Andreattah Chuma a commencé à rédiger des poèmes un peu par hasard. Tout débute dans les années 2000, à l'époque sur le site web de la grande animatrice américaine Oprah Winfrey, des jeunes filles peuvent avoir un espace privé où se loguer pour rédiger des textes. Pendant quelques années, la jeune fille écrit tout ce qui lui passe par la tête mais surtout ce qui la révolte. De pages en pages, elle gagne en assurance et perfectionne son style. Arrivée à la South Africa University, elle rejoint un club de poésie et déploie son talent. Depuis, la jeune femme originaire du Botswana écrit et se produit à travers le monde. |
Vous êtes poète mais vous avez également un autre métier...
Je travaille en tant que vérificateur dans le département de l'information et de la technologie chez Euroclear à Bruxelles. Avant de venir en Europe, je travaillais déjà dans mon pays, et j'ai toujours combiné mon travail et la poésie. Je serais donc tentée de dire que je vis à la fois ma vie d'employée et en parallèle ma vie de poétesse. Je suis donc tentée de vous demander comment est ce que vous arrivez à combiner les deux? Le domaine de la technologie et celui de la poésie qui au premier abord n'ont vraiment rien de commun. Ce sont deux mondes qui sont diamétralement opposés. Dans le domaine technologique, tout est régi par des règles bien solides que je dois respecter, et en poésie j'ai plus de liberté et je peux créer des choses à ma guise sans forcément me conformer à des règles préétablies. Ma poésie me permet de m'évader vers un autre univers, j'aime ce que je fais dans ma vie professionnelle, mais en même temps j'aime la poésie. Je pense qu'en tant qu'être humain, nous devons être en mesure d'avoir plus d'une chose qui nous passionne!
Quand exactement avez vous commencé à vous intéresser à la poésie?
J'ai commencé à faire de la poésie en 2005 pendant que j'étais à l'université, à Johannesburg, en Afrique du Sud. Je ne me suis pas tout de suite rendu compte que j'étais en train de devenir une poétesse. Tout a commencé quand j'ai décidé d'écrire mes pensées, mon ressenti dans un journal intime qui était hébergé à l'époque sur le site d'Oprah Winfrey. Un peu comme Facebook aujourd'hui, il y avait un espace sur ce site web où on pouvait aller et écrire tout ce qu'on voulait. Au fur et à mesure que j'écrivais, j'ai vu que mes propos commençaient à avoir de la teneur et surtout qu'ils véhiculaient quelque chose. à partir de ce constat, j'ai commencé à faire de la poésie dans un cercle estudiantin et j'ai compris que ce que les autres faisaient avait plusieurs similitudes avec ce que j'écrivais dans mon journal. Chaque fois que je rentrais dans mon pays, au Botswana, pendant les vacances scolaires, je m'arrangeais pour fréquenter un groupe de poésie; cela m'a beaucoup aidée à perfectionner mon art. De vers en alexandrins, j'ai pris confiance en moi et j'ai alors commencé à participer à des événements publics ayant trait à la poésie en Afrique du sud et au Botswana avant d'être invitée à participer à des événements littéraires en Europe. En 2006, j'ai été invitée à participer à une tournée de poésie organisée en Grande Bretagne. Avec plusieurs autres jeunes poètes qui venaient des quatre coins du globe, nous avons voyagé dans toute l'Angleterre et même en écosse pour donner plusieurs performances dans le cadre de « 13 cities UK Slam Tour » organisé par Hammer & Tongue.
Vous souvenez-vous de ce dont parlait votre premier poème?
Le premier poème que j'ai écrit "Africa my forgotten land" avait pour principale thématique l'Afrique. Je me souviens que j'y dénonçais le fait que des personnes qui viennent de l'extérieur du continent, essentiellement l'Europe et les états Unis, donnent l'impression d'être émerveillées quand elles viennent sur le continent africain, une fois de retour chez elles, mais comme par enchantement n'ont aucuns scrupules à parler de l'Afrique d'une manière tout à fait péjorative.
Vous venez de nous narrer la manière dont vous êtes arrivée dans l'univers de la poésie et les différentes opportunités qui ont jalonné votre carrière. Après autant de circonstances favorables, quel a été votre parcours dans cette sphère dont vous faites pleinement partie actuellement?
Comme je vous l'ai dit précédemment, pendant mes études j'ai souvent fait le voyage entre l'Afrique du Sud et le Botswana où je fréquentais assidûment un club de poésie. Une fois que mon art a commencé à être reconnu, j'ai pu faire les premières parties de concert de grands artistes connus comme Yvonne Chaka Chaka et Mafikizolo à Jobourg et d'autres villes en Afrique du Sud. En 2009, j'ai été invitée en Suède dans le cadre du Ordsprak Festival, organisé à Uppsala. Il s'agit d'un festival international de poésie qui rassemble plusieurs concurrents venus du monde entier. Je dois dire que dans mon pays, ma poésie a été très bien accueillie, les médias se sont intéressés à mon travail artistique, je crois aussi que cela a permis à ma carrière de prendre la tournure qu'elle a pris. Je m'estime heureuse et dotée d'un don que j'essaye d'utiliser le plus possible. Je dois reconnaître que tout ce que je fais est en général bien reçu dans mon pays, cela a également été le cas de l'album musical que j'ai écrit en 2010.
A part la poésie, vous faites aussi de la musique?
Oui. En 2010 j'ai enregistré un album qui s'intitule 1980 was a good year. 1980 est l'année de ma naissance et j'estime que c'était une excellente année (sourire). Dans cet album, je mélange poésie et musique. Une fois que l'album a été mis en vente, j'ai été invitée sur tous les plateaux télévisés et les stations de radio au Botswana. Encore une fois, je dois reconnaître que la presse a permis que mon travail soit connu dans mon pays et partout ailleurs.
Que représente la poésie pour vous? Que vous apporte t elle dans votre vie de tous les jours?
La poésie m'aide à interpréter ma vie et ce que la vie nous offre à tous en tant qu'êtres humains. Quand j'écris un poème, c'est d'abord et avant tout pour moi même. Vous savez, il y a des poèmes que je n'ai jamais proposé au public parce que j'estime qu'ils m'appartiennent d'abord et que je suis la seule à pouvoir décider de ce qu'ils deviendront. Quand je décide d'écrire un poème, c'est parce qu'il y a quelque chose, une situation que j'ai vue, qui m'a laissée sans voix et je décide de me «guérir» et de trouver la quiétude en écrivant. La poésie est un don qui me permet de comprendre le monde et à faire face à certaines injustices. In fine, la poésie m'aide à mieux appréhender l'environnement dans lequel j'évolue. Je conclurais en disant que mes poèmes découlent de mes émotions.
Quelles sont les personnes qui vous ont le plus inspirée dans votre carrière?
Cela va vous surprendre, mais je suis plus inspirée par la musique que par la poésie. Et dans tout ce qui concerne l'univers musical, je n'ai pas de préférences à partir du moment où les paroles sont puissantes et qu'elles m'émeuvent. Je suis ainsi fan de la musique africaine, de la musique hindoue et de plusieurs autres musiques du moment que le message est limpide.
Sur quel type de projets travaillez vous actuellement?
Je travaille sur un projet que je mène depuis que je suis au Botswana. « The Book ignite project » a pour vocation d'inciter les jeunes enfants des banlieues pauvres du Botswana à lire et à s'intéresser à la lecture. J'ai également remarqué qu'à Bruxelles, il n'y a pas de lieu à proprement parler qui soit dévoué à la poésie d'expression anglaise. J'aimerais beaucoup mettre en place ce type d'initiative, j'y pense et j'espère que cela va pouvoir se concrétiser.
Propos recueillis
par Wendy Bashi