Professeur de français pendant dix ans au Congo, Mambou Aimée Gnali, signe un premier roman, dans un style très pur et maîtrisé. On y découvre une coutume ancienne du Loango au Congo. L'auteur nous en parle. |
La coutume relatée dans ce roman, existe-t-elle encore aujourd'hui au Congo?
Non. Je n'ai pas connu cette époque-là, bien que je ne sois pas toute jeune. Le roman se situe à la fin du XIXe siècle, tout début du XXe siècle. J'ai choisi une époque charnière. Le Loango au Congo, date du XIVe siècle. Au début du XVIe siècle, ça a été très prospère puis avec la traite de l'esclavage, cela s'est dégradé. De même, les rites d'initiation, le Tchikoumbi, ne se pratique plus que dans les villages reculés.
On voit bien une certaine docilité chez les jeunes filles. Cette coutume a-t-elle évolué du fait de l'urbanisation, ou parce que les temps ont changé?
Ça a beaucoup évolué. Moi je n'ai jamais subi cela, bien que de mon temps, il y avait encore des mariages dits arrangés entre des jeunes filles à peine nubiles et des hommes bien plus âgés. Moi je suis née en ville, à Brazzaville, qui ne fait pas partie du Loango. De toute façon mon père ne voulait pas entendre parler de tout ça. Aujourd'hui, cela ne se pratique quasiment plus, sauf de façon symbolique dans les villes.
C'est un premier roman, mais vous avez déjà été publiée...
J'ai publié un récit qui s'appelle « Beto Na Beto ». (NDRL Entre Nous), qu'on peut traduire par « Le poids de la tribu ». C'est un récit autobiographique.
Pourquoi n'avez-vous écrit ce roman que tout récemment?
Je n'ai pas pu l'écrire avant parce que j'ignorais que dans notre histoire, de telles violences s'étaient exercées sur des petites filles. Je l'ai appris en 2003 lorsque j'ai accompagné, chez une femme experte dans les rites d'initiation, un ami peintre Trigo Piula, qui travaillait à une exposition sur la Tchikoumbi. J'en ai été si bouleversée que l'information m'a obsédée pendant des années. J'ai fait des recherches, interrogé des historiens, des savants, jusqu'à ce que j'écrive ce roman.
Vous avez fait un gros travail de documentation, ce livre en est le fruit. Vous avez un style très fluide, le style d'une conteuse...
Si avant 2004, on m'avait dit que j'écrirai sur ce qui se passait au XVIIIe XIXe siècle à Loango, alors que je n'y connaissais pas grand chose...
Avez-vous, vous-même, connu cette coutume de près ou de loin?
Personnellement non, mon père était instituteur, donc « civilisé » comme on disait autrefois. Mais des femmes de ma génération ont vécu ce rite. L'histoire dans le roman se situe sur la Côte Atlantique du Congo.
Selon la description de votre personnage, l'héroïne, la jeune Bouhoussou a juste 14 ans...
Oui, 13-14 ans, et l'initiation prend un an et demi à deux ans. Bouhoussou n'a même pas fini son initiation, car son mari, à qui elle a été promise, la voulait tout de suite, donc on l'a sortie de la case des femmes.
Bouhoussou à 13-14 ans, épouse un homme de 50 ans environ. Ça semble contre nature à cet âge de livrer sa fille en pâture pour des raisons pécuniaires...
Cela arrive encore au Sénégal: des gamines de 15-16 ans épousent des vieux de 60 ans! Même au Congo, il n'y a pas si longtemps, cela arrivait. Maintenant les filles se rebellent. On estimait qu'épouser « un homme assis » pouvant s'occuper des enfants, était bon pour la jeune fille. Ce n'était pas de la maltraitance. Les parents étaient persuadés qu'un homme avec une certaine expérience était plus intéressant pour une fille. Les mentalités ont beaucoup évolué en Afrique. Pour une fille de 14 ans, épouser un homme de 30 ans, c'est déjà épouser un vieux.
Les alliances entre familles comptaient plus que l'amour spontané...
C'est tout-à-fait ça. Je crois que tous les pays sont passés par là. Chez nous, cela a duré plus longtemps.
Après la décolonisation des pays africains, il y a eu une grande urbanisation, avec une autre organisation familiale, notamment pour la polygamie...
A l'époque, il ne fallait pas de grands moyens pour avoir plusieurs femmes, d'autant que c'étaient les femmes qui travaillaient. Chez nous, elles travaillaient aux champs, donc plus on avait de femmes, plus on avait de nourriture et plus on avait de descendance. Aujourd'hui, le regard des hommes sur les femmes en Afrique est encore, d'une certaine façon, dans la lignée de cette coutume.
Votre style d'écriture est particulièrement pur. Votre roman débute comme un conte pour adultes...
Je m'intéresse beaucoup aux problèmes de langue, c'est mon dada.
Avez-vous un autre roman en chantier actuellement?
J'écris davantage de nouvelles. J'ai pris goût à cette vie d'autrefois, donc je suis en train de préparer quelque chose sur des mémoires de la vie de nos parents, de mon père, la façon dont ils ont grandi, l'école, etc. Une sorte de chronique de l'ancien temps.
Propos recueillis
par Pascale Athuil
Mambou Aimée Gnali. L'or des Femmes. Paris: Gallimard, 2016. 176 pages.