NoViolet Bulawayo est née au Zimbabwe où elle a grandi avant de partir pour les Etats-Unis. Elle a obtenu une Maîtrise à l'Université Cornell et a travaillé comme professeur d'anglais. Elle enseigne maintenant à l'Université de Stanford. Ses romans ont remporté de nombreux prix y compris le Caine Prize for African Writing en 2011 pour son roman « Il nous faut de nouveaux noms ». Cet ouvrage apporte un ton résolument nouveau, très vivant et spontané, tel une caméra filmant des enfants au Zimbabwe. La joie et la spontanéité de ses personnages transcendent les conditions de vie du quartier Paradise. Malgré l'exil de son héroïne, c'est un roman d'amour envers son pays natal. |
Votre roman « Il nous faut des nouveaux noms » se passe au Zimbabwe et il est écrit à la première personne. Vous êtes-vous inspirée de votre propre enfance et de votre déménagement aux USA?
J'ai été inspirée par les deux mais dans un sens différent. J'ai grandi dans un Zimbabwe différent de celui d'aujourd'hui. J'ai eu une très belle enfance, normale et sans rapport avec celle de Chérie. Mais malgré ça, j'ai puisé dans mes souvenirs pour créer la personnalité de Chérie et sa voix. Je me suis par exemple surprise à réfléchir à ce que je disais quand j'étais une petite fille, ou à me rappeler quel genre d'amis j'avais et les jeux que nous aimions. Parallèlement, mon pays m'a aussi inspirée car au cours de la dernière décennie les choses se sont détériorées et cela a un lien direct avec l'écriture de « Il nous faut des nouveaux noms ». Le roman fait apparaître des témoins d'une époque indissociable de l'histoire du Zimbabwe.
Votre style est aussi spontané que le langage et la façon de vivre de ces enfants.Vouliez-vous raconter cette histoire selon leur point de vue?
Les premières ébauches du roman avaient un ton différent, le ton d'un adulte, en fait, et bien sûr ce n'était pas aussi drôle car il y a seulement certains domaines où l'on peut faire dire et agir comme on veut un adulte. Au beau milieu de mon roman, j'ai découvert Chérie et son ton différent, et j'ai été gagnée par son attitude et son intensité à tel point qu'à la fin j'ai dû raconter l'histoire avec sa voix. J'ai senti que c'était de cette façon que je devais l'écrire.
Aviez-vous écrit de la poésie au préalable? Il y a un souffle puissant à certains endroits du roman qui rend votre style lyrique, épique, comme une mélopée...
J'ai suivi des cours de poésie quand j'ai commencé l'université, bien que je n'en sois pas spécialement fan. Mais la musicalité du langage, le « flow », sa beauté me fascinent. J'essaie d'écrire dans ce style, là où je peux le faire.
Chérie est comme toutes les adolescentes, elle s'adapte à une nouvelle culture et essaie d'avoir son univers et sa vie à elle. On voit que son enfance est loin...
Absolument. Après plusieurs années, le déménagement de Chérie aux États-Unis marque une rupture avec son enfance et plusieurs aspects d'elle-même. Toutes les réalités auxquelles elle doit faire face, montrent qu'elle est devenue une nouvelle personne.
Chérie reste attachée à son pays natal: à son quartier Paradise, à sa famille, à sa mère. Elle est travaillée par les problèmes de son pays, mais elle est trop loin pour faire quoi que ce soit. Se sent-elle coupable ou en colère contre elle-même de vivre éloignée de son pays?
Chérie se sent coupable de profiter d'une vie sûre et normale aux USA alors que son pays brûle. Mais jusqu'à sa conversation avec Chipo, à la fin du roman, elle n'en a pas conscience. Certains immigrants, dont je suis, peuvent s'identifier avec cet état de chose. Le fait de jeter son ordinateur est une réaction instinctive de Chérie face aux accusations de Chipo; elle est en colère d'être mise en accusation mais sa réaction vient aussi de son mal être dû à sa position privilégiée.
Pourquoi avoir choisi ce titre: « Il nous faut des nouveaux noms »? Est-ce lié à l'immigration?
La locution « Il nous faut des nouveaux noms » exprimait l'espoir que nous puissions améliorer les choses, là où nous vivions, dans le pays tel qu'il était quand j'ai écrit le livre. Je me disais « Il nous faut des nouveaux noms », c'est-à-dire nous devons imaginer notre réalité et nos destinées d'une nouvelle manière, avoir un nouveau regard sur nous même et sur notre gouvernement.
Vous vivez aux États-Unis. Allez-vous souvent au Zimbabwe?
J'ai vécu aux États-Unis pendant treize ans sans pouvoir retourner au Zimbabwe, mais maintenant je peux y aller régulièrement et j'ai l'intention de continuer aussi souvent que possible. C'est un endroit qui est important pour mon travail, en plus d'être mon pays natal où, bien sûr, la majeure partie de ma famille vit encore.
Comment vivez-vous le fait d'habiter dans un autre pays que votre pays d'origine?
C'est difficile de vivre loin de sa terre natale, particulièrement quand vous y avez été élevée et que vous y êtes aussi attachée que je le suis. Le Zimbabwe m'a manqué terriblement lors de mes premières années aux États-Unis, et il me manque encore; c'est un sentiment avec lequel je dois vivre. Ceci dit, j'ai appris qu'un périple hors de son pays peut parfois nous amener à des choses magnifiques. J'ai fait mes études aux Etats-Unis et en même temps j'ai eu la chance de vivre ma passion: l'écriture. La personne que je suis aujourd'hui est pour beaucoup un produit américain tout autant que Zimbabwéen. Vivre ailleurs m'a donné une vision de la vie beaucoup plus large. Être loin du pays n'a pas été sans sacrifices, mais il y a eu aussi des bénéfices.
Avez vous un autre projet de roman? Et si oui, quel en sera le sujet?
En ce moment, je ne suis pas en phase d'écriture intense, juste en phase de repos jusqu'au prochain projet.
Propos recueillis
par Pascale Athuil