Oui, la littérature gabonaise existe. Elle a ses auteurs, ses maisons d'édition elle est aux programmes scolaires... Pour Mireille Essono Ebang, cette vie du livre doit être défendue. Enseignante et pédagogue passionnée par notre culture et notre littérature, elle écrit et réfléchit sur le thème. |
Vous travaillez beaucoup à faire connaître et reconnaître la littérature gabonaise. De quel constat êtes-vous partie, en tant qu'enseignante ?
Je vous dirai qu'il y a vingt ans, si vous demandiez à un élève de citer, ne serait ce qu'une œuvre ou un auteur, c'était perdu d'avance. Il y avait des raisons simples à cela. Pour commencer, aucune maison d'édition n'existait chez nous. Les auteurs se faisaient éditer à l'étranger, à leurs frais, et ne ramenaient au pays qu'un nombre réduit d'ouvrages. Je prendrai l'exemple d'Angèle Rawiri, décédée en 2011. Elle est la première écrivaine gabonaise et il est quasiment impossible de trouver un seul de ses ouvrages sur le marché parce que tout a été imprimé en France. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas. On a des maisons d'édition et des « caravanes littéraires » qui apportent et laissent les livres dans tout le pays. Cette année, avec le soutien de l'ambassade de France, nous irons dans neuf provinces, expliquer et laisser les ouvrages dans les antennes locales. Aujourd'hui six habitants sur dix ont pu lire un ouvrage gabonais.
Au niveau des écoles, des collèges, la situation a-t-elle évolué dans le même sens?
Oui, parce que le ministère impose l'étude d'un ouvrage, au minimum, dans le programme. Et comme les livres sont imprimés chez nous, leur coût est moindre. De 14 000 Fcfa, il est tombé à 5 000. L'accès est donc plus facile.
Le livre un Gabon a une histoire récente. En gros, un soixantaine d'années. Comment évolue-t-il dans le temps?
D'abord, il ne faut pas oublier, en termes de culture, l'oralité. Ensuite, quand les auteurs commencent à écrire, disons que ce sont des choses très anecdotiques. À quelques exceptions près, comme Raponda Walker, ses contes ou ses travaux sur la linguistique, les premiers écrivains restent très réalistes. Mais sans regard critique, sans engagement. On a appelé cette époque, la « littérature du silence ». Ensuite, les choses ont évolué, sont devenues plus « politiques ». On a abordé les problèmes de la tradition, les mariages forcés, le veuvage: on a « dénoncé ». Les femmes aussi se sont engagées. Depuis dix ans, la littérature a encore changé. Elle est devenue plus travaillée, avec un grand souci du style, des approches philosophiques...
Comme enseignante, comment éveillez-vous la curiosité de vos élèves à la lecture d'une part, et à des écrivains assez méconnus?
Pour la classe de 6e que j'ai en charge, j'ai choisi les contes d'Adzaba. C'est une toute jeune auteur de 12 ans. Et cet aspect déjà les interroge. C'est plus facile que d'aborder Balzac et le Père Goriot. Ils se sentent proches d'elle et intéressés. On va donc étudier les contes, composer des ateliers, et même faire venir l'auteur. Ce que nous voulons, c'est les rapprocher de cette culture gabonaise, qu'ils se l'approprient.
Vous êtes également à l'origine d'une petite collection, « lire et comprendre la littérature gabonaise ».
C'est vrai qu'il y avait un manque évident d'ouvrages critiques. Et les collègues avaient une certaine réticence à choisir des auteurs gabonais par manque de repères. C'était plus facile avec d'autres écrivains africains, le travail d'analyse étant déjà bien préparé: un peu de flemme intellectuelle (sourire) ? On a donc réalisé des petits profils d'une centaine de pages qui facilitent la tâche, donnent des repères biographiques, présentent l'œuvre, font des lectures méthodiques sur certaines parties et des prolongements sur le cadre social, temporel de l'ouvrage. C'est plus facile! Pour le moment trois ouvrages existent, Malédiction de Sylvie Ntsame, Les Temps déchirés de Hallnault Engouang, de la poésie, et Les Larmes de Tsiana, un roman de Sylvain Nzamb. Mais on va publier quelque chose sur l'Histoire d'Awu, un grand classique de Justine Mintsa. C'est bien pour l'enseignant, c'est bien pour l'élève aussi. Parce que beaucoup ne savent toujours pas lire. Au sens qu'ils ne comprennent pas. Ils répètent. Mais le texte a perdu toute sa signification. Ils lisent d'une traite, sans ponctuation. Le livre ne les intéresse pas. Il y a quelques années, une enquête montrait que moins de 30 % des Gabonais lisaient, ne serait ce que l'Union. Ces petits ouvrages sont faits pour cela. Comment réveiller l'intérêt, la compréhension du texte, l'envie de remettre le livre dans la vie.
Propos recueillis
par Roger Calmé
REPÈRES: Mireille Essono Ebang est née à Libreville. Professeur de français Secrétaire générale de l'UGECF (enseignement pour la culture francophone). Présidente de la zone Afrique Centrale de l'APFA 01.