine qui est en moi. Je voulais aussi la faire partager. Je crois que c'est également un bon moyen de connaître les autres et d'apprendre la différence.
Ce livre est donc un documentaire ?
Bien sûr que non. Je raconte des petites histoires. Les personnages sont inventés, les histoires aussi. Mais mon envie de les écrire vient de ce que ma grand-mère me racontait car elle est allée dans un de cas fameux orphelinats. Le fameux registre existe bel et bien. J'ai également rencontré une historienne métisse qui faisait des études sur la colonisation. Je me suis servie de mes recherches et de quelques témoignages pour écrire les nouvelles.
D'où tenez-vous les expressions et surtout le ton très chaleureux des Africains ?
Je les tiens de mes relations au Burkina-Faso et des amis de mon père. Quant à moi, j'apprends le "dioula" depuis trois ans.
Il y a une note d'hypocrisie dans le livre. Un de vos personnages, Absatou Keita, a l'air de détester la peau noire de son amie Joséphine, cela peut paraître étrange pour une Africaine ?
Non, ce n'est pas étrange ! Absatou, c'est le regard du noir évolué qui critique, mais ce n'est pas méchant. C'est un regard laissé par la colonisation. Il ne faut pas oublier qu'une peau métissée est encore aujourd'hui synonyme de jolie et beaucoup ont encore le côté blanc dans la tête. Ce qui est très paradoxal, car au temps de la colonisation au Burkina-Faso, les pères blancs abandonnaient leur enfant, parce qu'ils le considéraient comme noir. Mais, en Afrique, un métisse est presque considéré comme un blanc.
Le personnage de Rachel n'est-il pas trop exubérant ?
Je ne pense pas! Rachel est une jeune métisse qui a vécu en France. Elle voit pratiquement tous les jours des hommes et des femmes noirs coiffés de tresses. Pour elle, l'Afrique c'est ainsi. Elle pense aussi que, pour s'attirer la sympathie des habitants, il faut adopter une certaine attitude... attitude qui est naturelle chez-elle. Malheureusement, elle est considérée comme une fille aux moeurs un peu légères car les Burkinais attendent d'elle qu'elle se comporte comme une blanche, mais elle veut être noire.
Etre métisse, c'est se sentir vraiement conerné par toutes ces choses ?
Etre métisse, c'est ne pas s'asseoir sur ses certitudes. Maintenant je ne me sens pas la droit de parler pour les gens que je ne connais pas. En revanche, je peux les comprendre, tout comme je comprends Salimata.
Vous avez déjà réalisé un documentaire sur la colonisation, intitulé 'Les Enfants du Blanc". Comptez-vous aller encore plus loin ?
Je ne sais pas encore. Je fais toujours des recherches, je n'ai pas un but bien précis, j'apprends pour moi et je fais partager comme je peux. Actuellement, un portrait filmé d'Albert Memmi est en préparation. J'espère aussi que j'écrirai d'autres livres, sur les sujets qui me tiennent à coeur.
Propos recueillis
par Ariane Aron