Du 9 au 13 mars s'est déroulé à Paris, sous le haut patronage de Jacques Rabemananjara (Grand Prix de la Francophonie de l'Académie Française), le 1er "Printemps des poètes des Afriques et d'Ailleurs". Une initiative que l'on doit à Thierry Sinda, notre collaborateur pour la rubrique Cinéma et poète (auteur de "Voyage en Afrique à la recherche de mon Moi enivré" aux Editions Atlantica). La manifestation a réuni une vingtaine de poètes de divers horizons géographiques et près de 200 personnes ont pris part à ce festival poétique qui, de l'avis général, fut un véritable succès ! A cette occasion, AMINA a rencontré quelques "festivalières". |
Houria
Poétesse malgache-comorienne
Lors du "Printemps des poètes des Afriques et d'Ailleurs", Saïd Kharidah alias Houria a fait partie des poétesses qui ont pris part à la soirée d'hommage à Jacques Rabemananjara. "J'étais très émue car Rabemananjara est quelqu'un que l'on vénère à Madagascar. J'ai appris ses textes au lycée et ça m'a fait chaud au cœur de lire des poèmes qui lui étaient dédiés de son vivant. Ainsi, il sait maintenant que la relève est assurée. Nous sommes, comme il l'a dit dans son message, 'les nouveaux chevaliers de la poésie du monde noir !' " Houria a écrit son premier poème en 1980, pour rendre hommage à son frère qui, cette année-là, quitta notre monde. Ce poème s'intitule "Le passager du jardin Cayla ou la fin tragique d'un frère". Houria, dont te nom de guerre signifie "liberté", est une militante panafricaniste. Elle écrit des poèmes biographiques et événementiels sur le monde noir. Son premier recueil s'intitule "Les grandes figures du monde noir en poésie". On y retrouve, entre autres, Cheikh Anta Diop, Martin Luther King, Mandela, Senghor, Mongo Beti et Jacques Rabemananjara. Ses recueils de poèmes sont auto-édités et vendus pour la modique somme de 5 euros, car ils sont destinés à la jeunesse issue de l'immigration. La grande originalité de Houria est de faire accompagner ses poèmes de dédicaces de personnalités politiques et culturelles qui lui accordent leur assentiment. Son deuxième recueil de poèmes s'intitule "Liberté. Démocratie, Droit de l'homme". Elle prépare actuellement un troisième recueil de poèmes sur les luttes des femmes.
Evelyne Pèlerin Ngo Maa
Conteuse et poétesse camerounaise
Evelyne Pèlerin Ngo Maa est à l'origine, en France, du
concept du "Marché africain". Il a vu le jour à Rouen, il y a
pratiquement, maintenant, dix ans. Evelyne Pèlerin Ngo Maa est aussi
bien conteuse que poétesse. Si elle n'écrit de la poésie
que depuis 1998, elle dit avoir néanmoins toujours "vécu
en état de poésie". Ce qui veut dire qu'elle ne vivait pas de
manière standard mais trouvait de la beauté dans la substance
même de la vie. Selon la conteuse et poétesse, il faut une
certaine maturité pour écrire car, comme l'affirme le proverbe
basa : "On ne raconte pas en voyageant parce que l'on n'a encore rien
vu". Comme vous pouvez le deviner, la poésie de Evelyne
Pèlerin Ngo Maa se nourrit plus des racines de la vie que de
l'expérience des autres poètes. Pour elle, la poésie
"c'est comme un arbre, les poèmes sont les feuilles, les fleurs et
les fruits, qui ne pourraient pas être, sans ce que l'on ne voit pas,
c'est-à-dire les racines et la sève." Et ce n'est pas une
boutade car chez les Basa (du sud Cameroun), la parole est art suprême.
Chez les femmes, on l'appelle Djomol (parole du quotidien) et chez les hommes
Hilung (épopée). Pour Evelyne Pèlerin Ngo Maa, la
poésie, c'est "des vers du rythme et une musicalité propre
à la personne qui écrit".
Pendant le 1er Printemps des poètes des Afriques et d'Ailleurs,
Evelyne Pèlerin Ngo Maa a fait de fructueuses rencontres et a
été enchantée de découvrir l'œuvre
poétique de Jacques Rabemananjara. Ayant jusqu'alors essentiellement
publié en revue, elle a maintenant un recueil de poèmes en
quête d'éditeurs.
Contact: e-mail: [email protected]
Maggy de Coster
Poétesse haïtienne
Maggy de Coster a été marquée dans son adolescence par
les Fables de La Fontaine qui peignaient à merveille les
travers des hommes. C'est ainsi que vont commencer les balbutiements
poétiques de cette brillante élève qui dévorait les
livres. "J'avais à peu près 14 ans la poésie
était pour moi un refuge qui me permettait de fuir les problèmes
liés à l'adolescence". C'est alors que la jeune Maggy va se
lier d'amitié avec d'autres jeunes poètes en herbe. Leur
rencontre débouchera sur une petite revue poétique
d'écoliers, qu'ils baptisent "La Jeune muse". Lorsqu'elle
quittera Jérémie, sa ville natale, pour Port-au-Prince, la
poésie, elle, ne la quittera pas. Elle fréquentera un club
littéraire animé par Christophe Charles, un grand poète
haïtien, prof de philosophie et de lettres. "Christophe Charles,
c'était l'ami des jeunes, notre guide littéraire, notre grand
frère. Il avait environ dix ans de plus que nous." En 1979, Maggy
est lauréate d'un Prix de poésie remis par le ministère de
la Jeunesse et des Sports. Deux ans plus tard, le promoteur des jeunes
poètes, Christophe Charles, lui fait faire le grand saut poétique
en éditant son premier recueil "Nuit d'assaut" (éditions
Choucoune, Port-au-Prince, 1981). Depuis, Maggy de Coster a publié cinq
recueils de poèmes et reçu d'autres distinctions honorifiques.
Elle anime également la revue semestrielle "Le Manoir des
poètes", une jeune revue poético-culturelle et
littéraire. Pour Maggy de Coster, "Le Printemps des
poètes, des Afriques et d'Ailleurs" est une excellente initiative, un
grand bond à continuer ! parce que cela nous permet de nous
rassembler."
Contact: email: [email protected]
Lima Fabien
Poétesse guyano-martiniquaise
Le hasard de la vie a fait que Lima Fabien soit née au
Sénégal. Puis, elle est arrivée à Metz, où
elle a passé son enfance et son adolescence. C'est probablement la
raison pour laquelle la poétesse se dit "citoyenne du monde",
"... n'importe où, dans le monde, où il y a des gens, des
sensibilités avec lesquelles on peut partager." Comme vous l'aurez
compris, Lima Fabien met en avant sa liberté d'être elle-même "avant d'être une
race, une origine, une frontière." Lima écrit son premier
poème à 16 ans, par besoin d'exprimer ses sentiments. Pour elle,
la poésie est la rencontre entre le monde spirituel et le monde
matériel. "La poésie fait des analogies, des liens et traduit
des révoltes intérieures; en ce sens elle est une
psychothérapie pour le poète ou une thérapie pour
les âmes sœurs du poète ." C'est probablement
ment la raison pour laquelle Lima intitule son premier recueil "Point de
vue" (Editions La Pensée universelle, Paris, 1983). Elle a alors 20
ans. Ce premier recueil, qui a été plutôt bien accueilli,
lui a permis de rencontrer des auteurs et des lecteurs, aussi bien en France
métropolitaine que dans les DOM. Son deuxième recueil de
poèmes, "Poutchi, Pouki a ja" (Editions Silex, 2002), elle l'a
écrit plus de vingt ans après le premier. Quand on lui demande
pourquoi ce long silence poétique (?), elle répond: "On n'est
obligé de rien ! Je n'écris pas des suites ou des feuilletons. La
création est le fruit de rencontres au sens large; livres, auteurs,
instants de vie !..." C'est la lecture de Léon Gontran-Damas qui a
réveillé sa deuxième inspiration. Entre-temps, Lima Fabien
a écrit pour la scène plusieurs pièces de
théâtre.
Contact: e-mail: [email protected]
Jhoyce Oto
Poétesse camerounaise
Jhoyce Oto est la fille du diplomate et écrivain camerounais James
Oto. "Notre maison était un véritable salon d'art; avec mes
parents, je discutais de poésie, d'architecture, d'arts plastiques et
de musique", se souvient-elle... Etant donné la fonction de son
père, Jhoyce a beaucoup voyagé à travers l'Europe.
Néanmoins, elle se rend compte qu'elle est très attachée
à son lieu de naissance : Anthony (une banlieue parisienne). C'est ainsi
qu'elle affirme : "Mon rapport avec l'Afrique est le fait que je suis
noire." Lorsque, adolescente, Jhoyce découvre le Cameroun et ses
grands-parents maternels, elle se rend compte qu'elle est à mille lieues
de leurs codes comportementaux. En revanche, elle se sent tout de suite
très proche de sa famille paternelle, des liens à la fois
métisses, biologiques et culturels. C'est probablement de là que
vient son intérêt pour le métissage. Son premier
poème, Jhoyce l'écrira à 9 ans, dans le cadre d'un atelier
d'écriture en arts plastiques. "Le poème que j'avais
écrit pour la circonstance portait sur l'histoire d'un bègue qui
réinterprète le monde au restaurant. Pour moi, il s'agissait de
faire rejaillir l'esthétique du langage, à travers un
bègue. " Déjà, pour la jeune Jhoyce, l'écriture
poétique était influencée par une prise de position en art
et en architecture. Au cours de son adolescence, Jhoyce a écrit de
nombreux manifestes sur l'esthétique et par rapport à la critique
de la société. En 1984, elle écrit son premier grand
poème manifeste, "Ode à l'aube à Aude". Elle le
mettra en comédie musicale près de douze ans plus tard. Son
deuxième grand poème manifeste s'intitule "Dans cette France
en larmes où tout est dicté". Ce texte est une critique des
Noirs vivant en France "qui n'investissent pas l'environnement et qui ne
s'investissent pas dans l'environnement".
Ces deux poèmes manifestes sont en quête
d'éditeur. Pour Jhoyce Oto,
le "Printemps des poètes, des Afriques et d'Ailleurs" était
très riche étant
donné l'étendue de l'âge et des origines des
festivaliers. De plus, fait
rarissime dans ce type de rassemblements, les poètes ont pu assumer
librement leur inspiration, sans le moindre dirigisme.
Contact: jhoceoto@yahoofr
Marie-France Dupari-Danaho
Poétesse guyanaise
Marie-France Dupari-Danaho est au nombre des poétesses
précoces puisqu'elle écrit depuis l'adolescence. Dans sa
jeunesse, elle fait la connaissance du poète noir-américain John
Frost, qui lui prodigue de précieux conseils pour façonner sa
poésie: "Ecoute, ma fille, tes textes sont de la substance
poétique à l'état brut. Il faut que tu travailles ta
stylistique, et tu verras fleurir l'harmonie dans ta poésie." Ces
conseils, Marie-France Dupari-Danaho les a mis en application. Elle s'est mise
à "sculpter" ses poèmes comme son père sculptait le bois
et les métaux précieux. En effet, dans sa famille paternelle, on
est ébéniste depuis plusieurs générations. C'est
probablement la raison pour laquelle son père, qui a vu en elle un
"artisan des mots", a pris en charge le financement de son premier livre.
C'est ainsi qu'elle publie, en 1982, pour son 22e anniversaire, son recueil de
poèmes "Ecume profonde" (Editions La Pensée universelle).
Peu avant elle avait publié le poème "Moi, petite fille de la
Caraïbe", dans la rubrique "Jeunes Talents" du journal "France-
Antilles". Un concours de circonstances lui fera rencontrer à la
même époque le poète guyanais Raoul-Philippe Danaho qui,
douze ans plus tard, deviendra son époux : "Je connaissais ses
œuvres, avant de le rencontrer. J'ai fait sa connaissance au moment
où, sous l'impulsion de Robert Cornevin, il préparait une
'Anthologie de la poésie antillo-guyanaise'. On s'est plu et on
a eu une longue amitié sincère et poétique, qui s'est
transformée en amour, à la mort de sa première
épouse, la poétesse et mannequin Liliane-Germaine Danaho, qu'il
avait rencontrée en 1956, au Bal nègre de la rue Blomet!"
Lors du "1er Printemps des poètes des Afriques et d'Ailleurs", la
poétesse, aujourd'hui confirmée, Marie-France Dupari-Danaho
s'est vu confier la charge de nous mener dans un voyage poétique en
Guyane, à travers le lancement de l'anthologie "Traversée de
la poésie guyanaise" (éditions Anne-C., Cayenne, mars 2004).
"Je suis contente d'avoir pu faire, en plein cœur de Paris, la
promotion de la culture guyanaise, puisque celle-ci est, en métropole,
beaucoup moins connue que celle des Antilles", affirme-t-elle, avant de
conclure : "Les différentes identités
représentées lors du festival n'entachaient en rien les
identités réelles. C'est, à mon avis, l'une des grandes
forces de ce grand rassemblement poétique."
Contact: Académie du Métissage - BP 112 - 94600
Champigny.
Mariam Abdou
Comédienne malgacho-comorienne
Mariam quitte Madagascar pour la France alors qu'elle a à peine 7 ans. Nous sommes alors en 1976 et son père, qui était navigateur, décide de s'installer au Port de Marseille. "Mon père disait que c'était mieux pour nous, que c'était plus sûr côté études ... ", nous confie-t-elle avec émotion. Dès son adolescence, Mariam est possédée par le démon du théâtre. C'est donc tout naturellement que, en 1989, elle passe un Bac option théâtre. Ensuite, elle monte à Paris pour suivre le fameux Cours Simon. A sa sortie du Cours Simon, elle constate qu'il est extrêmement difficile d'être une comédienne noire en France. Dans les années 90, elle va faire la connaissance de Benjamin Jules-Rosette, le fondateur du "Théâtre noir". Grâce à cette initiative, qui consistait à monter des pièces de dramaturges du monde noir jouées par des acteurs noirs, Mariam a pu donner libre cours à sa passion. Avec Benjamin Jules-Rosette, Mariam a également fait des récitals de poésie, notamment en lisant les poètes Senghor et Césaire, Mariam Abdou a alors pris conscience qu'elle est une comédienne noire malgache et qu'il y avait des auteurs malgaches. C'est dans cet esprit qu'elle découvre l'œuvre du poète et dramaturge Jacques Rabemananjara : "Depuis que j'ai lu et relu, il y a à peine un an, l'œuvre complète de Jacques Rabemananjara. Je me suis dit qu'un jour, j'en ferais un récital poétique." Comme tout finit un jour par arriver à qui sait attendre, la comédienne Mariam Abdou a pu lire les textes de Rabemananjara, lors de la journée d'hommage qui lui fut consacrée pendant le "Printemps des poètes des Afriques et d'Ailleurs". C'est donc avec beaucoup d'émotion et d'authenticité qu'elle a déclamé, sur toutes les gammes, seule ou en duo avec le comédien algérien Moa Abaïo, l'œuvre multidimensionnelle de Jacques Rabemananjara : "Piam, une amie malgache qui était dans la salle, m'a dit qu'en m'écoutant tout le pays lui est remonté à la surface et qu'elle en a eu la chair de poule et les larmes aux yeux !" Forte de cette expérience pleine d'émotions et de bonheur, la comédienne Mariam Abdou projette à long terme de monter un grand spectacle théâtral avec les textes de Jacques Rabemananjara. Mais, pour l'heure, elle est à la rechercha d'un agent efficace pour gérer sa carrière artistique.
Propos recueillis
parThierry Sinda
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