Après « Fais danser la poussière » (Éditions Plon, 2006), un premier roman autobiographique, Marie Dô nous plonge dans la vie adulte de son héroïne Maya, devenue une femme, mais aussi une mère. Maya, c'est bien sûr Marie Dô, une métisse fragile et écorchée par son enfance emplie de non-dits, de vérités cachées. « Je me suis bâtie sur la négation et la destruction. J'ai été abîmée et j'ai fait de mon mieux », précise la danseuse devenue auteure à part entière. Comme Maya, son histoire la rend inclassable, bouleversante, attachante et unique. Si Maya est remplie de failles et de faiblesses, elle est aussi pleine de vie et de puissance créatrice. Danseuse au talent inouï, elle devient une femme qui se libère en libérant son enfant. C'est un troisième roman magnifique où la spiritualité a toute sa place. |
Comment votre premier livre, "Fais danser la poussière", est-il devenu un téléfilm en 2010?
Cela s'est passé très curieusement. Parce que j'étais très fière de mon premier roman, publié chez Plon, je l'ai montré à une amie qui avait, comme moi, des enfants métis. Elle qui était conseillère de fiction sur France 2, y a immédiatement vu un film. La suite s'est faite de fil en aiguille, et je me suis vraiment impliquée dans le film. Je me suis occupée des ballets: il y avait beaucoup de danse. J'ai également aidé au casting. C'était important pour moi de faire partie de l'histoire.
Et qu'en avez-vous pensé?
Je l'ai trouvé bon. Le réalisateur, Christian Faure, s'en est très bien sorti. Artistiquement on était assez proches. Le film est très fidèle au roman, et j'ai découvert le monde de l'audiovisuel avec ses bons et ses mauvais côtés.
Comment est-ce qu'une danseuse de haut vol comme vous, décide de se mettre à écrire?
L'écriture a toujours été importante pour moi, parce que les livres étaient importants. Très jeune, j'y ai trouvé beaucoup d'apaisement et un espace imaginaire qui me plaisait. J'ai d'ailleurs appris très tôt à lire et j'aimais écrire. J'ai toujours pensé que je me mettrais à écrire lorsque je ne pourrais plus danser. J'aimais aussi le dessin et la peinture. Pour moi, l'écriture est une expression artistique de plus.
Comment apprend-on à écrire des romans?
J'ai d'abord commencé à écrire seule, puis j'ai commencé un atelier d'écriture à l'Aleph pour me confronter aux autres et sortir de la solitude. C'était sympa et je l'ai fait assez longtemps. J'ai également fait des ateliers de romans et de scénarios. Finalement, j'ai arrêté car je m'en sortais aussi bien seule: l'écriture est principalement un art de solitude avec tout ce que ça comporte de douloureux parfois et en même temps de nécessaire.
C'est une thérapie...
Disons que c'est cathartique. La création est toujours proche de soi, c'est une sublimation de son ressenti, de la vie, des autres, de ce qu'on a vécu ou qu'on aimerait vivre.
Comment décide-t-on de se raconter de manière aussi intime?
J'aime bien la vérité. Petite fille, j'ai été élevée dans le secret et le non-dit; l'authenticité est pour moi très importante. J'ai du mal avec les faux semblants. Je crois qu'il vaut mieux être vrai dans la vie. Quand on aborde des sujets importants comme la perte de sa sœur, le métissage, la résilience, pour que cela puisse aider les autres, il faut être vrai. La sincérité est essentielle. Mais oui, c'est risqué! Il ne faut pas perdre de vue que pour écrire des choses profondes sur soi, il faut d'abord avoir pris une sacrée distance. Je peux parler de mon histoire et l'écrire parce que justement j'ai fait un travail sur moi et que j'ai pris une distance.
Ce travail intérieur dont vous parlez dans votre dernier roman, vous a-t-il appris à vous aimer en définitive?
La psychanalyse, la psychologie et le travail sur soi sont importants pour mieux aimer les autres. Les aimer tels qu'ils sont, sans projeter sur eux nos propres problèmes.
Ce travail de psychanalyse vous réconcilie avec Rose, ou plutôt réconcilie Maya, votre héroïne, avec sa mère, Rose?
Oui, c'est important car être maman ce n'est pas rien. C'est se relier à la ronde des générations et forcément voir sa mère sous un autre angle. Je suis maman aujourd'hui, et le fait que Maya soit la mère de Diane permet, en effet, de comprendre certaines choses. À travers la disparition de sa sœur, Maya remonte dans ses origines et sa filiation. Et elle se rend compte que les mêmes maux se répètent. Quand les mots ne sont pas mis, les maux ressortent et sont perpétués de génération en génération.
Ce travail peut-il se faire par un autre biais que celui d'un thérapeute?
Bien sûr, mais pour casser la chaîne et je pense l'avoir fait il faut en prendre conscience. Mais comment en prend-on conscience? C'est un cheminement personnel.
C'est finalement en rendant sa liberté à sa fille Diane que Maya retrouve sa propre liberté...
Elle se rend compte que tout ce cheminement c'est pour des choses simples que tout être humain doit faire. Elle se dit que le temps est venu de laisser sa fille vivre sa vie, de lâcher prise.
C'est amusant car c'est ce que Maya ne cesse de dire à ses danseurs et qu'elle ne fait pas elle-même finalement...
Oui, les cordonniers sont toujours les plus mal chaussés. À travers ses élèves danseurs, elle se forge aussi. On n'en finit jamais d'apprendre et au contact de la jeunesse on apprend beaucoup. Souvent les gens vous disent des choses qu'eux mêmes ont besoin de comprendre. C'est à travers ce que l'on demande aux autres qu'on se le demande à soi-même. Comme une projection de ce que l'on aimerait être.
Comment décririez-vous Maya en tant que femme?
Ce serait vous parler de moi. Elle est assez paradoxale: c'est une femme fragile et forte à la fois, et métisse dans tous les sens du terme. Il y a beaucoup de fragilité due à son enfance, une grande sensibilité et, peut être, le besoin d'être aimée. Finalement, on se libère aussi lorsqu'on se libère de son besoin d'être aimé. Elle a une problématique avec l'homme. Son père l'homme de sa vie l'a abandonnée. Les rapports n'ont pas été brillants avec son beau-père. Avec son mari, cela n'a pas marché non plus... Elle a un rapport à l'homme compliqué qui vient de son histoire. Elle a grandi avec des non-dits, des vérités cachées et l'impression que ce qu'elle était n'était pas bien et qu'elle gênait. C'est destructeur! De même, je me suis bâtie sur la négation de qui j'étais. C'était très difficile. J'ai été abîmée, je reste une femme fragile, assez affable parce que j'aime bien les gens. Mais j'ai toujours quelque chose en moi qui reste en éveil. Cela me rend sensible et intuitive. Je suis un peu surprotectrice de moi-même. Mais cela a du bon.
Voire côté intuitif est justement le fil d'Ariane du livre, parce que Maya parle à se défunte mère Rose...
C'est mon côté africain qui explique cette façon de me relier aux ancêtres. Je suis russe et bretonne, mais je suis aussi Africaine dans ma manière de me relier aux ancêtres. C'est bien cette partie africaine en moi que l'on ne touchera jamais, parce que j'y tiens. Maya considère en effet que ce n'est pas parce que Rose est morte qu'elle ne peut pas lui parler. Cette pensée magique, Maya l'a depuis toute petite. C'est héréditaire puisque Rose aussi est médium. C'est aussi une intuition mère fille qu'il est difficile de traduire avec des mots.
Dans "Fais danser la poussière" vous racontez l'histoire de la petite fille métisse que vous étiez, élevée par des Blancs et qui va à la recherche de son père qu'elle va retrouver, mais qui va de nouveau l'abandonner. Finalement, dans "Dancing Rose", l'Afrique, vous allez apprendre à la connaître autrement...
Oui, notamment, à la fin du livre avec un cadeau: Milly, sa demi sœur, apparaît. Milly était véritablement à la recherche de sa sœur. À travers les récits de Milly, Maya apprend cette partie d'Afrique. Mais il ne faut pas rêver non plus. Maya a été à côté de son histoire, mais c'est ce qui la compose et ce qu'elle est. Personnellement, j'ai eu une relation avec un père africain très décevant. Pour moi, l'Afrique est reliée à un père abandonnique. Je ne suis jamais allée en Afrique. Je me suis construite sur une absence totale de père. C'était pourtant un père érudit, Guinéen, politologue, maître de conférences à la Sorbonne. Peut être que mon âme devait vivre cette fragilité qui fait de moi ce que je suis aujourd'hui et qui me fait créer et rencontrer tout type de personnes.
Cette quête d'identité va-t-elle perpétuellement vous habiter, ou bien êtes-vous en train de passer à autre chose?
Je crois effectivement qu'avec ce livre, je n'en suis plus à la quête d'identité c'est plus une quête de la femme que je suis, et comment je vis avec tout cela.
Êtes vous aujourd'hui en paix avec vous même?
Oui. Je peux parler des choses qui m'ont fait mal, et c'est une force importante. Je suis d'ailleurs quelqu'un d'assez harmonieux. Justement, le fait de pouvoir verbaliser les choses libère, et c'est une force quand on y arrive. En revanche, ma problématique avec l'homme reste à régler. Ma douleur vient plus du fait que les gens n'acceptent pas les autres tels qu'ils sont.
Revenons au livre et au personnage d'Erwan. Existe-t-il en réalité?
Oui! (grands éclats de rire). J'adore les petits jeunes! Erwan est un mélange de plusieurs amants que j'ai eus. Force est de constater que j'aime les hommes plus jeunes et plutôt jolis. Mais j'ai compris pourquoi: il y a une part de moi qui est restée adolescente. Je suis bloquée par rapport à l'image de l'homme mûr qui rappelle le père. L'âge de ce jeune homme correspond à l'âge que j'ai physiquement et mentalement. Je préfère les hommes plus jeunes parce qu'ils sont plus beaux, plus drôles, pleins de vie. En plus, les jeunes hommes d'aujourd'hui sont beaucoup moins machistes. Je ne perds plus de temps avec des hommes destructeurs. Et sans être féministe, je ne veux pas être mise dans des cases.
C'est peut-être cela que vous rejetez...
Certainement: ma douleur vient plus du fait que les gens n'acceptent pas les autres tels qu'ils sont. C'est ce qui m'a poussée à aller aux États Unis pour y danser. C'était compliqué en France d'être ni Noire ni Blanche et issue d'un milieu blanc et bourgeois sans pour autant avoir de racines. Aujourd'hui encore, ma famille, ce sont mes deux enfants et mes amis, mais il y a une grande solitude existentielle quand on est issu d'un couple mixte qui s'est rencontré et vite séparé. Chacun des deux parents a refait sa vie de son côté et moi, leur enfant unique, je suis restée en rade. C'est cette solitude qui est douloureuse, et je crois que c'est à vie.
Vous avez certes fait un gros travail douloureux, mais qui sera bénéfique pour vos enfants...
Effectivement, j'ai fait un gros travail pour mes enfants et ceux qui suivront. J'ai fait en sorte que mes enfants voient leur grand-père africain. Ils sont très ouverts et tolérants. Finalement nous ne sommes qu'un maillon de la chaîne, qu'une perle d'un collier. Et dans "Dancing Rose", chaque femme de cette famille, Rose, puis Maya et ensuite Diane, chaque perle, a essayé d'apporter un peu plus. Et elles sont toutes reliées.
Après "Fais danser la poussière", comment avez-vous trouvé le titre "Dancing Rose"?
Cela m'est venu tout seul. Je voulais que cela bouge. J'ai pensé à ma mère Rose. Et je voulais quelque chose sur la danse des femmes. Après "Fais danser la poussière", je n'en n'avais pas encore fini avec ma mère, j'avais encore des choses à dire sur elle. Avec ce nouveau livre c'est fait. Et il était important de voir la petite Maya devenir une femme. Et quelle femme!
Vous avez connu la gloire en tant que danseuse. C'était comment de danser à New York?
J'étais la première danseuse française chez Alvin Ailey; j'ai projeté l'image du père sur Alvin. J'ai été engagée là-bas à 19 ans. Ma vie est faite de montagnes et de chutes vertigineuses. Ma vie est une succession de batailles. C'est fatigant. J'ai envie d'un peu de douceur, de paix, et d'équilibre. J'espère y parvenir avec l'âge.
Que faites-vous aujourd'hui?
J'ai deux romans en préparation. Ma vie aujourd'hui c'est l'écriture, même si je fais quelques chorégraphies pour des compagnies de temps en temps. Et je m'entraîne toujours. J'ai également un synopsis en préparation pour un projet de film sur "Dancing Rose" pour lequel le producteur m'a signé une option. J'aime écrire des scénarios pour le cinéma ou la télé.
De quoi parle votre prochain livre?
Je passe à tout à fait autre chose car ce sera un roman qui se passe dans un camp de naturisme. Il s'agira d'une histoire platonique avec un homme qui n'est pas préparé à cela. Ce sera très intéressant car j'ai un rapport au corps différent. Pour moi, le corps est un instrument et c'est aussi notre meilleur ami, mais on ne le sait pas assez. Le dénuder occasionne des changements sociaux et des rapports à l'autre différents... Je me glisse dans la peau d'un héros masculin qui vient d'être largué par sa femme et qui est au bout de tout. Il va passer par une forme de renaissance. Le livre devrait s'appeler "Mon Atlantic".
Quels sont vos rêves?
Je veux un amoureux, l'homme idéal, solide, aimant, drôle, qui comprenne la femme libre et fragile que je suis. Que mes enfants deviennent des adultes solides et heureux. Je rêve de créer dans différents domaines, y compris la peinture. Je voudrais continuer ma vie d'artiste dans l'harmonie, écrire et réaliser un film, et être responsable d'un projet artistique de bout en bout, en totale liberté.
Propos recueillis
par Claire Renée Mendy
Ouvrages de Marie Dô:
Fais danser la poussière. (Paris: Plon, 2006)
Qu'importe la lune quand on a les étoiles. (Paris: Plon, 2007)
Dancing Rose. (Paris: Anne Carrière, 2013)