Vingt-sept ans, née à Paris, d'origine togolaise, Lauren a grandi à Paris et en région parisienne. Du haut de son quart de siècle, elle porte un regard sur le monde qui l'entoure dans une subtile autodérision. Elle semble vivre à travers son héroïne, même si elle ne nous révèle pas réellement jusqu'où. Dans un rap-lecture de 18 titres, nous découvrons la jolie Flora, un peu trop fière, un peu trop folle, un peu frivole. Elle a une seule faiblesse, celle qui nous guette toutes : un besoin d'amour et l'intention de trouver le bon partenaire... Des ghettos parisiens au luxe de Paris, du mirage de la nuit aux leurres de la vie de stars, tantôt banale, tantôt arriviste, Flora nous laisse voyager au fond de nous-même et nous ramène de temps à autre sur une terre où l'esprit se repose dans l'insouciance... |
Etes-vous Flore ?
C'est la question qu'on m'a souvent posée. Mais je laisse la liberté à chaque personne qui lira le livre d'y donner réponse. J'essaye de faire un triangle entre mes origines togolaises, ma nationalité française et mes inspirations qui peuvent venir d'ailleurs. Flora, l'héroïne, n'est pas moi. Elle fait l'action. Quant à moi, j'estime être uniquement le créateur, et pas toujours en position de vivre ce que vit Flora. Bien sûr qu'il m'est arrivé des expériences qui m'ont permis de nourrir mon personnage. Mais je sais où se trouve la limite. C'est une fiction biographique. Finalement, je m'amuse beaucoup avec le lecteur et les gens de mon entourage qui essaient de déterminer les limites entre la fiction et la réalité. Il n'y a que moi pour le dire. Je conserve toujours une part de mystère. Personne ne me connaît vraiment. Mes connaissances qui ont lu "Icône urbaine" disaient : "quand même elle n'est pas comme ça !". J'ai été journaliste en effet, c'est un métier que j'ai exercé. De toute façon, on dit toujours qu'un premier roman a une part biographique assez importante. Je me suis amusée à l'écrire, en tout cas.
Vous puisez beaucoup dans vos voyages en Afrique ?
J'ai fait pas mal d'allers-retours. Mais depuis quej'ai découvert la mythique New York, on ne me voit plus du tout à Lomé. Les événements récents m'ont d'ailleurs donné raison. Le prix du billet avec la monopole des compagnies aériennes m'ont aussi incitée à bouder la destination. Mais là, il serait peut-être temps que j'y retourne. J'en ai besoin de temps en temps.
Vous y trouvez un rapprochement avec le milieu hip hop en France ?
J'aime bien les hip hopeurs. Et je pense que le hip hop est un genre musical qui aurait pu être le vecteur d'une renaissance panafricaniste. Mais quand on écoute les paroles de façon réfléchie, on a l'impression qu'ils se sont tous mis d'accord pour dévaloriser la femme noire. C'est dommage. Ils sont quasiment tous nés d'un utérus de femme noire. Ils devraient arrêter de cracher sur la personne qui a souffert des heures pour les mettre au monde. C'est toujours des clichés. Nous sommes en 2006. Il faut avancer.
Vous nous entraînez avec vous dans les habitudes des filles noires en France. Et vous ne ratez pas Château Rouge. Est-ce incontournable ?
C'est un peu vrai. Je n'invente rien. J'espère que ce livre passera entre plusieurs mains différentes. Les gens qui ne sont pas afro ou qui ne sont pas des femmes pourront voir tout l'effort que nous faisons pour avoir une image seyante et convenable. Quand je vais chez le coiffeur et que ça sent le yassa parce que certains déjeunent dans le salon... après avoir attendu longuement pour qu'on s'occupe enfin de moi, je repars forcément déçue.
Vous employez un langage assez familier même si vous jouez beaucoup sur les mots, dans des phrases simples et courtes...
J'ai lu beaucoup d'auteurs. Souvent les phrases sont trop longues. Au point que l'on se demande ce qu'on est en train de lire. On essaye de deviner le sens des mots. J'essaie moi de m'adresser autant aux gens qui lisent qu'à ceux qui ne lisent pas. Ce qui est gratifiant avec "Icône urbaine", c'est que même les gens qui ne lisent pas sont allés au bout du livre, alors que ça fait peut-être des années qu'ils ont arrêté de lire. Ils ont tellement butés sur des mots et les phrases trop longues, qu'au bout du compte ils ne font plus d'efforts. Pour faire passer un message, la simplicité est vraiment un atout.
Pour vous "La beauté est la première des inégalités. La chirurgie plastique est une annexe de la démocratie"...
C'est vrai. La beauté est bien la première des inégalités (rires). Il y a des gens qui naissent beaux et d'autres moins. C'est la grande loterie. On ne peut pas se plaindre. La nature est ainsi faite. Il y en a qui dépensent des fortunes pour ressembler aux canons esthétiques. Il faut en avoir les moyens. Et nous les femmes, nous sommes vraiment soumises à la pression du miroir et à celle de la société.
Est-ce Flora ou Lauren qui a rencontré ce grand groupe du hip hop américain ?
J'avoue. C'est totalement vrai. Les gens qui aiment le hip hop trouveront le vrai nom du groupe. C'est un jeu de mots que je fais avec le lecteur. J'ai passé la soirée avec le Wu Tang. J'ai changé les noms des rappeurs en français. Dans beaucoup de livres, il y a de l'hermétisme et j'ai trouvé marrant de l'appliquer au hip hop. J'arrive à faire de la prose avec, en jouant avec des rappeurs des années 90. Je me suis inspirée du travail en poésie de Victor Hugo. Le néophyte ne comprendra rien aux symboles de la poésie, mais une personne qui a fait des études de littérature ou autre peut faire des dizaines de pages de dissertation la dessus.
Flora rêve un peu de passer devant les projecteurs. Quelle est la place du Noir sur les média ?
L'image du Noir n'est pas très réussie. Je pense qu'on devrait me médiatiser un peu plus pour remonter le niveau (rires). Sans plaisanteries, j'aimerais dire que je ne suis pas militante. Mais quand je vois la pub Négrita... c'est le nom de la marque ... je pourrais me dire que ce n'est qu'une publicité et passer devant en me disant : "C'est génial, le mannequin noir a gagné de l'argent". Mais je n'y arrive pas.
Est-ce qu'on aurait pu avoir une meilleure place ?
Il faut qu'on se la crée. Dans mon ouvrage, j'ai voulu proposer un livre d'expression française avec une héroïne noire, forte et loin du misérabilisme. Les films, c'est Fatou la malienne, excisée, violée et cliché... Ce n'est pas le cas de toutes les filles nées en France. On n'est pas toutes des cas sociaux. Il faudrait que quelqu'un le dise. Pour passer à la télé, il faut réussir à captiver l'attention. Les hommes peuvent obtenir de meilleurs rôles et quand on fait les statistiques, les femmes qui ont connu leurs moments de gloire, c'est toujours pour les mêmes histoires : la musique, la mode, le sport et les victimisations en tout genre. J'ai habité à Asnières. Mon immeuble n'est pas insalubre. Je ne suis pas excisée. Mes parents n'ont pas cherché à me vendre ou à limiter mes libertés.
Pensez-vous être dans une réalité différente de celle des autres jeunes des cités ?
Je ne pense pas faire partie d'une minorité. Mon cas n'est pas exceptionnel. J'ai des amis et du monde autour de moi. Il y a des choses, qu'on ne voit qu'à la télé. C'est pourquoi dans mon livre, j'ai vraiment voulu insister sur une personnage avec des attributs positifs. L'Egypte est le pays le plus touché par l'excision. Ce n'est pas toujours l'Afrique noire. Les gens devraient se renseigner. Parce qu'à la base l'excision est une coutume pharaonique des temps anciens.
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Propos recueillis
par Cristèle D.