Ses parents ont quitté la Guinée avant l'indépendance de la Guinée-Conakry en 1958. Son père, officier de l'armée française, s'est installé à Dakar. Ensuite, il s'est investit dans l'opposition au régime de Sékou Touré, un acte qui l'a conduit à s'installer avec sa famille en France dans les années 70. Autant d'éléments qui bercent l'enfance de Bilguissa et expliquent l'importance que revêtent pour elle la culture guinéenne, l'histoire et les identités africaines. Voilà pourquoi le thème du décalage culturel entre les générations l'interpelle réellement. Le parcours de sa famille et des bribes de culture peule et sénégalaise ont forgé son identité. Pareil héritage ne pouvait qu'inciter Bilguissa à s'intéresser aux mouvements associatifs comme l'AJGF, une association des jeunes guinéens de France visant à promouvoir la culture et à aider les jeunes nés en France à mieux se connaître. |
Quel est votre parcours ? Quelles études avez-vous faites ?
Je suis née il y a 30 ans à Clichy, en région parisienne, et j'ai grandi dans le 93 à Epinay-sur-Seine. Je suis la cadette de 4 enfants. Mes frères et sœurs, eux, sont nés en Afrique. J'ai eu une scolarité normale, sans accrocs, d'abord au sein de mon quartier, puis en école privée, parce que mes parents ont voulu éviter les collèges de banlieue où l'on oriente les élèves à la moindre occasion. Etudiante, je rêvais de devenir journaliste. J'avais de la facilité et un attrait pour les langues étrangères. Mais les écoles recrutaient à Bac + 2 minimum, donc j'ai opté pour une formation généraliste et économique, tournée vers l'international : la filière de langues étrangères appliquées, LEA option commerce à l'université de Paris VIII, Saint-Denis. Une fois ma maîtrise en poche, je me suis naturellement dirigée vers la communication, par le biais du travail, parce que je n'avais pas le courage de continuer les études.
Parlez-nous de votre intégration dans le monde du travail en France ?
Je n'ai pas eu de difficultés particulières. Peu gourmande en termes de salaire, j'avais en plus des facilités de communication. Par contre, j'avais souvent le sentiment d'être cantonnée aux tâches que je maîtrisais facilement et de ne pas évoluer en interne. Alors, je quittais ces entreprises pour mieux me "vendre" ailleurs. Après ma maîtrise, j'ai été engagée comme assistante commerciale à Logicone, une agence de communication multimédia, puis dans la presse. Une expérience très enrichissante où ma curiosité et mon sens de l'adaptation m'ont permis de beaucoup apprendre sur le tas. J'ai ensuite intégré la rédaction de "La Tribune", en tant qu'assistante de production sur leur site Internet et assistante à la direction de la rédaction. J'y suis restée un peu plus de deux ans en tout. Cette expérience m'a donné envie de suivre une formation en PAO et devenir maquettiste. Après quoi j'ai obtenu un poste au sein du groupe Fleurus, un mensuel en langue espagnole édité à partir de Paris. En septembre 2004, j'ai rejoint un nouvel éditeur, Anibwé, une aventure passionnante qui m'a permis de toucher à tous les aspects du métier d'éditeur; je participe au comité de lecture, j'assure la réalisation technique des livres, le suivi de conception des couvertures, et le suivi d'impression et la promotion, ce que j'aurais mis des années à faire par le biais d'une entreprise classique.
Comment se sent une Noire dans le monde professionnel en France ?
Je n'ai jamais ressenti le fait d'être noire ni comme un atout, ni comme un handicap. Sans doute parce que je me refuse de l'envisager ainsi et qu'on ne me l'a jamais exprimé si clairement. Les petites difficultés à évoluer professionnellement sont-elles liées au fait que je sois femme, ou noire, ou les deux à la fois ? Je ne peux rien affirmer avec certitude. Je sais seulement que j'ai tout fait pour contourner ces obstacles, parfois même en démissionnant pour aller chercher mieux. Ce qui me demande beaucoup d'énergie et de combativité. La situation est plutôt sournoise en France. Il n'est pas toujours facile d'identifier les pratiques discriminatoires. Elles sont plus évidentes dans les prétentions salariales ou l'exercice des responsabilités. A ce moment-là, les réactions surprenantes, les questions saugrenues font partie du paysage, surtout pour des gens qui vivent en région parisienne où les Noirs sont nombreux... Tout ça, on apprend à le gérer avec des boutades bien placées.
Comment gérez-vous votre double culture ?
J'ai eu un père qui a eu à coeur de me parler de mes origines, de mon histoire, et qui m'a appris à respecter cette partie de moi, à en être fière. Il m'a aidée à comprendre également que ma présence en France est légitime même si certains sont tentés de le contester. En gros, l'espace privé a symbolisé l'Afrique dans mon enfance, la maison des parents, mon Afrique fantasmée et l'espace public (l'école, les copains, la télé ... ) la France. J'ai toujours été chez moi dans les deux cas, sans me poser de questions parce qu'on me l'a dit clairement. Les deux aspects sont tellement imbriqués en moi, ces considérations sont si ancrées en moi depuis l'enfance que c'est juste une façon d'être, avec un regard plus large, plus ouvert, qui permet un recul plus grand envers les divers éléments qui forment notre culture. Certains éprouvent une difficulté à se placer entre ces diverses influences, mais je pense que lorsque les identités sont fortes et connues, elles sont mieux assumées et constituent une richesse.
Comment les Guinéens vous voient-ils ?
Je me suis rendu quelquefois en Guinée et je trouve le regard des gens ambigu. Mon faciès indique que je suis de là et mes manières ou mes habits indiquent que je suis de l'extérieur. Donc, en général, on me teste sur mon peul qui est loin d'être parfait mais suffisant pour répondre de façon satisfaisante à mes interlocuteurs. On m'observe pour traquer des manies qu'on pourrait attribuer à des influences occidentales mais comme j'essaie de me fondre dans la masse quel que soit l'endroit où je me trouve, on finit par considérer que je m'adapte bien et le cours naturel des choses reprend. C'est amusant du moment que ça ne dure pas trop !
Qu'est-ce qui vous plaît dans la culture africaine ?
La force que représente le groupe face à l'individu, même si ça peut être aliénant... A chacun de savoir mettre la limite pour ne pas étouffer. Cela dit, le jour où on perd ça, on perd beaucoup ! J'aime cette entraide dans nos communautés, tant qu'elle marche dans tous les sens, et pas à sens unique, évidemment ! Ce qui me déplaît c'est le poids du qu'en-dira-t-on, du regard réprobateur.
Qu'appréciez-vous et que n'aimez-vous pas dans la culture occidentale ?
J'aime une certaine franchise qui permet de dire "merde" à quelqu'un quand on le pense, et de mettre sa fierté de côté et d'effacer les rancœurs quand le temps passe. J'aime aussi ce sens de la liberté qu'on ressent dans une grande ville et ce sentiment qu'on a de faire ce qu'on veut et de se dire: "Après tout, ça ne regarde que nous". Je déteste cette trop grande peur de déranger qui fait qu'un ami peut mourir à côté de nous sans qu'on le réalise.
Parlez-nous de "Diasporama".
Dans mes lectures, j'éprouvais une frustration de ne jamais retrouver les problématiques de la jeune génération d'Africains nés loin du continent. Lorsque je lisais des romans de littérature française, les héroïnes ne me ressemblaient jamais. Même si je pouvais comprendre leurs problèmes d'êtres humains, jamais je ne pouvais me dire que leur parcours était similaire au mien ou qu'elles me faisaient penser à une cousine. Quand je lisais de la littérature africaine, je retrouvais les questionnements de mes parents, mais pas les miens. J'y découvrais les problématiques de l'émigré face à une nouvelle culture ou de l'Africain nouveau des indépendances etc. Personne à ma connaissance n'a parlé de ces jeunes qui sont africains et occidentaux à la fois des soucis de positionnement par rapport à ça. Ces jeunes qui tentent de trouver leur place au pays où ils ont grandi sans oublier celui des parents. Comme j'éprouvais le besoin de me retrouver dans d'autres lectures, j'ai préféré agir au lieu de me plaindre.
Résumez-nous le livre...
Trois frères ont quitté la Guinée pour s'installer au Sénégal, puis en France, pour des raisons politiques et professionnelles. Le livre débute en 1984 par un regroupement familial. La famille d'Ibrahima le rejoint à Saint-Gratien où il vit avec ses deux autres frères, leurs femmes et leurs enfants, dont certains sont nés en Afrique et les autres à Paris. Dix ans plus tard, Marly, Khadi et Djeyna, trois des filles de la famille, ont 20 ans. Elles sont à la fac ou à l'école, fréquentent des garçons d'origines diverses. Les parents, ont l'air très intégrés de par leurs fréquentations et leurs métiers, n'empêche que les éventualités des choix matrimoniaux occasionnent des conflits internes, et les familles vont être déstabilisées par ces filles d'un genre nouveau.
Quelles sont les particularités de votre ouvrage ?
J'ai voulu décrire une famille à trois têtes pour pouvoir brosser la complexité du tableau familial africain et les différentes attitudes qu'on peut adopter face à un même problème : j'y aborde les thèmes des mariages mixtes blancs-noirs ou entre africains d'ethnies différentes, le problème des fille-mères, la place de la culture africaine dans la vie d'une française noire, les réactions de la société d'accueil face à ces Français plus visibles, etc. Le nombre important de mes personnages peut poser problème au lecteur, aussi ai-je intégré un tableau de repère des familles et des personnages. Au cours de ces lignes, se croisent des gens de toutes les communautés qui forment la société française (antillais, arabes, africains, français de souche, pauvres, riches, etc.), un livre plongé dans cette France black/blanc/beur. J'ai voulu décrire le quotidien de ces français-là, et leurs problématiques intra-familiales vues de l'intérieur et non pas par la lorgnette d'un jugement eurocentrisme et/ou caricatural. Mes personnages ne sont ni des sans-papiers, ni des squatteurs d'immeubles, ni des drogués ou des dealers, ni des mariés de force en échec scolaire, ni des rappeurs, ni des emplois-jeunes. Ce sont des jeunes français issus de l'immigration, de classe moyenne et bourgeoise, ayant fait plus ou moins d'études selon les cas, et venant d'un environnement familial stable. Ils connaissent des questionnements propres à ceux qui ont une double culture et qui, à un certain moment, n'arrivent plus à communiquer avec leurs parents parce que le fossé culturel et générationnel est trop important. Ses parents sont nostalgiques d'une Afrique qu'ils ont quitté dans les années 60-70. Ils ont une pression forte face à la famille restée au pays : rester les mêmes et faire en sorte que les enfants n'oublient pas leurs origines. Du coup, cette pression rend parfois les rapports familiaux conflictuels quand vient l'heure de faire des choix personnels pour ces enfants nés ailleurs. Voilà le thème principal du roman.
Pourquoi le titre "Diasporama" ?
Je voulais y faire apparaître le mot "Diaspora". Un mot percutant dans ce livre que je considérais comme une plongée au sein d'une diaspora lambda. Alors, j'ai pensé au mot "diaporama" parce que la construction de mes chapitres ressemble à un diaporama. Les épisodes sur la famille Barry se feuillettent comme un album familial où quelqu'un commente les photos et raconte l'histoire des gens qu'on y voit. De plus, chaque chapitre a un titre qui suggère l'ambiance de la scène qui s'y déroule.
Quel a été l'accueil du livre ?
Sorti en juin 2005, il a reçu un accueil correct, et de bonnes réactions chez les Guinéens de France. Les Africains de France ou les Français d'origine africaine se sont montrés enthousiastes. Certains m'ont dit s'être retrouvés dans les problèmes abordés. Et les Français de souche ont pu aborder ces questions sous un angle inhabituel pour eux. Ça a suscité de bons débats à la radio (RFPP, France Inter, Africa No1), quelques chroniques dans la presse et sur internet.
Propos recueillis
par Assiatou Bah Diallo