Hanane Keita a fait ses études secondaires et universitaires au Caire, en Egypte. Elle a obtenu sa licence en littérature moderne en 1991. Pendant des années, elle a travaillé comme interprète traductrice à l'ambassade d'Arabie Saoudite à Bamako. Actuellement, elle est mère au foyer. Thème du livre: Karim et Kady, un couple d'intellectuels qui a quatre enfants sont complices dans la vie, jusqu'à ce que Karim décide de prendre une seconde épouse. La terre se dérobe alors sous les pieds de Kady qui crie à l'ingratitude et surtout à la trahison. Dans Femmes sans avenir, un roman primé « Meilleure plume féminine » lors de l'édition 2012 de la Rentrée littéraire au Mali, Hanane cerne les travers de la polygamie tout en traitant d'autres thèmes d'actualité comme le mariage précoce ou forcé, l'excision, la superstition qui fait le bonheur d'escrocs déguisés en marabouts... Cet entretien évoque les raisons qui ont conduit l'auteure à écrire un tel ouvrage, sa vision de la polygamie, ses convictions et ce qu'elle préconise comme solution. Interview ! |
Qu'est-ce qui vous a inspiré Femmes sans avenir ?
On sait tous ce que c'est la polygamie en Afrique noire. Ceux et celles d'entre nous qui ne sont pas issus d'une famille polygame, ont probablement un oncle, un frère ou un ami polygame. La polygamie fait partie de notre tradition et de notre culture. C'est une vieille histoire entre l'homme et la femme, qui parfois est lourde de conséquences pour toute la famille. Quand on regarde autour de soi, on voit comment les femmes souffrent en silence. C'est devenu tellement banal qu'on n'y prête plus attention. Une femme africaine vit avec cette crainte que son mari puisse se remarier un jour. J'ai souhaité mettre en lumière cet aspect des lois pour que les gens comprennent que la polygamie n'est pas une fatalité, mais un choix. Toutes ces raisons m'ont inspiré ce livre.
Est-ce une œuvre autobiographique ?
Non ! Ce n'est pas une autobiographie.
Comment avez-vous alors échappé à la polygamie ?
Comme toute femme africaine, l'idée que mon mari puisse se remarier un jour effleure mon esprit. Toutefois, cela ne m'empêche pas de mener ma vie normalement en espérant que les choses changent un jour évidemment. Dans un couple, il faut apprendre à dialoguer, à écouter son conjoint, ne jamais prendre à la légère ce que le mari ou l'épouse dit. Sans communication, il n'y a pas de couple. C'est seulement en communiquant qu'on peut éviter le pire.
Comment expliquez-vous que la polygamie subsiste encore dans notre société malgré son évolution et surtout les contraintes socio-économiques qui ne font que s'accentuer ?
Il y a plusieurs raisons. Il ne faut pas oublier que l'individu est le fruit de la société. Et la polygamie existe depuis des siècles en Afrique. Et partout dans le monde d'ailleurs: « Les hommes sont tous polygames de nature » comme le dit Awa, la tante de Kady (le personnage central du livre). Les sociétés africaines ont évolué, mais pas sur ce plan. Les hommes pensent que c'est un droit absolu d'épouser autant de femmes qu'ils le veulent. Ils aiment collectionner les femmes. Tant qu'il n'y aura pas de lois qui les contraindront à agir autrement, il n'y aura pas de solution à la polygamie.
Une coépouse n'est-elle pas davantage une rivale qu'une ennemie ?
Une coépouse est une rivale puisqu'elle partage son mari avec une autre. Elle peut aussi devenir une ennemie quand s'installent des relations de pouvoir et d'intérêt. Elle veut alors prouver qu'elle est la favorite et qu'elle peut avoir plus de choses que l'autre femme. Toutefois, n'oublions pas que ce sont souvent les hommes qui vont à la recherche de ces femmes. Elles sont elles aussi victimes de la société. C'est vrai qu'elles ont une part de responsabilité quand elles acceptent d'être les deuxièmes femmes. Mais, la plus grande responsabilité incombe à l'homme. C'est l'homme qui épouse la femme, c'est lui qui décide de lui donner son nom et non l'inverse. Alors, de grâce, que les premières femmes cessent de croire que les deuxièmes femmes ont marabouté leur mari pour les avoir. Comme si ces derniers ne raisonnaient pas quand ils décident de se remarier. Comme le dit Kady, généralement les femmes refusent de croire que leur mari les a laissées tomber pour une autre. Elles s'inventent des raisons pour pouvoir vivre avec cette vérité que le mari leur a imposée.
N'est-ce pas les femmes qui poussent leurs époux à prendre une seconde épouse ?
Pourquoi pose-t-on toujours la question de cette manière, comme si l'homme était un ange et la femme le diable ? Pourquoi ne pas regarder l'autre revers de la médaille ? Pourquoi la femme devait-elle toujours subir les caprices de l'homme parce que c'est lui l'homme. Comme si ce dernier était un être parfait ! Vous savez, même si la femme est un ange, cela ne lui garantit pas que l'homme n'en épousera pas une autre. Il faut obligatoirement des textes qui interdisent aux hommes de se réveiller un beau jour et de convoler en secondes noces comme ils le désirent. Il faut des règles consensuelles, que la loi soit appliquée, comme en Tunisie et en Turquie.
Pensez-vous que si Kady avait été issue d'une famille polygamique, elle aurait pu facilement accepter cette contrainte socio-sentimentale imposée par son époux ?
Les temps ont changé. Ce qui autrefois était considéré comme des valeurs ne le sont plus aujourd'hui. Les femmes sont devenues plus exigeantes, plus consciencieuses et elles n'acceptent plus de partager leur mari. De plus, s'il y a une chose à laquelle on ne s'habitue jamais, c'est bien la souffrance. Je ne pense pas que Kady aurait accepté plus facilement le remariage de Karim même si elle était issue d'une famille polygame.
Kady opte pour le divorce pour se reconstruire. Est-ce la solution ?
Le mariage est compliqué. Personne ne peut prévoir ce qui peut arriver à un couple. On ne vit pas seul, mais à deux. Il y a beaucoup de changements qui peuvent se produire au niveau de chaque conjoint. On ne peut pas emprisonner le cœur de son conjoint ou de sa conjointe. Karim a rencontré une autre femme qu'il aime et qui chamboule sa vie. Il ne sait plus quoi faire. C'est aussi simple que ça. Et comme le désir de posséder plusieurs femmes est inné chez les hommes, Karim va simplement épouser cette femme. Toutefois, je prie les lecteurs de lire le roman plus en profondeur. Dans un monde idéal, Kady n'accepterait pas de vivre dans la polygamie à plus forte raison de divorcer. Kady a toujours rêvé d'être la seule femme de Karim et l'idée même de le partager avec une autre n'a jamais effleuré son esprit. Une fois Karim remarié, même si Kady n'accepte pas ce remariage, elle reste quand même ! Ce qui la révolte, c'est de devoir cohabiter avec cette nouvelle femme. C'est alors qu'elle sent un complot se tisser autour d'elle: le poids de la société en Afrique ! Certes la décision de divorcer est difficile à prendre. Elle touche le fond avant de remonter et de prendre la décision de divorcer. Son couple a échoué, elle le reconnaît, et 'est la seule solution qui lui reste face à cet échec.
Que conseillez-vous aux femmes qui ne parviennent pas à digérer le remariage de leurs conjoints ?
C'est une question très difficile. Aucun cas ne ressemble à un autre. Personnellement, si cela m'arrivait demain, je ne sais comment je réagirais. C'est facile de parler !
Quel message adressez-vous aux femmes qui souhaitent se mettre à l'abri de la polygamie ?
Les femmes ne seront réellement à l'abri de la polygamie que lorsque le législateur votera des lois interdisant la polygamie et que ces lois seront appliquées avec la plus grande rigueur.
Propos recueillis
par Amina Dicko
Hanane Keita. "Femmes sans avenir". Paris: Edition Elzévir, 2008. (Rédition aux Editions La Sahélienne et chez L'Harmattan).
Au Mali, le livre est en vente à l'hôtel Radisson et au Grand hôtel ainsi que dans toutes les Librairies Bah.