Et si on relisait le Coran? Tel est le titre du second livre de la Malienne Hanane Kéita Traoré. Un titre polémique, voire provocateur, diront certains critiques. Mais une œuvre néanmoins bien documentée et bien argumentée en faveur de l'impérieuse nécessité d'une autre lecture du Saint Livre. L 'auteure s'est confiée à Amina. Interview. |
N'est-ce pas audacieux de la part d'une femme de susciter un tel débat dans une société musulmane très conservatrice, comme celle du Mali?
Le titre d'un livre ne reflète pas forcément son contenu. Mais, beaucoup de gens m'ont dit que j'aime choisir des titres provocateurs. Ils se réfèrent sans doute à celui de mon roman intitulé « Femme sans avenir » consacré aux drames de la polygamie. D'autres m'ont dit qu'ils ont eu l'impression, en lisant le titre, que je voulais parler de réécrire le Saint Coran. Mais une fois qu'ils ont lu le livre, ils ont découvert que ce n'est pas le cas. Je le dis et je le répète: l'islam est une grande et noble religion. Et on n'a rien à reprocher à l'islam en tant que dogme. Ce n'est pas l'islam en tant que foi, pratiques culturelles et sentiments sacrés dont il est question dans cet ouvrage. Mais, l'islam en tant que moteur de la dynamique politique, économique et sociale bâtie sur la modernité séculière. Il ne s'agit pas de désacraliser le Coran, mais plutôt de désacraliser son interprétation qui est humaine.
L'écriture de cet ouvrage vous a visiblement pris beaucoup de temps?
Ça m'a pris deux ans. Mais je pense au sujet depuis longtemps. Quand j'écris, c'est pour dénoncer une situation. En écrivant, je ne pense ni à plaire ni à déplaire à quiconque. Seuls les lecteurs peuvent juger. Personnellement, je ne trouve pas que le thème de ce second livre heurte les sentiments des musulmans. Le sujet n'est pas nouveau, même si nous, Africains de l'Afrique de l'Ouest, sommes en retard par rapport à ce débat mondial.
Qu'est-ce qui rend incontournable cette relecture que vous jugez nécessaire?
Le Coran a été révélé au Prophète, Paix Sur Lui, en 610. La révélation a duré 23 ans. Si on n'étudie pas l'environnement socioculturel et les tensions de l'Arabie du VIIe siècle, on ne peut pas comprendre le texte. On finit par construire un islam en apesanteur, un islam antihistorique. Si on considère que le Coran est une parole de Dieu, donc « une parole vivante », il faut accepter qu'elle nous parle autrement au XXIe siècle car les conditions de vie ont changé. On n'a plus ni les mêmes doléances, ni les mêmes exigences que nos ancêtres. On ne peut pas nier cette réalité. Ce qui était valable pour eux, peut ne pas l'être pour nous. Il s'agit de répondre aux exigences de la conscience musulmane moderne sans s'écarter de la réalité historique à chacune des étapes.
En quoi cette relecture peut-elle profiter aux femmes dans une société fortement islamisée comme celle du Mali?
Quand je dis relire le Coran, je veux dire le lire en prenant en compte le contexte socio-historique et culturel. J'exhorte donc à lire le Coran avec un esprit critique, avec une méthodologie moderne. L'islam est une religion vivante et, par conséquent, ses fidèles attendent qu'elle réponde à leurs interrogations, qu'elle propose des solutions à leurs problèmes. Pendant mille quatre cents ans, le Coran a été interprété par les anciens selon ce que leur horizon mental leur permettait de comprendre. Je veux dire que nos ancêtres étaient plus courageux que nous. Ils avaient compris que le pluralisme et la diversité feraient leur force. Quelque chose qu'on ne veut pas entendre aujourd'hui. Il faut savoir que si le Coran est de Dieu, son interprétation relève des hommes et aucune lecture ne peut prétendre détenir le sens du Coran. Relire le Coran à la lumière du XXIe siècle est une nécessité si on veut s'insérer dans la modernité, qui est un produit de la raison humaine. Et si la « raison » est citée quarante-quatre fois dans le Coran, cela ne peut être un hasard. Cela veut dire que la raison est la base sur laquelle tout se joue dans l'islam.
Comment la femme est-elle traitée aujourd'hui dans la société musulmane?
On peut être optimiste par rapport à la reconnaissance sociopolitique et économique de la femme dans nos sociétés. Toutefois l'arbre ne doit pas cacher la forêt. Les femmes, tout le monde le sait, sont souvent maltraitées, chez nous, au nom de l'islam. Je ne suis ni féministe, ni dans le lot de celles qui réclament l'égalité entre les sexes. Et je reste persuadée que l'homme est homme et la femme est femme. Chacun a un rôle à jouer dans la société et ils se complètent. N'empêche, la femme souffre jusqu'au plus profond d'elle même à cause de cette prétendue polygamie que des Oulémas (prêcheurs), par des interprétations erronées et faites à leur guise, ont permis. Ainsi les hommes peuvent se marier comme et quand ils veulent. On leur a fait croire que c'est leur droit absolu! Celles qui osent protester sont répudiées et chassées. Pour eux, une vraie musulmane doit se soumettre et tout accepter. En fait, la situation de la femme ne s'est pas vraiment améliorée. Mais, cela est dû à la tradition, à la culture plutôt qu'à l'islam. Les premiers interprètes auraient dû mettre en relief tous les versets où Dieu parle de la femme et comment, dans Sa gloire et Sa miséricorde, Il a fait d'elle un être humain à part entière, égale à l'homme en toute chose, dans le châtiment comme dans la récompense. Le but de quelques Oulémas a donc été de diaboliser la femme pour pouvoir la garder dans un état de servitude, faire d'elle une éternelle prisonnière de coutumes qui n'ont rien à voir avec la religion.
Vous essayez de démontrer dans votre livre que l'islam n'est pas une religion misogyne. Qu'est-ce qui le prouve?
On ne peut pas parler de l'islam sans parler du judaïsme et du christianisme, les trois religions monothéistes. Je ne fais pas de comparaison dans l'esprit de démontrer que l'islam est la meilleure des religions. Mais, juste pour comprendre l'évolution historique des faits... Ceci dit, la péninsule arabique du VIIe siècle était habitée par beaucoup de juifs et de chrétiens. L'islam a trouvé des pratiques telles que brûler la veuve avec son mari qui vient de mourir, ou le fils qui épousait sa maman après la mort de son père, ou épousait sa propre sœur, ou épousait deux sœurs en même temps... C'est dans ce contexte socioculturel que l'islam est venu interdire toutes ces pratiques et a décrété la femme comme un être humain à part entière. Elle a le droit d'accepter ou de refuser un mariage, voire de demander le divorce. Pour, la première fois, la femme pouvait hériter et elle pouvait parler, s'exprimer, etc. Les exemples sont nombreux dans le Coran. L'histoire de la Reine de Saba, la femme de Pharaon, ou encore la vierge Marie sont des exemples par lesquels Dieu a voulu démontrer la valeur et la place que la Femme occupe dans la société. La reine de Saba est décrite comme une femme sublime et considérée comme un personnage d'une profonde sagesse et d'une haute intelligence. On comprend donc que l'islam n'a pas de problème avec les femmes; ce sont plutôt les hommes qui en ont un.
Que faut-il faire pour que les musulmanes puissent jouir des droits garantis par les Saintes Ecritures, mais confisqués par de mauvaises interprétations du Saint Coran?
Une lecture ouverte du Coran permettrait d'adopter une formulation moderne en lieu et place des concepts qui portent atteinte à la dignité et à l'humanisme de la femme. Ensuite vient l'éducation. C'est la seule et unique voie pour ne pas maintenir l'homme dans la servitude. Les femmes doivent apprendre à lire le Coran par elles-mêmes, dans leurs langues maternelles, pour savoir en quels termes Dieu s'adresse à elles ainsi que la place qu'elles occupent dans la société. Cela leur permettrait aussi de comprendre comment Dieu les a mis sur pied d'égalité avec les hommes. Il ne faut pas qu'elles se limitent au discours rétrograde et réactionnaire de quelques prêcheurs qui enseignent que la femme est inférieure à l'homme, et qu'une femme dont le mari n'est pas satisfait d'elle n'ira jamais au paradis. Comme si désobéir à son mari, c'est aussi désobéir à Dieu! Comme on le sait le Coran a décrété la flagellation et non pas la lapidation à mort comme l'ont décidé les Oulémas. Il n'existe pas de sanctions plus graves que les cent coups de fouet (la moitié s'il s'agit d'esclaves). « Fustiger la fornicatrice et le fornicateur de cent coups de fouet (administrés) à chacun d'eux. Eu égard à la religion, n'ayez aucune pitié pour eux » ! Voilà ce que dit la sourate 24, verset 2 du Coran. L'excision est un autre exemple. Beaucoup de jeunes filles en sont victimes alors que c'est une pratique qui n'a rien à voir avec le Coran ni avec l'islam. Vient ensuite le rôle de l'état qui doit veiller à l'application effective des textes de lois et des procédures relatives aux droits de la Femme. Les autorités doivent aussi renforcer la participation des femmes aux processus de fondement d'une société démocratique et civile qui garantit l'équité sociale, l'égalité et l'équité dans les conditions de travail entre les femmes et les hommes dans tous les domaines.
En quoi l'éducation et l'émancipation des femmes sont-elles indispensables à la modernisation d'un pays?
Il faut garder à l'esprit que sans l'éducation des filles, il n'y aura pas de développement car la femme est la base de toute société. L'émancipation des femmes est une condition sine qua non de la modernisation du pays. La civilisation universelle ne peut être atteinte sans la participation des femmes aux affaires publiques. Il faut encourager la participation des femmes au travail, à la politique, à la vie sociale... La réussite professionnelle ou politique des femmes est toujours prise pour un signe de modernité.
Quel appel lancez-vous aux musulmanes du Mali et d'Afrique?
Je lance un appel à toutes les femmes, qu'elles soient juives, chrétiennes, musulmanes ou athées. Toutes les femmes ont le même destin, qu'elles soient noires ou blanches. Un destin qui a été cimenté par des interprétations erronées ou des législations abusives. Les femmes doivent être conscientes que ce sont elles qui font les hommes et les femmes de demain. L'éducation des enfants, c'est la femme. Elle est la première et seule responsable de l'enfant. Inculquons à nos enfants l'égalité. Qu'ils soient filles ou garçons, Dieu les a tous créés libres et égaux. Je reste persuadée que l'éducation commence à la maison, ensuite vient le rôle de l'école puis de toute la société. Que chacune d'entre nous commence par traiter les garçons de la même manière que les filles... Seule une bonne éducation peut nous aider à changer les mentalités et nous garantir un avenir meilleur!
Propos recueillis
par Amina Dicko