"Nerfs en feu" est le premier roman de Fatou Dial Ndiaye qui sonne comme une autobiographie. C'est à la suite d'un terrible accident cardio-vasculaire cérébral qui aurait pu lui coûter son destin, que Fatou s'est mise à écrire. Ecrire pour partager sa maladie. L'écriture comme exutoire, l'écriture comme seul moyen de la maintenir en vie. Un roman poignant qui illustre avec précision ses souvenirs d'enfance très lointains, dans sa ville natale de Saint-Louis, autrefois la capitale du Sénégal. |
L'auteur, dès les premières secondes, nous plonge dans son univers. Un univers où la foi et la force morale peuvent vaincre tous types de maladies, où les valeurs traditionnelles que sont la bravoure, la persévérance et l'intégrité règnent en maîtres, et enfin où l'on se bat car la vie est un perpétuel combat.
Issue d'une famille de neuf enfants, Fatou est la seule à vraiment réussir ses études. Dans un monde où les rêves des filles n'ont pas grand intérêt, la petite fille en trouve finalement un en se rendant à l'école jour après jour : Elle adore apprendre: "A l'âge de 6 ou 7 ans, je me levais à 6 heures du matin pour aller à l'école coranique près de chez moi, ensuite je revenais à la maison, me changeais pour ensuite retourner à l'école primaire. Mais ce n'était pas une contrainte pour moi ! J'aimais aller à l'école, j'ai toujours eu cette envie de réussir, de m'en sortir. On peut dire que j'avais du caractère...". Et du caractère, il lui en a fallu pour faire face à ce qui sera pour elle une des plus grandes humiliations de sa vie: être attaquée en classe par son professeur qui, croyant bien faire, l'abaisse totalement en lui ordonnant de s'asseoir entre des garçons car elle ne savait pas bien écrire la lettre "e". A l'époque, les filles en nombre inférieur dans les classes, se mettaient au premier rang tandis que les garçons eux, étaient placés derrière.
Ce moment de sa vie restera à jamais gravé dans sa mémoire car elle était, malgré tout, une brillante élève. "Même aujourd'hui je ne comprends toujours pas ce qui s'est passé dans la tête de ce professeur. Nous étions une dizaine de filles pour cinquante garçons. Nous, les filles, nous étions entre nous. Je ne connaissais pas les garçons, et je ne leur parlais pas non plus. Ce qui est sûr, c'est que malgré mon âge je n'ai pas oublié cette épreuve terrible ; un enfant n'oublie jamais ces choses-là...". Malgré cette parenthèse, Fatou passe quand même en classe supérieure et change ainsi de professeur. Celui-ci est l'opposé total de l'autre. Il est plus pédagogue, plus à l'écoute de ses écoliers. Il donne à l'auteur toutes les clefs pour la motiver à se surpasser : "C'était un homme extraordinaire. Il m'a vraiment poussée à être la meilleure, à percer dans mes études. Il trouvait mon travail très bien, et il a trouvé comment m'en rendre fière. En effet, il me disait d'aller lire mes exercices dans les autres classes pour que les élèves prennent exemple sur moi. Lorsque j'avais de bonnes notes, il me donnait des cahiers tout neufs. C'était vraiment de bons souvenirs pour moi. Cela m'a poussée à aller plus loin...". Ainsi, Fatou continue une scolarité sans coupures. Après son bac, elle passe le concours d'enseignement supérieur qu'elle obtient facilement, mais il lui en faut plus. Elle s'inscrit donc en physique et chimie à l'université de Dakar et obtient sa maîtrise. Mais il lui en faut encore plus, alors c'est à Montpellier, en France, qu'elle ira chercher son doctorat d'ingénieur en agronomie et agro-alimentaire.
Super diplômée et de retour au pays, les réalités du terrain sont dures à accepter. Le poste qu'on lui donne et les projets sur lesquels elle est censée travailler ne sont pas tout à fait à la hauteur de ses attentes. En effet, les budgets ne sont pas respectés, et travailler dans ces conditions relève du parcours du combattant. Trop honnête pour être dans ces circuits ou la corruption est banalisée, et trop désireuse d'être une femme libre, elle décide de se retirer pendant un temps, elle qui avait tout fait pour exercer ce métier. Elle demande alors une audience au Ministère de la formation professionnelle, en vain. Et quelques mois plus tard, bingo ! Sa persévérance paye. Elle parvient à décrocher un poste de conseiller technique à l'agriculture. Ceci devait être pour elle "le crépuscule de sa vie" comme elle le décrit avec tendresse et franchise.
Malheureusement, Dieu ne donne pas tout. Sa santé s'aggrave, au point qu'il faut l'hospitaliser. Le verdict tombe un certain 4 décembre 1999 : "J'étais atteinte d'une paralysie partielle du côté droit due à mes antécédents. Hypertension, crises de diabète chronique, cholestérol élevé... bref, j'avais accumulé ces maladies, sans vraiment suivre de traitement régulier ou m'en préoccuper...". Commence alors un long chemin vers la convalescence qui dure presque dix ans, dont deux où elle ne sort quasiment pas de chez elle. Ces deux longues années sont les plus difficiles de toute sa vie. Elle ne peut rien faire sans l'aide de quelqu'un, et c'est à peine si elle peut parler: "J'ai vraiment frôlé la mort. Mais à aucun moment, je ne me suis dit que je n'allais pas m'en sortir. Ma foi en Dieu m'a aidée...". Pendant ces deux années où le moindre geste quotidien se transforme en véritable épreuve, c'est dans la lecture et l'écriture que la belle se relève: "Pour survivre, je lisais. C'est ma croyance qui m'a fait accepter la maladie et vivre avec. Il faut toujours s'adapter à toutes les situations...".
Maud Oyabi
Fatou Dial Ndiaye. "Nerfs en feu". Paris: L'Harmattan, 2008. Témoignage. Préface d'Aminata Maïga Ka.