Après "Nika l'Africaine" (2006) et "Perles de verre et cauris brisés" (2008), Aurore Costa sort "Les larmes de cristal" (2011), un roman sur l'Afrique coloniale qui raconte la suite de l'histoire de Nika l'Africaine. |
Vous venez de publier le 3e volume de votre saga intitulée Nika l'Africaine commencée en 2007. Peut-on dire que vous êtes tenace et rigoureuse?
Il faut l'être pour arriver à atteindre le but que l'on s'est fixé. Ténacité, rigueur sont des caractères essentiels pour réussir dans la vie. À cela, j'ajouterais l'humilité. Il faut savoir accepter les critiques et écouter les conseils des autres qui parfois froissent votre ego.
On a connu Nika, la jeune fille dans le premier tome. Nika la mère dans le deuxième, et dans celui-ci, c'est Nika la grand mère qui a envie de protéger ses petites filles contre leur père. Elle se réfugie dans la forêt où il aurait été difficile pour elle de survivre sans l'aide des Pygmées. Était-ce pour vous une façon de réhabiliter cette population souvent méprisée par tous?
Méprisée parce que méconnue. Ils ont beaucoup à nous apprendre en humilité, altruisme et partage. Malheureusement, je ne suis rien pour prétendre pouvoir réhabiliter ce peuple aux yeux de ceux qui écrasent les autres. Si les êtres humains cessaient de se considérer meilleurs que leur prochain, le monde se porterait mieux. Les Bantous méprisent les Pygmées et les occidentaux, quant à eux, le reste du monde. Tout n'est que jugement et marginalisation. Or nous avons tout à apprendre les uns des autres. Personnellement, j'ai vécu quelque temps au contact des Pygmées grâce à mon époux (exploitant forestier dans le nord Congo). J'ai appris à devenir humble. À mes yeux, ce sont les hommes les plus heureux du monde car ils ne sont pas corrompus par l'argent et ne se préoccupent pas des apparences. De ce fait, ils sont protégés de la jalousie, des besoins d'argent. Ce sont des gens très sincères et je ne tarirai pas d'éloges à leur égard...
Au cœur de cette forêt équatoriale se passent également des choses étranges, comme les retrouvailles mensuelles de la confrérie des cannibales. Ne pensez vous pas que cela alimentera les fantasmes des occidentaux pour qui le cannibalisme est caractéristique de l'Afrique profonde?
Les gens ont tendance à fantasmer et collent des étiquettes sur tout. Le cannibalisme existe depuis la nuit des temps et n'est pas propre au continent africain. Je vais vous raconter une anecdote qui a circulé dans Brazzaville. Au moment de recenser les différentes tribus peuplant la région des Plateaux du Congo, P. Savorgnan de Brazza montra du doigt des petits groupes d'hommes assis à l'abri du soleil attendant sans doute d'être déportés. Il demanda: « Qui sont ces gens? » et l'un des gardiens lui répondit « Ba téki, ba si ba téki » (traduction: vendus, ils sont déjà vendus). Et Brazza retranscrit sur son calepin: Tribu Batéké. De même, je pense que l'étiquette d'Afrique cannibale vient du mot « manger ». Il est très courant qu'une famille endeuillée réponde: « Hum! ba lié yé » (on l'a mangé) lorsqu'on lui demande de quoi est mort le défunt. Cette réponse étant pratiquement systématique, le maître blanc de l'époque n'a pas cherché plus loin et a dû conclure que les Noirs « mangeaient » leurs semblables d'où le nom « cannibale ». De nos jours, cela n'a toujours pas changé. On entend encore: « On l'a bouffé » ou bien « on l'a bilongoté ».
Il s'agit dans ce passage de manger des hommes et des femmes attirés par ruse au cœur de la forêt. Ceux qui veulent se nourrir d'eux espèrent ainsi devenir plus puissants car l'esprit de ces sacrifiés sera à leur service depuis l'au delà. Le cannibalisme est-il en quelque sorte lié à la sorcellerie?
Je ne crois pas qu'un sorcier soit forcément cannibale et inversement. Partout dans le monde une personne pourvue de dons surnaturels est aussitôt traitée de sorcière. Prenons l'exemple de Jeanne d'Arc: elle a été brûlée pour sorcellerie alors qu'elle n'était que médium. L'histoire ne l'accuse pas de cannibalisme. Plus récemment en France l'étudiant asiatique qui mangeait chaque jour un morceau de sa petite aime après l'avoir assassinée puis congelée n'a pas été déclaré sorcier mais fou. Quant à Nika, les lecteurs aiment ce qui leur glace le sang et le suspense. Ne vaut-il pas la peine de les faire fantasmer puisqu'ils sont friands d'histoires étranges?
Une bonne partie du livre raconte la vie des Blancs en colonie et, au final, les met au même plan que les Noirs alors qu'ils se considéraient supérieurs. Est-ce parce que finalement, la vertu qu'ils enseignent à travers leur religion, ils ne la respectent pas?
« Faites ce que je dis mais pas ce que je fais. » Pour moi, il n'est pas question de religion mais d'éducation et de comportement. Adolescente, j'étais très bagarreuse. J'ai appris à freiner ma combativité lorsqu'une aînée, à la suite d'une rixe, a sorti: « la première qui a frappé est la perdante du combat intellectuel car elle a manqué d'arguments pour défendre sa cause ». En général les hommes, quelle que soit leur race, se ressemblent tous. La plupart sont violents, coureurs, et très orgueilleux. La nature n'ayant pas doté la femme de force musculaire, elle lui a donné la ruse, la vivacité d'esprit et donc le verbe. Aussi pour palier ce handicap l'homme, dès qu'il est dépassé par la force verbale de l'épouse, la frappe pour s'imposer.
Vous montrez aussi comment la connaissance des plantes a été récupérée dans la médecine occidentale pour le traitement des maladies...
Je veux démontrer que l'Afrique possédait des plantes capables de guérir les maladies. Il n'était donc pas obligatoire d'imposer aux natifs l'achat de médicaments souvent onéreux mais plutôt de composer avec eux pour aider à la fabrication sur place de ces remèdes. Heureusement qu'à présent, bon nombre d'états d'Afrique encouragent la fusion des tradipraticiens et des pharmaciens.
Y aura-t-il un nouvel opus en 2013?
Le dernier volume de cette quadrilogie est en route. Cependant, je ne saurais dire quand je le terminerai : 2012 ou peut-être 2014 ! La vie est imprévisible.
Propos recueillis
par Liss Kihindou