Avant de quitter le Mali pour étudier en France, Fatimata Diallo était une lycéenne comme les autres. Bonne musulmane, coquette et éprise de liberté, elle décide pourtant, à peine arrivée à Paris, de porter le voile. Son livre est une façon pour la jeune femme de montrer une autre image des filles qui, comme elle, décident de franchir le pas. «Raconter mon histoire peut être utile aux filles voilées qui pourraient se reconnaître, et à ceux qui ne nous comprennent pas. En partageant mes pensées, mon histoire, je me suis dit que peut-être ils arrêteraient de nous juger trop vite». |
Au début du livre vous parlez de votre rêve de venir étudier en France, vous évoquez une vie romantique, faite de shopping, de virées au cinéma, avec un petit copain français, qu'est-ce qui vous fait porter le voile seulement un mois après votre arrivée à Paris?
Le déclic, ça a vraiment été cette «chance » d'avoir le temps, avant le début des cours à la fac, de réfléchir à la vie que j'avais menée jusqu'à présent, à ce que je voulais vraiment faire dans le futur. A quoi auraient finalement servi tous ces amusements, fêtes et sorties au moment de mourir? Est-ce que je n'avais pas perdu beaucoup de temps en cherchant ces satisfactions? Ce serait trop tard de regretter au moment de mourir, je ne pourrais plus revenir sur mes pas. J'ai donc pris conscience qu'il était temps d'adorer Dieu et de suivre ses recommandations.
Selon vous, la musulmane qui porte le voile est-elle plus exemplaire que celle qui est tout aussi croyante et pratiquante?
Pour moi, être bonne musulmane, ce n'est pas seulement respecter les 5 piliers de l'Islam. C'est aussi faire mon possible pour obéir à ses ordres. Je ne suis pas en position de juger ce que font les autres femmes.
Vous cachez vos formes pour éviter de vous faire draguer, mais cela ne repousse pas les hommes; c'est même presque le contraire... D'après vous, pourquoi continuent-ils ainsi à vous poursuivre de leurs assiduités?
Je pense que soit ils veulent piéger les femmes voilées pour voir leur réaction, soit ils sont réellement attirés par elles car, pour certaines filles pas très croyantes, le voile est un instrument de séduction. Mais ces hommes peuvent aussi être sincèrement attirés par quelqu'un qui respecte sa religion.
Vous dites que depuis les attentats de Paris en janvier, les regards se font de plus en plus hostiles. Trouver du travail est difficile... Est-ce que parfois vous n'avez pas eu envie d'enlever le voile?
J'y ai pensé quelquefois mais je ne l'ai jamais fait et ne le ferai jamais. Quand tu as à tout prix besoin d'un job et que tu sais qu'ils n'acceptent même pas un simple foulard, tu te dis pourquoi ne pas l'enlever juste pour l'entretien, puis pendant le temps du travail. Mais pendant ces quelques heures, tu sens en toi un énorme stress, toi qui portes toujours le voile.Tu te sens nue. Tu as l'impression que tout le monde te fixe. Plusieurs fois, j'ai failli être en retard à un entretien parce que jusqu'à la dernière minute, je n'arrivais pas à me décider à sortir de chez moi sans voile. C'était plus fort que moi.
Comprenez-vous cette mise à l'écart?
Ce qui me choque, c'est que la France se dit être un pays de liberté. Je ne peux pas comprendre comment avec un discours pareil, on peut refuser une fille qui porte une longue jupe dans un lycée, ou ne pas embaucher une femme juste parce qu'elle a un foulard sur la tête, ou même parfois juste parce qu'elle porte un nom d'Afrique noire.
Qu'est-ce que porter le voile vous apporte?
Le premier bénéfice est que je suis satisfaite car je le fais par adoration. Et puis, depuis que je le porte, je me sens encore plus respectée par ceux qui me connaissent mais aussi par ceux qui me voient pour la première fois.
Au Mali vous ne le portiez pas. D'ailleurs, à plusieurs reprises votre mère vous demande si vous êtes sûre de vouloir continuer à porter le voile en France... Avez-vous compris son inquiétude?
Oui, je l'ai comprise. [...] J'ai pris cette décision très loin d'elle, dans un pays qu'elle ne connaît pas et en plus non musulman. Et puis, à chaque fois qu'elle regardait les actualités, elle entendait les mots «terrorisme», «attentats», ou qu'un tel est parti faire le djihad, un autre s'est fait laver le cerveau. Dans toutes ces histoires, des gens donnent une très mauvaise image de la religion.
Vous gardez des enfants avec lesquels vous nouez une belle relation. Cela laisse-t-il entrevoir un certain espoir, celui d'une acceptation de l'autre dans sa différence? Pensez-vous qu'ils seront des adultes plus tolérants?
Ça a été une très grande chance pour moi de tomber sur cette famille. On a beaucoup appris les uns des autres. Il est difficile de dire s'ils seront des adultes plus tolérants car ils vont vivre encore beaucoup d'expériences. Mais on aura eu au moins la chance d'échanger, et ils se seront au moins attachés à une femme voilée dans leur vie. Et puis, ils vivent dans un quartier de Paris où beaucoup de femmes sont voilées. J'ai envie d'être confiante.
A la fin du livre vous dites vouloir quitter la France pour le Canada, l'Angleterre ou l'Arabie Saoudite, des pays qui acceptent les femmes voilées. C'est un projet qui va se réaliser?
Après deux ans d'absence, je suis rentrée cet été à Bamako pour faire le ramadan avec ma famille. Au bout de quelques jours, j'ai senti qu'il fallait que je reste, que je n'avais plus l'énergie pour affronter les difficultés et les obstacles en France. Je voulais être avec ma famille. Un garçon n'aurait pas pu faire ce choix. J'ai eu la chance de pouvoir rester sans que ma famille me juge. Mais cela ne veut pas dire que je ne veux plus bouger du Mali. Il y a tellement de pays que j'ai encore envie de visiter.
Vous hésitez aussi à devenir la deuxième femme d'un homme très pieux comme vous au Mali. Apparemment votre mère s'inquiète de cette union polygame; pourquoi, d'autant plus qu'elle a elle même une coépouse?
Aujourd'hui, la polygamie est vraiment détestable. Du temps de nos grands-parents et arrière-grands-parents, il y avait une grande complicité entre les épouses d'un même homme. Ce n'est pas le cas de nos jours. Ce n'est pas du tout mon souhait d'être coépouse, mais comme rien n'est impossible, il se pourrait aussi que mon bonheur soit là. On peut désirer quelque chose qui en même temps nous apporte une très grosse douleur. De toute façon, ce projet de mariage n'est plus d'actualité. Je pense que je me marierai de préférence à un homme qui n'a pas encore de femme.
En conclusion vous dites que le problème ce n'est pas le voile mais la France...
Les Français semblent penser que les étrangers doivent absolument s'adapter, s'intégrer à leur pays au lieu de rester eux-mêmes. Je trouve que nous, les étrangers, nous faisons déjà de gros efforts pour répondre aux attentes. Et que nous ne sommes pas très aidés. Par exemple, à l'université, personne ne nous a expliqué quoi que ce soit, à nous les étudiants étrangers qui venions d'arriver. C'est au fur et à mesure qu'on a compris ce qui était attendu de nous, sans qu'on nous en ait expliqué les raisons. Si on nous expliquait clairement comment fonctionne la laïcité, ce serait sûrement plus facile de comprendre pourquoi les écoles n'acceptent pas de fille voilée. La plupart des étrangers que j'ai rencontrés en France n'étaient pas heureux et voulaient rentrer dans leur pays. Mais la plupart n'ont pas le choix. Ça me rend vraiment triste de voir des milliers de personnes mourir en essayant de venir en France. Une fois arrivé, tu regrettes et ce n'est plus possible de faire marche arrière compte tenu de toutes les souffrances que tu as endurées et les sacrifices que tu as faits pour venir.
Propos recueillis
par Kadidiatou Bah
Fatimata Diallo. "Sous mon voile". Paris: Seuil, 2015.