Khadi Hane est née à Dakar en 1962. Son premier roman « Sous le regard des étoiles » (NEAS) sort en 1998. Suivent ensuite « Ma sale peau noire » (manuscrit.com, 2001), « Il y en a trop dans les rues de Paris » (2005), « Le collier de paille » (Pocket, 2010) et « Des fourmis dans la bouche » (Denoël, 2011). L'auteur a reçu pour ce livre le Prix Thyde. Son dernier roman, « Demain, si Dieu le veut », est court, sobre et poétique. Il décrit l'univers carcéral et ce que ressent un détenu, ainsi que les dérives du commerce chinois en Afrique. C'est Khadi Hane qui en parle le mieux. |
Comme je l'ai déjà dit ailleurs, tout est parti d'une exclamation: « Made in China », sortie de la bouche d'une Chinoise rencontrée à Maputo, au Mozambique, où je participais à l'inauguration de la première librairie francophone du pays. Je me trouvais avec le chargé de la coopération et de l'action culturelle de l'ambassade de France et celui ci portait une chemise à col Mao, ce qui a provoqué l'exclamation. La Chinoise était si fière de voir ainsi la grandeur de son pays que je me suis demandé ce qu'elle faisait en Afrique. De retour à Paris, j'ai fait des recherches sur Internet et j'ai appris que les Chinois étaient installés partout dans ce continent, ce qui a fait germer mes interrogations. Que font-ils en Afrique? Quel est l'impact de leur présence sur les économies des pays hôtes? Quel est leur rapport avec les populations locales? Ma curiosité exacerbée, j'ai voulu en savoir plus. J'ai alors demandé une bourse d'écriture de la mission Stendhal pour aller enquêter au Sénégal et en revenir avec assez d'éléments pour écrire un livre. Elle m'a été accordée.
Et vous êtes revenue avec l'histoire de Joseph. Votre écriture est sobre et poétique...
J'écris comme cela me vient. Ce roman étant écrit à la première personne, j'ai pu restituer la vie de Joseph, le personnage principal, comme s'il s'agissait de la mienne, avec mes émotions, mes craintes et mes espoirs. Je me suis mise dans la peau de cet homme dont la vie a brisé le destin.
L'univers carcéral et le quotidien de Joseph, le héros détenu en prison, sont très durs. Avez-vous rendu visite à des détenus?
J'ai d'abord lu des articles sur la vie dans la prison de Reubeuss, à Dakar. Cela m'a attristée de découvrir des conditions de vie indignes, quelle que soit la portée de l'acte qui a amené un prisonnier à s'y trouver enfermé. Puis, pour les besoins du roman et dans le cadre de ma résidence d'écriture avec la bourse Stendhal, j'ai été reçue par le directeur de la prison de Rebeuss, avec lequel j'ai pu amasser un maximum d'informations dans la gestion de son institution. J'ai rencontré des prisonniers en visite générale et en visite privée. Ils m'ont raconté leur quotidien, décrit leur univers carcéral. Tout ceci m'a permis de m'approcher au plus près de la réalité pénitentiaire à Dakar.
Votre roman procède par flash back sur l'adolescence de Joseph puis sur sa vie en prison. Il revoit l'homme qu'il a aimé, son compagnon de prison et sa vie d'avant...
La construction du roman n'est pas réfléchie. Au fur et à mesure de l'avancement de l'histoire, les choses s'imposaient à moi, sans doute pour la cohérence du fil d'existence de Joseph. Vous savez, quand on raconte une histoire, même une fiction, il y a des réalités à respecter qui parlent d'abord à l'auteur, au lecteur ensuite. Je n'ai pas planifié les différentes étapes du roman, ni la manière de les laisser prendre corps dans la vie de Joseph.
La prison durant de longues années, ça change un être humain. Les anciens détenus en ressortent souvent perdus, déboussolés, voire angoissés par cette liberté toute nouvelle. C'est le cas de Joseph...
Joseph est entré en prison à l'âge auquel on se construit. Il est sur le point d'en sortir à quarante deux ans. 25 ans de captivité forge une peur du dehors. Il ne connaît que la vie en prison. N'importe qui à sa place aurait eu la crainte de se retrouver dans un monde inconnu. Je pense que cette peur est éprouvée aussi bien à l'arrivée en prison, qu'à la libération, d'autant plus que, dans le cas de Joseph, l'extérieur n'offre aucune possibilité d'y avoir une existence réelle avec des liens et des espoirs auxquels s'accrocher. Ching, son amant, est mort. La dernière visite de la mère de Joseph remonte à plusieurs années. Il ne sait même pas si elle est encore vivante. Il n'y a personne pour l'attendre aux portes de la liberté. Et puis, les insoutenables conditions de vie à Reubeuss, le mauvais traitement des surveillants, l'humiliation, la nourriture abominable font que le prisonnier se sent moins humain. D'ailleurs, Joseph compare sa liberté d'agir à celle d'un insecte qu'il observe sur un mur de la prison. Il va même jusqu'à constater que l'insecte est plus vivant que lui.
Vous décrivez bien cette appréhension de la liberté. Après des années de prison, Joseph s'évanouit. Avez-vous parlé de cela avec des psys ou des médecins?
Je n'ai parlé ni avec des psys, ni avec des médecins. L'idée de l'évanouissement de Joseph vient des discussions que j'ai eues avec des prisonniers sur leur quotidien et leur appréhension de l'extérieur. Après cela, je me suis imaginée être à leur place. Je me suis dit tout de suite que je ne pourrais pas affronter un monde dans lequel je serais toujours pointée du doigt parce que coupable d'avoir été en prison. J'ai tenté de ressentir ce qui se passe dans la tête d'un homme enfermé plusieurs années qui va sortir de prison et se retrouver dans un dehors où il n'y a rien ni personne pour l'aider à reconquérir sa liberté. J'avoue que je me suis sentie mal.
Joseph raconte le deuil de son frère aimé et son enterrement. Vous avez le don de faire ressentir aux lecteurs les émotions du héros, de l'intérieur. Suite à une expérience de deuil sans doute?
Non, pas directement. Il est vrai qu'avant d'écrire ce roman, j'ai perdu des personnes qui me sont encore très chères, une de mes sœurs aînées d'abord, mes parents ensuite, et puis quelques amis. Mais ce ne sont pas ces pertes qui m'ont influencée. J'ai juste imaginé la peine de Joseph, attaché à son frère, qui vit l'enterrement de celui-ci alors qu'il n'a que dix ans. La peine de sa mère l'anéantit aussi.
Joseph est doublement marginal car meurtrier et homosexuel. C'est comme s'il ne savait que faire de lui même quand il est à Paris. On a l'impression qu'il se sent exclu de la société, inutile ou en sursis...
Quand Joseph arrive à Paris pour se faire soigner de la maladie de sa prostate, il est déjà détruit par toutes les années qu'il a passées en prison. Les seules choses qui lui restent, ce sont les souvenirs. De son amant Ching qui s'est suicidé, de sa mère qui n'est plus revenue le voir, du parc Montsouris dont son père lui a parlé, le jour de ses six ans, avant de disparaître. Il se retrouve là et il croit que toutes ses interrogations trouveront une réponse, ce qui n'est pas le cas.
Vous parlez aussi de la concurrence chinoise et de la dureté des employeurs chinois. C'est une réalité dans plusieurs pays d'Afrique...
Le roman se situe au Sénégal, un pays dans lequel les Chinois ont bien sûr leurs magasins, mais le plus gros de leurs activités se situe dans les échanges avec des revendeurs locaux à qui ils cèdent de la marchandise à vendre au détail. Chaque partie pose ses conditions. Les Chinois ont intérêt à ce que les détaillants sénégalais écoulent leurs produits et les Sénégalais s'y retrouvent dans la commercialisation au détail des mêmes produits. Ce que je déplore, c'est la non-législation relative aux navires chinois qui prennent le poisson des mers et le distribue en Europe. J'achète mon poisson à Château Rouge, je sais de quoi je parle.
Propos recueillis
par Pascale Athuil
Khadi Hane. Demain, si Dieu le veut Paris: Joëlle Losfeld, 2015, 160 pages.