Fidèle à ses lecteurs, la romancière congolaise Aurore Costa vient de publier le quatrième tome de son roman fleuve «Nika l'Africaine». Cette oeuvre au titre très évocateur, «Folie blanche et magie noire» est une sorte de prolongement de la rencontre entre Blancs et Noirs. Plume très alerte, Aurore Costa fait partie des rares auteurs africains à écrire un roman en plusieurs tomes. |
Au départ, il était prévu que ce quatrième tome de Nika l'Africaine soit le dernier, mais en parcourant le livre, on comprend qu'il y a encore une suite. Cette histoire vous passionne tellement que vous avez du mal à dire adieu à vos personnages?
Vous avez raison, lorsqu'on aime son enfant, on souffre de le voir nous quitter. Mais dans la vie, tout a une fin. Malheureusement, je dois laisser partir Nika. Cependant, cela doit se faire dans de bonnes conditions, celles qui feront que Nika reste dans la pensée du lecteur. Je suis certaine qu'ils sont d'accord avec moi. Je promets que leur attente pour connaître la fin de l'histoire ne sera pas longue cette fois. Le dernier bébé naîtra sans aucun doute avant la fin de cette année. C'est promis!
A propos de Folie blanche et magie noire, on pourrait parler d'«incrédulité blanche» face à la «magie noire», autrement dit face aux puissances surnaturelles dont sont capables les Noirs dans votre roman. Ne prenez-vous pas le risque de susciter une dose de scepticisme chez certains de vos lecteurs?
Des lecteurs sceptiques? Non, pas au XXIe siècle, ni même avant, d'ailleurs. Le brassage des peuples a permis de dévoiler une partie des secrets de ces pratiques occultes un peu partout dans le monde. Sur tous les continents, la sorcellerie a existé et existe toujours. Si certains s'en cachent par orgueil ou pour se donner bonne conscience, d'autres, en revanche, en raison probablement de leurs coutumes et traditions, continuent à consulter les oracles librement. Pour ce qui est du médium dans mon roman, s'il avait été Blanc, tous l'auraient cru, mais il était Noir, donc menteur. A l'époque, les colons ne donnaient aucune espèce de crédibilité à ce que disaient ou faisaient les personnes d'une autre culture.
Comme dans les précédents volumes, la sorcellerie est fortement présente dans «Folie blanche et magie noire». Peut-on dire que c'est le thème principal de cette saga?
Dans ma saga, la sorcellerie doit obligatoirement être présente: nous étions animistes et le sommes encore aujourd'hui, malgré les religions importées. En ce qui me concerne, je souhaite vivement que ces détenteurs de pouvoirs occultes utilisent leurs dons pour de bonnes causes, à l'exemple du Christ. Ils guériraient alors les maladies, ils pourraient également donner de bons conseils aux jeunes dans le choix d'un métier pour qu'ils réussissent leur vie. Ils devraient aussi résoudre les conflits au sein de la population, à la manière de nos ancêtres, et non pas se laisser séduire par l'argent et prendre le parti de celui qui demande de jeter un mauvais sort à un adversaire potentiel. Ma requête n'est, malheureusement, qu'une utopie, et j'en suis très désolée, croyez moi!
A côté de la sorcellerie, on remarque que Nika réussit à guérir ou à provoquer tel ou tel autre effet chez ceux qu'elle soigne, parce qu'elle a une excellente connaissance des vertus des différentes plantes qui abondent dans la forêt. Peut-on dire qu'il y a différents types de sorcellerie?
Comme les croyances, les types de sorcellerie sont évidemment différents d'un pays à l'autre, d'un continent à l'autre, d'une société à l'autre. Chaque sorcier agit selon son ressenti et la force de son pouvoir. Un conseil: s'il vous arrive de vouloir faire du mal à votre ennemi par le biais d'un sorcier, sachez que cette personne peut aussi consulter un sorcier plus puissant que le vôtre. Ces guerres invisibles de sorciers font malheureusement beaucoup de dégâts. Au final, vous perdez des ressources que vous auriez pu, utiliser à d'autres fins. Croyez-moi, rien ne vaut une bonne prière adressée directement à Dieu. Lui, sait ce qu'il vous faut, et Il nous aide gratuitement.
Dans ce roman, on voit évoluer, côte à côte, la société blanche et la société noire. Les deux se méprisent en public mais en cachette, on voit que de nombreux Blancs des colonies avaient des maîtresses noires. Ces relations étaient désavouées de part et d'autre, au point que les métis issus de ces unions avaient un sort malheureux. Vous êtes vous-même métisse, le douloureux parcours de Manola et Louzolo, les deux filles métisses nées de l'union secrète entre Manuel et Kinia, se nourrit-il un peu de votre propre histoire?
Non, pas de la mienne. Je suis issue de deux métisses. Côté paternel, j'ai un grand-père blanc et une grand-mère noire. Côté maternel, mes grands-parents étaient tous deux métis. Lui, du Mozambique et elle, d'Angola. Il s'agit bien de leur histoire, mais il m'est difficile de certifier la véracité de tous les faits, ceux-ci ayant été transmis de bouche à oreille. Mais bien évidemment, j'y ai aussi mis ma touche de romance.
On y assiste avec émotion aux retrouvailles du père et de ses filles. Malgré les précautions de Nika qui a pris soin de cacher ses enfants au plus profond de la forêt et de les tenir ainsi loin de leur père, celui-ci finit par les retrouver. Finalement, les liens du sang sont-ils plus forts que tout?
Pour ce qui concerne Manuel, je peux affirmer que chez lui, le lien du sang est en effet plus fort que tout. Il aimait cette femme noire d'un amour vrai et non pas simplement pour «goûter» de l'autochtone comme la majorité des colons. Ce genre d'amour pousse la personne à se transcender, à s'humilier. C'est ce que Manuel a fait pour Kinia. Il a mis son titre de fils d'aristocrate de côté. Il a oublié sa couleur, sa richesse, sa famille, ses projets et, surtout, ses aventures féminines et ses beuveries pour partir à la recherche de ses enfants, fruits de l'amour avec sa Négresse. Si seulement tous les colons avaient, comme Manuel, pris leurs responsabilités, ils auraient évité bien des drames, car il y en a eu. Mes grands-mères m'ont raconté de bien tristes histoires! Beaucoup de filles-mères se sont retrouvées seules, rejetées par le clan. Ces filles s'enfuyaient dans les bois ou alors traînaient à la périphérie des agglomérations. En effet, si les Blancs n'assumaient pas leur progéniture indigène, il en était de même pour les autochtones qui refusaient d'avoir des enfants d'une couleur différente de la leur. Imaginez un peu, nous sommes à la fin des années 1800, que peut faire une gamine d'environ treize ou quinze ans avec un bébé, sans le soutien de sa tribu?
L'amour, à l'œuvre dans ce roman, donne aux uns et aux autres la force d'accomplir les actions les plus audacieuses. Est-il la condition d'un monde meilleur?
L'amour, le vrai, demande d'accepter l'autre tel qu'il est, avec ses qualités et ses défauts, et cela, sans vouloir le changer. Il faut mettre de côté les barrières liées à la couleur, à la condition sociale, au physique. Avec cet amour-là, il est certain que le monde serait meilleur. Nous en sommes, hélas, encore très loin!
Propos recueillis
par Liss Kihindou