« Oser Rêver» est un livre qui raconte, à travers les yeux de l'enfant que j'étais, mes périples et ceux de beaucoup d'autres enfants dans un pays sous le régime de l'apartheid. Ce récit encourage aussiles lecteurs, notamment les jeunes, à ne jamais abandonner leurs rêves. C'est avec des mots simples et beaucoup d'humilité que Lilja Ndapanda Itenge résume sa première œuvre littéraire. Dans ce récit d'une enfant réfugiée namibienne, il y a beaucoup plus que cela. « Oser rêver » est un hymne à la persévérance, au courage et à la réussite au sens humain du terme. Ecrit par altruisme et goût du partage, le livre nous questionne sur le sens et l'impact sur nos vies, de nos origines et de nos croyances limitantes. Même si le parcours de cette enfant de la guerre et de l'apartheid laisse des traces, il révèle aussi sa détermination à s'en sortir et incite au dépassement personnel. L'itinéraire peu commun de l'auteure force l'admiration et le respect. Aujourd'hui cadre au sein d'une organisation internationale, Lilja Ndapanda Itenge-Prieur donne, dans ce récit poignant, envie d'aller au bout de ses rêves. Quel joli cadeau ! Car après avoir lu « Oser Rêver », on se sent plus fort. Comme envahi par une force et une sensation de bonheur intense. |
Comment vous présenter ?
Je viens de Namibie où j'ai vu le jour dans un petit village du Nord du pays, dans une famille de sept filles. Je suis maman d'un garçon de onze ans, Laurent. A l'époque, dans notre culture, une famille sans garçon, c'était un peu la honte. D'après ce que je voyais et ressentais, j'ai eu envie de devenir le fils que mes parents n'ont pas eu afin de protéger mes sœurs. Et à défaut d'être un garçon, je me suis résolue à réaliser des choses qui pouvaient montrer de quoi j'étais capable.
En créant une latrine, par exemple ?
En effet, à l'époque, ne trouvant rien qui pouvait me conférer une stature de garçon, j'ai tout simplement décidé de creuser une latrine. Même si, à première vue, cela n'avait que peu d'importance, cet acte m'a véritablement aidée à me construire. Il m'a également persuadée du fait que je pouvais prendre une décision et la concrétiser.
Votre livre commence par un exemple qu'on aurait pu donner dans un cours de développement personnel, car cette latrine a joué le rôle d'un ressort positif. Vous fermez aussi le livre en évoquant le fait, justement, que vous avez fait un travail autour du développement personnel. Et surtout, vous donnez l'une des clés du succès en montrant comment une croyance positive peut influencer votre vie, et inversement...
On ne s'en rend pas compte, mais toutes les choses que nous faisons dans la vie ont une influence. Même celles qui ne semblent pas importantes finissent par influer sur notre vie: tout contribue à notre développement. L'objectif du livre est réellement d'encourager les autres. Au début je pensais surtout aux jeunes femmes. Lorsque j'ai commencé ce livre, en 1985, j'étais au Cameroun, à l'école secondaire. Nous étions un groupe d'une centaine d'élèves namibiennes réfugiées. Je regardais la façon dont les jeunes se comportaient. Nous n'avions pas nos parents et étions donc livrées à nous-mêmes. J'estimais que j'étais chanceuse, car même si ma mère n'était pas avec nous, c'était comme si elle nous élevait par correspondance. Elle nous envoyait des lettres presque chaque mois. Et j'ai pensé que ce serait bien de mettre par écrit les conseils qu'elle me donnait et qui m'aidaient à prendre le bon chemin. J'ai d'abord écrit des textes que j'ai fait lire à des amies qui ont aimé, et d'ailleurs ne me les ont jamais rendus. Cela m'a un peu découragée, mais j'ai repris l'écriture du livre en 1990, puis de façon plus sérieuse, il y a six ans.
Qu'est-ce qui vous a vraiment décidé à raconter votre histoire ?
La rencontre avec d'autres jeunes, surtout des femmes. Je me rends compte qu'on a tous besoin d'un exemple auquel on peut facilement s'identifier. Ma vie n'a pas été facile. J'ai lu beaucoup de livres qui m'ont encouragée et motivée. Après certaines lectures, je me suis sentie mieux, et jamais tout à fait la même. A travers les yeux de l'enfant que j'étais, j'ai eu envie de dire que nos difficultés ne sont pas la fin du monde et qu'on peut même s'en servir pour mieux réussir sa vie. Pendant quelques années, en Angola, je ne suis pas du tout allée à l'école, mais j'ai aujourd'hui le choix de faire des études et de me dépasser.
Qu'ont pensé vos sœurs de ce livre ?
Elles ne l'ont pas encore lu, car il n'a été édité qu'en français. Mais elles sont fières de moi. Et trois d'entre elles sont déjà en train d'écrire. Même ma mère écrit en ce moment un livre qui raconte pourquoi et comment elle est allée en Angola.
Pouvez-vous revenir sur les contextes sociopolitiques que vous décrivez, notamment sur le système d'apartheid qui existait en Namibie ?
Peu de gens le savent, mais la Namibie avait été, pendant de longues années, placée sous protectorat de l'Afrique du Sud par la Société des Nations (ndlr: la SDN est l'ancêtre de l'Organisation des Nations Unies). La Namibie a donc souffert du régime d'apartheid puisque nous étions comme une région d'Afrique du Sud. Et comme le monde entier se focalisait uniquement sur le cas sud-africain, la situation namibienne était presque passée sous silence. Il nous fallait donc nous débarrasser de cette encombrante tutelle.
Ce livre contient-il des passages que vous regrettez ?
Pas du tout ! S'il fallait le réécrire, je le ferais de la même manière. Je pense qu'il fallait raconter l'histoire telle que je l'ai vécue, sans trop de pudeur, car l'objectif c'est d'encourager les autres. Cela a été difficile, mais en même temps, je pense que cette histoire valait la peine d'être racontée.
Peut-on dire que l'histoire de votre famille est représentative de ce qu'une famille namibienne a vécu à cette époque-là ?
Quelques familles sont allées en exil, mais la majorité des gens partaient individuellement. Il y a eu des multitudes de jeunes qui ont quitté le pays à pied comme nous, mais ils étaient souvent seuls. Je connais quelques familles, comme la nôtre, où les parents étaient plus éduqués, des institutrices comme ma mère ou des infirmières, par exemple, qui sont parties avec leurs enfants. Mais il n'y en a pas eu des centaines. Peut-être une vingtaine.
Votre force, ne vient-elle pas du fait que vous avez eu une mère hors du commun ?
Dieu merci, parce que mère a été ce qu'elle a été ! Elle a toujours eu envie d'encourager son entourage et de nous montrer l'exemple. Quand nous étions en Angola, elle a décidé d'apprendre l'anglais. C'était un moyen de nous démontrer que c'était possible. Elle est allée dans un institut en nous laissant dans un camp: il fallait vraiment oser le faire ! Donc oui, c'est aussi grâce à ma mère que non seulement j'ai du courage mais aussi que peu de choses me font peur.
Très souvent dans votre livre, vous revenez sur le fait que dans le contexte politique de l'époque, vous vous êtes toujours sentie diminuée en tant que femme noire. Maintenant que vous êtes mère de famille, êtes-vous libérée de cette idée, de cette croyance négative ?
Je crois qu'on n'est jamais complètement libéré de ce qu'on nous a inculqué tout petit. Je continue à m'encourager à être la personne libre que je pense être aujourd'hui. C'est un travail long et parfois difficile, mais il faut persévérer et ne jamais croire que c'est acquis. Je suis libre, mais j'ai encore quelques points noirs sur lesquels je dois continuer à travailler.
Vous qui croyez aux rêves et aux idéaux, pensez-vous que ce sera possible d'arriver à vous libérer complément de cela un jour ?
Le travail de développement personnel doit continuer. Ce qui m'a été inculqué est en moi, je n'y peux rien. C'est un bagage que je porte et avec lequel je dois fonctionner. C'est vrai, je suis une femme libre aujourd'hui, mais j'ai quand même ce poids qui est lourd à porter. Dans ma mémoire, j'ai cela. M'en défaire serait me défaire de mon identité, or c'est ce qui fait ce que je suis. C'est paradoxal, mais c'est ainsi. Il ne faut pas voir cela de façon négative: on doit savoir utiliser de façon positive ce qui, à un moment donné, nous a limités. J'éprouve presque de la gratitude envers mon passé, aussi difficile soit-il. C'était douloureux par exemple d'avoir faim, mais tout cela fait partie de ce que je suis devenue. Aujourd'hui je suis moins timide, j'ai beaucoup plus confiance en moi et en l'avenir.
De ces périodes difficiles que vous avez vécues, vous gardez aussi de belles histoires d'enfant que vous relatez bien. Quel est votre plus beau souvenir d'enfance pendant l'exil ?
En exil, c'était des moments d'insouciance. On jouait comme tout enfant en Afrique, souvent avec un ballon, et cela pouvait durer des heures. J'entends toujours nos rires, comme s'il n'y avait pas la guerre. Nous étions, malgré tout, des enfants comme les autres. Même si on n'avait pas grand-chose à manger, on s'organisait par petits groupes. Nous allions dans les endroits où seuls les adultes devaient aller et nous volions la nourriture ! (rire). C'était comme un jeu d'enfants et nous avions de nombreux codes.
Vous êtes aujourd'hui une mère accomplie. Qu'avez-vous envie de transmettre à votre fils Laurent ?
Je dis souvent à Laurent que son esprit est libre, qu'il ne faut jamais laisser quelqu'un lui dire ce qu'il peut faire ou ne pas faire. Il faut qu'il croie en lui. J'ai envie de dire à tous les enfants qu'ils sont des êtres dans un petit corps. Et que leur avenir leur appartient. Il faut décider soi-même de ce qu'on a envie de vivre et s'y donner pleinement.
En épilogue, vous exhortez le lecteur à se dépasser, à ne pas écouter les paroles limitantes. Aujourd'hui, rêvez-vous encore ?
Je rêve, bien sûr ! Même encore plus que dans le passé. Mon rêve le plus pressant est de construire des bibliothèques pour des jeunes personnes qui n'ont pas accès aux livres. J'ai envie de commencer avec des bibliothèques ambulantes dans mon pays. La vente de mon livre permettra à une association, Helping the Children of The World (Htcow), de fournir une bibliothèque dans mon village et dans les villages voisins. A l'aide d'un camion, nous irons de village en village pour faire vivre cette bibliothèque. Nous souhaitons également que ceux qui le peuvent nous donnent des livres, pas seulement des livres pour enfants, mais toutes sortes de livres. Et pour terminer, je voudrais encourager tous vos lecteurs à Oser Rêver et à entreprendre les actions nécessaires pour y arriver.
Propos recueillis
par Claire Renée Mendy
Contact:
www.oserrever-lelivre.com
www.htcow.org