Halima Grimal a abandonné l'enseignement pour se consacrer à l'écriture, que ce soit des poèmes, des nouvelles ou des romans. Primée à de nombreux concours, elle a participé à des publications collectives au Liban et en France. Elle a animé des ateliers d'écriture durant les trente années qu'elle a vouées à son métier de professeur et, bénévolement, auprès de jeunes enfants, en intervenant plus récemment dans des écoles primaires. Aujourd'hui, elle nous présente son livre Vingt et un points de suture. |
Vous étiez enseignante...
Oui, j'ai été une enseignante passionnée. J'ai eu la chance d'enseigner dans différentes régions du monde: Maroc, Gabon, Etats Unis, Guinée Conakry et l'île de La Réunion. J'ai eu des auditoires aussi variés que motivants. Ils m'ont formée tout autant que je leur ai transmis de mon savoir. Au bout d'une carrière sans cesse renouvelée par la découverte des autres, j'ai pris une retraite anticipée pour me consacrer à l'écriture; j'ai ouvert une nouvelle page de ma vie, qui donne place à la créativité et du temps à l'expérimentation de l'altérité.
Quand avez-vous commencé à écrire?
J'ai eu la chance d'apprendre à lire très tôt et de me plonger tout de suite dans la lecture. J'ai ainsi cultivé un imaginaire large, qui a été ma planche de salut durant une enfance difficile où j'ai été témoin de la violence du monde. Pour fuir cette réalité qui me volait mes années d'insouciance, j'ai écrit dès que j'ai été capable de mettre les choses en mots, des poèmes, des débuts de romans qui ne trouvaient pas leur fin. J'ai continué, sporadiquement en fonction de mon vécu et du temps dont je disposais en travaillant à temps complet. J'ai compris que je pouvais avoir un lectorat en étant primée à des concours de nouvelles, en représentant la France dans l'écriture d'un recueil collectif au Liban.
Quelles sont vos sources d'inspiration?
Mes récits renvoient à des contextes variés, découverts lors de mes voyages. Je prends beaucoup de notes, je fais des croquis, je consulte des photos. Tout déplacement dans une ville ou dans un lieu évoqué est concrètement ancré. Un geste, un mot de trop, un regard, une saynète, voilà autant d'inspirations qui sont le « soubassement » de la nouvelle. Un détail infime ou un fait divers, et mon imaginaire est sollicité. Je visualise, des mots surgissent en moi, des pensées, des images et vient la nécessité d'écrire.
Parlez-nous du livre.
Ce livre est un recueil de nouvelles qui trouvent des ancrages géographiques divers. Si différents soient ils, ils portent une douleur fondamentale et se heurtent au préjugé ou à la brutalité la plus sordide. Ce sont des textes sans concession, traversés par la violence de la bêtise humaine, la cruauté de l'ostracisme, et même la barbarie banalisée. Ce livre me ressemble. C'est celui d'une écorchée vive!
Quels thèmes abordez-vous?
Je parle beaucoup du racisme, des malentendus, des rencontres falsifiées entre les cultures, du mépris d'autrui et de la vie humaine. Mais aussi, de la peur de l'autre, la haine qui stigmatise les Arabes, la religion musulmane. J'aborde aussi l'homosexualité, les dérapages verbaux; tous les degrés, toutes les formes d'exclusion de l'Autre me touchent et me révoltent.
Pourquoi avoir choisi ce titre?
Le nombre 21 représente le nombre de récits et dans "suture", il y a l'image d'une plaie vive. C'est un mot qui porte son lot de peines et de souffrances. Derrière ce titre, il y a l'idée d'un irréparable; certes, mes personnages connaissent souvent des destins tragiques mais, même s'ils sortent vivants des pièges de leur vie de damnés, le titre doit agir comme un clignotant: une suture aboutit à une cicatrice indélébile, une marque qui rappelle de façon définitive, inéluctable, la difficulté ou l'horreur vécue.
D'autres livres à venir?
Il y a un roman dont l'écriture est achevée, après deux ans et demi de mise en œuvre, et que je souhaite soumettre à un éditeur. Et surtout je travaille en ce moment avec le grand peintre de l'île de La Réunion (où je vis), Charly Lesquelin. C'est un livre d'art consacré à son œuvre actuelle, riche et puissante, à la symbolique très ouverte sur les origines multiples des Réunionnais.
Selon vous, qu'est-ce qu'un bon livre?
Un bon livre interpelle et suscite émotion et pensée. C'est une poétique du monde, une respiration de l'écrivain, un élan qui allie l'art des mots et la profondeur de ce qui est dit. Un bon livre ne raconte pas une histoire, il est une rencontre avec un auteur et un tremplin vers un univers qui, même dans le tragique et l'horreur, transmet force et beauté.
Propos recueillis
par Ange Dukunde