Dieynaba Gueye est née à Kolda dans le Fouladou Pakao, région située au Sud Est du Sénégal et nichée entre la Gambie au Nord, la République de Guinée au Sud et la Guinée Bissau à l'Ouest. La proximité géographique et linguistique avec ces trois pays frontaliers et le Mali fait de cette région une zone très cosmopolite. La culture y est très influencée par celle de ces quatre pays frères, et au Fouladou, on est forcément polyglotte. Dieynaba Guèye parle les principales langues de ces pays et sait dire le conte en mandingue, peulh, wolof et français. Membre de l'Association des écrivains du Sénégal et de l'Association des Conteurs du Sénégal, Leeboon ci Leer (Conte au clair de lune), elle vient de sortir un recueil de contes, « Les aventures de Desikaleerung ». |
Qu'est ce qui vous a amenée à l'écriture et au conte?
D'abord toute petite, j'allais rarement au lit sans avoir écouté au moins une histoire. Ceci m'a éduquée et a formé ma personnalité. Tous les soirs j'allais voir les deux principaux conteurs de mon quartier, juste après le dîner, en compagnie des autres enfants. Quand ils n'étaient pas disponibles et qu'il n'y avait aucun remplaçant, je prenais leur place sous le lampadaire devant notre maison pour raconter à mes camarades les contes qui me plaisaient le plus. Quand j'ai eu des enfants, c'était impératif pour moi de leur dire un conte tous les soirs. Il m'arrivait d'oublier l'histoire alors j'appelais mes compagnons d'enfance pour qu'ils m'aident à poursuivre le récit mais presque tous me raillaient et disaient: « Tu penses encore à ces choses là ? Moi j'ai tout oublié! ». C'est là que j'ai commencé à les écrire, de peur qu'ils ne finissent par se perdre. Et il y en a d'ailleurs que je ne suis jusqu'ici pas parvenue à retrouver.
Que racontent vos recueils précédents?
Mon premier livre est un recueil de poèmes que j'ai dédié aux enfants. Il s'intitule: « Jeunesse de mon pays ». Je m'adresse aux jeunes (mendicité, scolarité, citoyenneté), surtout les filles (décence, respect de soi), mais aussi à leurs parents puisque c'est leur devoir de s'occuper de tout ce qui intéresse leurs enfants. Le second s'intitule « Les seins perdus de la belle fiancée » et de prime abord, on a l'impression que je cautionne le mariage forcé. Mais non! Je montre simplement que le rôle primordial des parents est de veiller sur le meilleur devenir de leurs enfants. Leur préoccupation première doit être leur bien être, rien que leur bien être. Au lieu de penser à une dot substantielle qui leur permettrait de vivre avec faste, ils ne doivent veiller que sur les qualités du mari qu'ils proposent à leurs filles qui, au finish, les remerciera. Et je crois que la fin de cette histoire est bonheur et joie pour tout le monde, de la jeune fille au lecteur, en passant par ses amies et parents.
Que signifie ce nom étrange Desikaleerung?
Cette question m'est posée plusieurs fois par jour depuis la sortie du livre. Le mot Desikaleerung est, en fait, un prénom kilométrique que les petits lecteurs doivent s'exercer à prononcer. C'est un mot valise formé à partir du mot kaleera qui signifie en mandingue, en peulh, en sérère, chez certains wolofs et donc, dans plusieurs pays de notre sous région, marmite. Pour moi, la marmite est le symbole de l'aventure. En effet, chaque fois qu'une marmite est posée sur le feu, commence une aventure. Elle chauffe progressivement, engloutit tout ce qui compose le mets: huile, eau, légumes, poisson ou viande, céréale, etc. Et le tout se retrouve, étouffant dans la chaleur, ballottée par ci par là, disparaissant même quelquefois, aux seules fins d'assouvir la faim des convives! Mon personnage, Paapiyaa (sobriquet lié à la forme de sa tête), a vécu tout ce que la marmite et ses ingrédients souffrent à longueur de cuisson. Ainsi, de la même manière que la marmite, après une longue parturition, sème le bonheur dans la famille et même le voisinage, notre hérosenfant, après de nombreuses épreuves, rentre chez lui avec énormément de bonnes choses, énormément de bonheur pour tout son peuple!
Le destin de ce personnage fonctionne comme un récit initiatique... Etes vous inspirée par les parcours initiatiques?
Le héros part de rien: au début de l'histoire, il a moins de quatre ans. Il n'est jamais sorti de la maison familiale, et n'a donc aucune expérience du monde extérieur malgré ses dons surnaturels. Au cours de son voyage, il apprend à se battre comme un guerrier pour se défendre et défendre les autres, connaître la divination, le métier de forgeron, celui de cultivateur, d'éleveur... il surmonte la souffrance tout en défendant les siens et les honnêtes gens. Il apprend à partager avec les autres, à changer la mentalité des méchants ou égarés qui se trouvent sur son chemin. Il montre l'exemple à son peuple au point d'être choisi comme roi. De ce long et douloureux voyage, Desi sort grandi, affranchi, auréolé. Oui, c'est donc un conte initiatique.
L'histoire finit dans l'opulence, le personnage devient immensément riche. Trouvez vous que la richesse est la clé du bonheur dans nos sociétés?
Quand la richesse matérielle est le fruit de l'effort personnel et du mérite, autrement dit de la seule richesse qui vaille, la richesse morale, comme c'est le cas pour Desikaleerung, elle peut parachever le bonheur à défaut d'en être la clé. En revanche, quand on accède à l'opulence par la ruse et autres raccourcis, comme c'est souvent le cas aujourd'hui, on ne peut profiter pleinement de l'aisance. Bien mal acquis, dit on, ne profite jamais!
Le conte était au cœur de l'éducation traditionnelle. L'avons nous perdu de nos jours?
La technologie et les changements de comportements dans nos pays ont fait que les parents, fatigués par toute une journée de travail n'ont plus ces moments de partage avec leurs enfants. Ils préfèrent les laisser « à la merci » de la télévision, du téléphone portable et autre ordinateur. Et donc, les parents ne disent plus le conte. Dans un tel contexte, le conte est menacé. Mais fort heureusement, un peu partout dans le monde, donc en Afrique aussi (pour ne pas dire surtout en Afrique), des Associations de conteurs sont nées. Ces associations regroupent des enseignants, des médecins, des journalistes, des chômeurs, etc. En somme, «le métier » de conteur intéresse de plus en plus tous les corps de métier. Non seulement nous disons le conte partout où cela est possible, mais nous poussons tous ceux qui ont des enfants à charge, à dire le conte à ces derniers. Aussi, le conte est il en train de renaître et de prospérer car aujourd'hui encore, tout comme hier, les enfants en raffolent. Chez moi, je suis submergée par les enfants du quartier qui viennent prendre leur dose de conte tous les samedis après midi. Il y a encore beaucoup à faire, certes, mais nous luttons pour le retour du conte dans toutes les familles.
Quelles sont les conséquences de la disparition des moments de conte dans l'éducation de nos enfants?
D'abord ils sont sevrés à très bas âge de cette affection entre leurs parents et eux car l'instant du conte est fait d'amour. écouter un parent débiter un discours agréable, les yeux posés sur soi avec affection est un instant magique. Et les leçons que l'enfant tire de ces courts instants du conte dit avec autant d'amour l'accompagneront toute sa vie. Il n'y a pas meilleure éducation pour nos enfants car chaque conte contient une morale, une leçon ou un avertissement que l'enfant garde dans son subconscient. à chaque fois qu'il est devant une situation, la leçon du conte refait surface et l'enfant se dit: « Ah non! Je ne veux pas être puni comme un tel l'a été ». Et cela lui permet de toujours bien faire, tout au long de sa vie.
À la place, nous avons des contes importés, trouvez-vous que ceux-ci sont pertinents pour nos sociétés?
Au même titre que nos programmes de télé, il y a des contes importés qui ne peuvent pas refléter nos réalités, nos modes de vie n'étant pas les mêmes. Par contre, il y a des contes universels que l'on retrouve à travers les continents sous des formes différentes mais le fond et la morale restent les mêmes. Pour exemple, le conte Kumba am ndey ok kumba amul ndey (Koumba qui a une mère et Koumba qui n'a pas de mère) se retrouve ailleurs sous l'appellation de Cendrillon.
Quelle est la place des femmes dans les contes? Trouvez-vous que le conte valorise la femme africaine?
Dans les contes en général, la femme est la plus présente et elle représente généralement le fil conducteur sans que l'on ne s'en rende vraiment compte. Elle est la maman qui veille, la grand-mère qui, souvent, nuit, la tante qui montre le chemin, l'amie qui tient compagnie pour le meilleur et pour le pire, etc. Tout comme ce qui doit être dans la vie de tous les jours, la femme est présente et valorisée dans le conte et son rôle y est primordial puisqu'essentiellement éducatif et affectif. Dans « Les aventures de Desi », la mère a pleuré, elle a conseillé et assisté, elle a veillé sur son enfant jusqu'au trône alors que le père n'est visible que quand il est opprimé par le roi.
La clé de la parité tant professée au Sénégal se trouve-t-elle dans les contes?
Au Sénégal, la loi sur la parité concerne, pour le moment, les fonctions électives. Dans les contes, je me répète, tout comme dans la vie courante, la femme règne en douceur car dès la première tétée et même pendant la grossesse, elle forge la personnalité et le caractère de son enfant qui deviendra homme ou femme. Alors, sa responsabilité devant Dieu et devant les institutions est très grande car d'elle, dépendra le degré de citoyenneté de tout un peuple. Dans une Afrique alors déchirée par de fréquentes guerres intestines, tous les hommes pouvaient aller en guerre et ne laisser que les femmes et les enfants dans les villages. Il n'y avait aucun problème à leur retour pour ce qui concerne la bonne marche de la famille.
Quel avenir pour le conte africain?
En Afrique comme ailleurs, le conte a toujours servi de régulateur social en traquant le vice et en exaltant la vertu, au-delà du plaisir qu'il procure à l'enfant comme à l'adulte. Aussi, hommes et femmes doivent-ils dire le conte. Nous avons besoin que nos peuples comprennent cela et c'est notre bataille de tous les jours. Si tous ceux qui y croient continuent le combat, les enfants commenceront bientôt à réclamer des parents leur dose quotidienne de conte, ce qui obligera ces derniers à réaménager leur emploi du temps pour trouver un moment de « tête à tête » et de « cœur à cœur » avec leurs petits chéris. Et les enfants qui ont eu régulièrement leur conte le diront aux leurs et conseilleront aux autres parents de le faire. Je suis très optimiste.
Quels sont vos ouvrages en chantier?
Il y en a plein! Je pourrais faire éditer trois petits contes par an pendant dix ans et là, pour chacun d'eux, il ne reste qu'à mettre en forme, tout est déjà écrit.
Propos recueillis
par Wendy Bashi