Muriel Diallo est ivoirienne. Peintre, elle a enseigné les arts plastiques pendant plusieurs années avant de se consacrer à ses passions de toujours : le conte, l'écriture et l'illustration. Nomade urbaine, elle se qualifie de créatrice engagée socialement au service de la jeunesse et des femmes. Elle anime des ateliers d'écriture illustrée qui visent à promouvoir la civilisation de l'universel. Muriel Diallo est l'auteure de plusieurs livres et elle vient d'être sacrée "Prix Saint Exupéry 2012" à Paris. |
"Toclo toclo et la fille tête en l'air" est l'illustration d'une société africaine portée sur les petits métiers. Faut-il croire que le chômage des femmes en Afrique est une préoccupation pour vous?
Nous savons tous que la population d'Afrique subsaharienne rajeunit au fil des années alors que celle des pays développés est en plein vieillissement. Demain, si nous voulons compter sur des adultes forts et responsables, nous devons tous être concernés par ce qui se passe aujourd'hui dans nos pays. Le chômage grandissant dans le milieu de la jeunesse me préoccupe énormément. Mon travail d'artiste consiste aussi à éveiller les consciences sur ce qui se passe, beaucoup de jeunes se battent pour réussir, et, même s'ils suent sang et eau pour y parvenir, ils restent malheureusement pauvres. Ce n'est pas juste! Ce n'est pas le courage qui leur manque, du courage et de l'ambition, ils en ont à revendre. Le secteur informel dans lequel ils se réfugient bien souvent faute de soutiens matériels, de formations, reste caractérisé par la très forte précarité des conditions de travail et des emplois créés. En même temps, les petits métiers facilitent la vie d'une grande partie de la population. Ces métiers qui au départ restaient du domaine de la débrouillardise, s'étalent de plus en plus sur la durée. Maintenant aux politiques et autres organismes de réfléchir sur le meilleur moyen de venir en aide à cette jeunesse qui nous observe et qui ne voit pas sa situation s'améliorer. Je reste persuadée qu'un bon programme de développement basé sur la formation peut faire bouger les choses. Dans "Toclo toclo", je n'ai pas voulu m'apitoyer sur le sort de Newton le petit tailleur, j'ai voulu y mettre de l'humour, de l'amour, du travail, parce qu'en le côtoyant à Bouaké, il m'a transmis un tel bonheur de vivre qu'il ne m'était pas possible de l'ignorer encore longtemps. Cette jeunesse pourtant blessée par tous les soubresauts politiques, continue de croire que demain sera un jour meilleur. Voici notre avenir? Devons-nous les ignorer encore longtemps ?
Vous animez de nombreux ateliers d'écriture illustrée à travers le monde. Que visez-vous exactement?
J'ai cette chance inespérée d'exercer depuis plus de quinze ans dans les domaines qui me passionnent: les arts plastiques et l'écriture. Ce penchant pour les arts n'est pas le fait du hasard pour avoir grandi dans une famille très ouverte au monde, aimante, soucieuse de l'humain et très sensible à la question de l'histoire et des identités sous toutes ses formes. Adolescente forgée par les contes de ma grand-mère et légendes du pays Wan, j'ai gardé en mémoire les histoires d'ailleurs que ma mère ramenait de ses voyages dans d'énormes valises. Des livres illustrés! C'est donc tout naturellement que très tôt, j'ai eu envie de favoriser des rencontres autour d'œuvres, réelles ou imaginaires, qui se résumeraient dans le croisement des regards. Peintre illustratrice, écrivaine, je suis tout sauf une théoricienne, préférant évoluer dans le pragmatique: rassembler, découper, récupérer toutes ces choses d'ici et d'ailleurs considérées comme inutiles ou contraires, pour les agencer en un, leur redonner vie dans un univers neuf, autour d'une histoire située entre le vécu, le voyage, le dépassement de soi et la connaissance de l'autre. La différence devient dès lors un atout. Faire tomber les préjugés, les clichés que nous avons sur les uns et les autres. Ce n'est pas toujours évident de rétablir des vérités mais j'y arrive toujours. Les personnages de mes ouvrages jouent en quelque sorte le rôle de petits ambassadeurs partout où je me trouve.
Votre livre intitulé "Yozakura, la fille du cerisier" est un conte japonais que vous avez réinventé. Pourquoi le Japon?
Pour expliquer cet engouement pour ce pays, je dirai qu'après être tombée sur des histoires du Japon ancien, je me suis rendue compte que l'Afrique, telle que ma grand-mère me l'a enseignée, avait plus de similitudes avec la pensée du Japon ancien qu'avec celle de l'Europe. Comme quoi, il n'y a rien de plus beau que la découverte d'autres horizons. J'ai eu la chance, grâce à mon métier, de travailler à Tokyo dans des classes. J'ai rencontré là-bas un autre univers, des gens passionnants (je pense à cette vieille danseuse de 80 ans, belle et gracieuse, soucieuse de me découvrir car c'était la première fois qu'elle voyait une Africaine) et retrouvé des Ivoiriens, des Français nés à Marcory nostalgiques de la Côte d'Ivoire. Beaucoup d'émotions! De retour en France, j'ai voulu de façon concrète réaliser un album, pour laisser des traces de cette rencontre étonnante entre l'Afrique et le Japon: un conte wan m'est alors venu à l'esprit (je l'ai juste transposé en milieu japonais) puis des images de kimonos en tissus bien de chez nous mélangés à du papier japonais se sont imposées...
Quels sont vos modèles littéraires en Afrique et dans le monde?
Je n'ai pas de modèle littéraire particulier. Je lis de tout, je me documente énormément. Je n'achète pas mes livres en fonction d'une publicité ou d'un prix littéraire. Tout dépend de mon humeur du jour. Le plus important est de découvrir d'autres points de vue, par des essais, des romans, de la poésie... J'ai lu récemment le dernier roman de Flore Azoumé, "Je te le devais bien", paru aux éditions les Classiques ivoiriens que j'ai beaucoup aimé. Je peux passer du livre de Simone de Beauvoir, "Tous les hommes sont mortels" à un manga (je vous conseille d'ailleurs Nonnonbâ de Shigeru Misuki; c'est l'histoire d'une vieille dame mystique et superstitieuse qui aime raconter des légendes étranges). Je suis comme ça, je vais où le vent me porte avec toujours beaucoup d'enthousiasme. Je perds beaucoup de temps en librairie ou en bibliothèque parce que j'hésite longtemps avant de me décider.
Que représente pour vous le Prix Saint Exupéry 2012 que vous avez reçu à Paris?
Une grande fierté. C'est tout de même une des principales récompenses pour la littérature de la jeunesse francophone! Le prix m'a été décerné pour l'ensemble de mes œuvres et cela est un grand honneur pour moi et mes éditeurs en Côte d'Ivoire et en France. En souhaitant éditer la collection "Bibi n'aime pas" chez un éditeur ivoirien, les Classiques ivoiriens, basé à Koumassi, c'était d'une part un moyen d'aborder la question de l'universalité des désirs d'enfants et d'autre part montrer que chez nous, nous avons les compétences et les capacités de réaliser des ouvrages de qualité. Cet encouragement vient prouver aussi que l'édition africaine a désormais toute sa place dans les concours littéraires du Nord et qu'un éditeur ivoirien indépendant est capable de jeter un pont entre les marchés du livre africain et le marché français. Pendant plus de six ans, Dramane Boaré des Classiques ivoiriens et moi-même réfléchissions sur ce projet d'édition. Le résultat est là aujourd'hui et nous ne comptons pas nous arrêter en si bon chemin.
Vous vous êtes rendue en Côte d'Ivoire récemment. Peut-on savoir pourquoi?
J'ai mis à profit mon voyage en me rendant dans les classes et en rencontrant mes lecteurs, petits et grands, sur mon stand des Classiques ivoiriens pendant le SILA. Je me suis rendue à Yopougon et Koumassi. J'ai eu la joie d'être également invitée à travailler dans un CPPE (centre de protection de la petite enfance) de Moossou. Une belle expérience très enrichissante pour moi. J'ai eu du mal à quitter les enfants. On parle trop rarement des auteurs d'albums jeunesse, étonnant n'est ce pas ? C'est pourtant grâce à ces passionnés, hommes et femmes, que demain les romanciers auront des lecteurs. Tout commence au berceau! Je voudrais avec votre permission m'adresser à tous ceux qui m'ont reçue, les enfants, leurs parents, les maîtresses et les maîtres, les directeurs et directrices de maternelles, du primaire, les bibliothécaires. Merci de tout cœur d'avoir partagé avec moi vos connaissances, vos souhaits. Je reviendrai c'est sûr, dans vos écoles, qui, je le souhaite, accueilleront enfin leur coin bibliothèque tant attendu. Merci d'inculquer à nos enfants ce bien précieux qu'est la lecture.
Propos recueillis
par Momo Louis