Article AMINA


      Interview
      de Fatou Keita
      réalisée et publiée dans Amina en décembre 1998.

      "Rebelle"

      Après avoir écrit plusieurs ouvrages de littérature enfantine qui lui ont valu de nombreux prix littéraires dont le Prix de l’Excellence de la République de Côte-d’Ivoire pour la Culture (Édition 97), Fatou Keita, professeur d’anglais à l’Université d’Abidjan vient de publier son premier roman "Rebelle", relatif à l’excision et publié aux Nouvelles Éditions Ivoiriennes. Fatou Keita vient d’être appelée pour siéger au jury du Prix UNESCO de littérature pour enfants et adolescents au service de la tolérance.


      Vous venez de publier votre premier roman. Est-ce la fin de l’écriture pour les enfants?

      Pas du tourt. La littérature pour enfants est vraiment mon domaine de prédilection. Je m’y trouve pleinement dans mon élément et j’ai encore de nombreux projets dans ce domaine. Cela dit, je pense aussi continuer dans le roman car cela semble également me réussir.

      Quelles sont les contraintes de l’écriture d’un roman et d’un livre pour les enfants?

      Il faut de la rigueur dans l’écriture, pour l’un comme pour l’autre. Il faut pouvoir capter et retenir l’attention du lecteur, faire en sorte qu’il n’ait plus envie de lâcher le livre une fois qu’il l’a commencé. Dans les livres pour enfants, il faut vraiment savoir se mettre dans la peau des enfants pour capter ce qui peut les faire rire ou les faire pleurer.

      Pour nos lecteurs qui n’ont pas encore lu "Rebelle", pourriez-vous le résumer?

      "Rebelle" raconte l’histoire d’une femme africaine, Malimouna. Toute petite, elle va échapper à l’excision, mais ce secret sera découvert lorsqu’à 14 ans, elle sera donnée en mariage à un vieil homme. Elle ne trouve alors d’autre ressource que de se sauver de son village pour se retrouver à Salouma, la capitale. Commence alors pour elle une vie qui ne sera pas de tout repos. Elle travaille comme domestique chez des expatriés à Salouma puis à Paris. Confrontée à maintes difficultés, elle prendra son destin en main, faisant des ménages pour subvenir à ses besoins et payer ses cours pour s’instruire. Prenant conscience, au contact de son amie Fanta, la Malienne, des problèmes des femmes immigrées, elle se jure d’apprendre un métier qui lui permettra d’aider les femmes. Elle connaîtra son premier amour avec le Français Philippe, avec qui elle retourne à Salouma. Leur liaison s’achève au bout de quelque temps et Malimouna recontre alors Karim qu’elle pense être l’homme de sa vie... Je m’arrêterai-là car il faut quand-même que les lecteurs découvrent ce roman par eux-mêmes.

      Pourquoi êtes-vous intéressée par les problèmes de l’excision?

      Je me sens interpellée en tant que femme, en tant que mère et en tant qu’éducatrice. Des millions de femmes sont multilées inutilement, il faut que cela cesse le plus rapidement possible. C’est une violation flagrante des Droits de la femme. Les dangers de l’excision, je crois que tout le monde les connaît à présent. Il s’agit d’un problème de santé publique.

      Quelles sont les raisons avancées par la tradition pour imposer l’excision?

      D’une façon générale, ceux qui la pratiquent ne savent pas vraiment pourquoi ils le font. C’est une coutume dont ils ont hérité et qu’ils perpétuent parce que, leur a-t-on dit, elle permet à la femme d’être une vraie femme, fidèle et soumise à son mari. Une femme capable de maîtriser ses pulsions.

      Dans votre roman, on assiste à une tentative de mariage forcé. Ce mariage existe-t-il encore dans la société moderne?

      Les mariages forcés sont encore légion chez nous. Il ne faut pas perdre de vue que les citadins ne constituent pas l’essentiel de la population en Côte-d’Ivoire. Je ne vois aucun avantage à forcer quelqu’un, qu’il soit un homme ou une femme, à se marier à une personne dont il ne veut pas.

      Comment exqliquez-vous l’acharnement des hommes à posséder les femmes, comme M. Bireau dans "Rebelle"?

      Je ne voudrais certainement pas généraliser, car il y a heureusement, des hommes très corrects. Je dirai tout simplement que ceux qui se comportent ainsi croient qu’ils peuvent tout se permettre lorsqu’ils sont en face d’une femme.

      Votre personnage, Malimouna, croit retrouver ses racines avec Karim qui a la même langue et la même religion qu’elle. Est-ce des raisons suffisantes pour aimer et faire sa vie avec un homme?

      Ce ne sont absolument pas les seules raisons qui la poussent vers cet homme. Elle l’aime, tout simplement et le fait qu’il soit de chez elle la réconforte après sa liaison avec Philippe le Français, dont elle n’appréciait pas vraiment le milieu.

      Malimouna est très active dans l’Association d’Aide à la Femme en Difficulté (AAFD). Pour vous, quelles sont les difficultés que rencontrent les femmes de la ville et du village?

      Je pense que ces difficultés sont très simples à résumer : la femme, que ce soit à la ville ou au village, a tout simplement trop de travail. C’est souvent une bête de somme qui n’a pas de temps pour elle-même. Mais le pire, c’est qu’on ne lui reconnaît pas ce travail et qu’on la traite trop souvent comme un citoyen de second ordre.

      "Si ton mari n’est pas heureux à la maison, c’est que c’est toi qui ne le satisfait plus!". Cette phrase est courante.

      C’est là un résumé bien simpliste. Dans la relation Karim-Malimouna, le changement d’attitude de Karim vient tout simplement du fait qu’il entretient une autre liaison ailleurs. Ce qui est, vous me l’accorderez, un comportement assez classique. Les femmes intellectuelles ont toujours des problèmes dans leur foyer. Je crois qu’il ne faut pas exagérer. Le vrai problème en fait vient du fait que certains hommes sont très complexés lorsqu’ils se trouvent en face d’une femme qui a du répondant. Je pense que les femmes ont, d’une façon générale, le même genre de problèmes, mais je vous accorde que la femme de la ville, à l’image de Malimouna, acceptera certainement moins facilement que la villageoise, les infidélités et les abus de son homme.

      La femme afraicaine moderne a-t-elle un défaut ou des défauts à "soigner" ou à "guérir"?

      Tout le monde peut s’améliorer, l’homme comme la femme. Les femmes africaines modernes doivent veiller, puisque c’est essentiellement elles qui éduquent, à nes pas perpétrer une inégalité dont elles sont les premières victimes et que leurs filles subiront à leur tour, si elles n’y prennent garde.


      Isaïe Biton Koulibaly. "Rebelle" de Fatou Keita Amina 344 (déc. 1998), p.80
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      Editor ([email protected])
      The The University of Western Australia/French
      Created: 5 Jan 99
      Last modified: 3 June 99
      Archived: 12 October 2016
      https://aflit.arts.uwa.edu.au/AMINAkeitaF2.html