Pas facile de quitter la « terre cuivrée du Cameroun » pour Paris et ses fantaisies ! Qui dit nouveau pays dit aussi nouvelle culture. Bien loin de la chaleur et de la bonhomie africaine, le choc des cultures est assuré. Bientôt, le traditionnel ndolé aux crevettes laisse place au premier steak-frites-mayo-cornichons que vous avalez sans rechigner. Les boubous flamboyants? Au placard! Vous arborerez désormais un complet doudoune gants écharpe. Car à Paris, il n'y a que trois saisons, l'automne, l'automne et... l'automne. C'est comme ça ici, à « Mbeng »! Après un recueil de poésie et un roman poétique, Marie Louise Djanga nous sert son Gâteau au Foufou curieux met qui est en réalité une savoureuse recette métissée. C'est d'un ton pétillant, drôle et non sans un certain réalisme que l'auteure raconte les vicissitudes de la narratrice, Endalè, une jeune camerounaise fraîchement débarquée à Paris et confrontée à la dualité des cultures. Au fil des ans, cette dernière évolue dans un pays dont elle tente de cerner les codes. Gâteau au Foufou ne vous fera pas prendre un gramme... à déguster donc sans modération. Rencontre avec l'auteure, la femme et la mère de famille. |
Quelle a été votre première rencontre avec la littérature?
Etant enfant, j'ai baigné dans les livres. Mes parents, qui sont de grands lecteurs, m'ont communiqué leur goût. Mes lectures sont d'ailleurs très éclectiques. J'aime aussi bien la littérature française avec des auteurs tels que François Mauriac et Françoise Sagan que les auteurs africains. L'écriture est venue de façon tout à fait inconsciente et naturelle. Au lycée, j'aimais déjà beaucoup écrire dans mes cahiers de souvenirs. Je gagnais très souvent des prix et mes professeurs m'encourageaient dans cette voie. A chaque fois qu'il y avait des spectacles ou des manifestations littéraires, j'y participais.
Envisagiez-vous déjà une carrière d'écrivaine ?
Non, pas vraiment. Pendant mon enfance, je voulais être artiste et faire de la comédie. J'ai fait des études de danse à Montpellier dans une école de spectacle où on nous enseignait l'art dans sa globalité: chant, danse et comédie. J'y ai passé quatre ans à l'issue desquels j'ai obtenu un diplôme de chorégraphe. La danse et le chant ont aussi toujours été très présents dans ma vie. Mon père espérait me voir emprunter une carrière d'avocat ou de journaliste. J'ai fait des études tout en gardant ce rêve de jouer la comédie. J'ai réellement commencé à écrire pour être publiée en 2007 avec mon premier ouvrage Au fil du Wouri aux éditions l'Harmattan.
Votre écriture est-elle influencée par votre côté artiste ?
J'essaie d'associer la poésie au théâtre et à la musique. Dans mon dernier livre, Le Gâteau au Foufou, il y a de tout, on peut même y trouver des passages de poésie.
Où puisez-vous votre inspiration ?
Je suis originaire d'un petit village très pittoresque appelé Wouri, au Cameroun. J'y retourne chaque année. C'est un endroit propice à la recherche du bien être. Toute la richesse de ce lieu inspire mon écriture.
Quelle idée vouliez vous véhiculer dans Le Gâteau au Foufou ?
C'est le parcours d'une femme de ce siècle face à la diversité des cultures. Tout cela l'interpelle, elle se pose des questions, elle se rend compte qu'on lui demande de se positionner. Quant à moi, je suis la somme de toutes ces anecdotes positives ou négatives. Mais je n'ai pas spécialement envie de me positionner, je suis citoyenne du monde, d'où « afro-camer-ançaise ». Qu'on le veuille ou non, les gens ont tendance à vouloir que vous vous conformiez. Je recherche un équilibre, l'homéostasie. Je veux être en harmonie avec la terre et le monde qui m'entourent. J'ai envie de vivre cette diversité.
Comment s'est passé votre venue en France ?
Je suis arrivée en France dans les années quatre vingt pour les études. J'y suis partie la mort dans l'âme, avec une seule idée: rentrer au pays à la fin de mes études. L'arrivée en France a été terrible pour moi parce que j'étais très heureuse en Afrique. J'ai failli me noyer dans mes larmes. J'avais l'impression qu'on coupait le cordon ombilical qui me rattachait à l'Afrique. Je me disais que jamais plus je vivrais vraiment cette vie paisible et équilibrée que je menais là-bas avec les parents.
Quels sont les préjugés dont vous avez été victime en tant qu'Africaine en France?
Je me souviendrai toujours d'une fois où, alors que je cédais ma place à une vieille dame dans le métro, elle m'a dit: « On ne vous demande pas de vous lever, on vous demande de rentrer chez vous! » Cette anecdote compte parmi tant d'autres auxquelles nous sommes confrontés au quotidien. Dans mon livre je relève celles que j'ai vécues personnellement et celles qui m'ont été contées...
Comment vous est venue l'idée de ce roman ?
Un jour, mon éditeur m'a suggéré d'écrire un roman. J'ai hésité. La forme initiale du roman était en fait un recueil de nouvelles parce que l'Afrique et la vie de tous les jours sont un théâtre. Petit à petit, j'ai trouvé une trame en puisant dans mon imagination.
Le vécu de la narratrice du livre, Endalé, semble se confondre parfaitement avec le vôtre, s'agit-il d'un roman autobiographique?
Même si j'écris à la première personne dans mon livre, il ne s'agit pas d'un récit autobiographique. J'ai voulu une dimension universelle, afin que toutes les femmes se retrouvent dans ces petites anecdotes.
Combien de temps avez-vous consacré à la rédaction de votre ouvrage ?
Très peu de temps. J'ai commencé à écrire en septembre 2010 et il a été publié en octobre de la même année. Mais avant-même la rédaction j'avais les idées; je n'avais plus qu'à les coucher sur papier. Les gens me posent souvent la question: « Où trouves-tu le temps pour écrire ? » Parfois je m'en étonne moi-même car ce n'est pas facile de concilier vie de famille, travail et passion. Il faut parfois prendre des décisions difficiles. Il me faudrait trois journées en 24 heures. Quand j'écris, je ne suis plus tout à fait moi, je me transcende complètement et j'oublie la fatigue.
Quel retour avez-vous eu de votre livre?
Beaucoup de lecteurs s'identifient au parcours de cette femme et me disent: « Quand je te lis, j'ai l'impression de lire mon histoire ». L'arrivée en Europe d'une femme africaine confrontée au choc des cultures, était quelque chose d'habituel au début des années quatre vingt. Cette histoire universelle est un moyen de me rapprocher de mes lecteurs.
Et vos enfants? Leur avez-vous communiqué cette fibre artistique et littéraire ?
Bien sûr! C'est dans leur sang (rires). Ils ont certainement hérité de mon gène artistique. J'ai un fils qui écrit et deux filles qui chantent, tout en continuant leurs études. J'avais aussi une méthode pour les intéresser à la lecture quand ils étaient petits. Je la recommande d'ailleurs à toutes les mamans. Le matin, par exemple, au petit déjeuner, je remplaçais la nappe par des pages de journaux. Et quand ils mangeaient, leurs yeux se portaient sur cette nappe jetable et naturellement, ils s'y intéressaient.
Comment vivent-ils cette double culture ?
Ils sont nés ici en France mais chaque année nous repartons en Afrique. Ils vivent très bien cette dualité des cultures et sont très imprégnés de leur pays d'origine. Nous nous devons, nous parents, de préserver ce lien avec l'Afrique. C'est eux qui assurent la pérennité de la culture. D'ailleurs, une année alors que nous étions en vacances au Cameroun, ils avaient caché leurs billets de retour pour ne pas rentrer en France. J'ai dû faire rééditer les billets par l'agence de voyage!
Quels sont vos projets ?
Dans mon prochain roman, je cible les femmes mûres dans la force de l'âge mais toujours pleines de ressources. J'ai envie d'en faire un scénario pour un "One woman show". Si je ne le joue pas moi-même, j'espère qu'il sera joué par une comédienne. Son titre: "Ménopausée... Et alors!"
Propos recueillis
par Rosie Gankey