Le Petit Garçon Bleu
Fatou Keita est née et vit en Côte-d"Ivoire. Elle a effectué ses études en France, en Côte-d"Ivoire, en Angleterre et aux États-Unis. Docteur en Lettres en études anglo-saxonnes, elle enseigne la littérature anglaise à l'Université d'Abidjan. Elle vient de publier, pour la jeunesse, son premier livre : Le Petit Garçon Bleu, paru aux Nouvelles Editions Ivoiriennes (01 BP 1818 Abidjan 01). |
Mme Fatou Keita, voux dédiez votre livre "à mon frère Badala et à tous ceux que l'on croit différents". Pourquoi?
Badala est mon jeune frère. Il est handicapé physique. Il utilise une chaise roulante. C'est donc un enfant "bleu". J'ai voulu lui dédier ce livre ainsi qu'à tous ceux qui sont comme lui. Il a été très content de cette dédicace et s'est senti véritablement honoré.
Comment une mère peut-elle empêcher de voir son fils devenir handicapé?
Dès la grossesse de la mère, les médecins, les sages-femmes recommandent à la future mère de suivre des régimes, de prendre tel ou tel médicament. Il y a aussi les vaccinations qui sont primordiales. Mais on ne peut pas échapper à tous les accidents de la nature. C'est le destin.
Comment est née l'idée d'écrire ce livre?
De l'observation du monde. De l'intolérance des gens à tous les niveaux. Particulièrement du racisme. Je n'ai jamais compris qu'on puisse haïr quelqu'un. Partout le Noir est persécuté. Même au niveau national, c'est avec tristesse qu'on remarque que tel groupe ethnique dénigre tel autre groupe. L'intolérance se manifeste aussi dans la société, notamment au niveau de l'homme qui minimise la femme. Cette intolérance devient franchement insupportable lorsqu'il s'agit d'enfants qui se moquent d'un handicapé. Ces enfants qui manifestent ainsi leur haine envers un handicapé démontrent leur manque d'éducation. On doit apprendre à respecter la souffrance de celui qui a un handicap.
Pour celles qui ne l'ont pas encore lu, résumez nous Le Petit Garçon Bleu
C'est l'histoire d'un couple. Malgré tout l'amour qu'ils avaient l'un pour l'autre, ils n'arrivaient pas à avoir d'enfant. Après plusieurs années, ils finirent par voir la concrétisation de leur rêve le plus cher. Malheureusement l'enfant vint au monde avec la couleur bleue. Cette couleur ici symbolise la différence. Ils vont enfermer leur enfant croyant le protéger du monde. L'enfant va s'échapper pour aller à la recontre des autres. Tout le livre sera la découverte de cet enfant par les autres et surtout son rejet par eux, au début. Mais l'enfant bleu saura conquérir les uns et les autres qui se rendront compte que sa couleur n'a pas d'importance.
La réaction des enfants lecteurs de ce livre?
Chaque semaine je rencontre les enfants à travers des causeries et des dédicaces dans plusieurs écoles. Les enfants ont été très touchés par ce texte. Le message est passé. Ils ont compris le message d'amour, le thème du livre. Ils ont compris qu'il ne faut jamais rejeter celui qui est différent de nous.
Avez-vous rencontré des difficultés pour écrire ce livre?
Pas spécialement. J'ai un langage accessible aux enfants. Certaines personnes m'ont reproché d'avoir un langage difficile pour des enfants. Je pense qu'il ne faut pas trop simplifier. Ce livre donne l'occasion aux enfants d'apprendre davantage de vocabulaire.
La maman a-t-elle un rôle à jouer dans le sens de donner le goût de la lecture à l'enfant?
Le rôle de la maman est primordial. En Afrique, c'est la femme qui est très proche de l'enfant. Malgré ses charges domestiques et professionnelles, elle est obligée de s'occuper de l'éducation de l'enfant. L'homme se dégage de tout sur la femme. Or, le couple doit savoir partager l'éducation de l'enfant.
L'homme est aussi très occupé?
C'est une excuse facile. Dans cette société moderne, l'homme et la femme ont tous deux des activités professionnelles. Tous deux partent et reviennent ensemble du travail. Il n'est pas normal que toutes les tâches domestiques incombent à la femme seule. L'homme s'invente toujours des excuses. Et quand il apprend que l'enfant se drogue, il est surpris et étonné. Car il n'a jamais eu de temps pour cet enfant. Il ne le connaît pas. C'est lui qui est toujours parti pour des réunions. Il ne consacre que peu de temps à son enfant. J'espère que ce livre sera une occasion pour les pères de faire la lecture aux enfants.
Pourquoi les illustrations de vos livres ne sont-elles pas de vous?
C'est très simple. Je ne sais pas dessiner. Je sais que c'est un gros handicap pour moi qui veut beaucoup écrire pour les enfants. Les illustrations de ce livre sont de Claire Mobio. C'est une femme ivoirienne. Nous avons travaillé en étroite collaboration. C'est le premier livre qu'elle illustre. Et ce fut un coup de maître.
Quels sont vos liens avec vos enfants?
Des liens très étroits, très forts. Ils sont mes premiers lecteurs. Tous les deux lisent et discutent de mes projets.
Êtes-vous pour la polygamie?
Je ne ferai jamais cadeau de la polygamie à un homme. L'homme est déjà un privilégié. Pourquoi doit-on lui ajouter encore d'autres privilèges? Je ne comprends pas ce phénomène, la polygamie...
La femme africaine intellectuelle est difficile.
Pourquoi voulez-vous faire de la femme intellectuelle un mythe. La femme intellectuelle, universitaire, est une femme comme toutes les autres. C'est une femme qui a une vie privée, qui a des enfants. Même si elle pose plus d'actes que les autres, il n'en demeure pas moins qu'elle a aussi ses faiblesses et ses joies, comme les autres femmes.
Pour terminer, avez-vous un message particulier pour les femmes?
Je voudrais insister sur le rôle des femmes dans l'éducation des enfants vis-à-vis des handicapés. A ce niveau le rôle de la mère est essentiel. C'est elle qui doit enseigner à l'enfant le respect pour autrui. Elle doit lui dire de ne pas insulter un handicapé. Elle doit plutôt l'aider à comprendre la souffrance du handicapé et à l'accepter. Car les enfants peuvent être très méchants envers les autres s'ils ne sont pas éduqués. Je voudrais aussi demander aux parents qui ont des enfants handicapés de ne pas les cacher, mais de les laiser s'épanouir.
Propos recueillis par Isaïe Biton Koulibaly