Après son remarquable roman « L'Hôte indésirable », qui montre les ravages du Sida dans une famille, Doris Kelanou brise le silence avec « L'Echo du silence », un recueil de nouvelles paru aux Editions Anibwe en 2015. |
J'étais au maquis (rires). Ce long silence est dû au fait que dernièrement, il m'a été très difficile de concilier ma vie professionnelle avec ses contraintes, ma vie familiale avec ses péripéties et ma passion pour la littérature. Plusieurs chargements ont eu lieu dans ma vie depuis. Ma famille s'est agrandie juste après « L'hôte indésirable ». J'ai accepté un poste à responsabilité au pays qui ne me laisse pas beaucoup de temps libre... Néanmoins, le divorce d'avec ma passion n'a jamais été prononcé car j'ai plusieurs manuscrits en chantier qui s'impatientent, je l'avoue.
Pouvez-vous expliquer le sens du titre de votre livre, « L'écho du silence », qui comporte justement le mot « silence »?
Silence ne rime pas ici avec mon absence de la scène depuis mon premier roman. Dans ce recueil de nouvelles, je donne la parole aux hommes qu'on a fait taire, soit en les tuant, soit en les enfermant en prison. Toutefois, loin d'être aphone, leur silence est devenu si éloquent qu'il s'est transformé en une empreinte indélébile laissée dans l'Histoire que j'assimile à un écho, tellement il est porteur, d'où ce titre.
Vous donnez effectivement la parole à d'illustres disparus, des hommes noirs qui ont marqué l'Histoire. Est-ce une manière pour vous de répondre à ceux qui prétendent que les Noirs ne sont pas entrés dans l'Histoire?
En effet. Prétendre que les Noirs ne sont pas entrés dans l'Histoire c'est faire erreur, c'est tout simplement effacer ou réécrire l'Histoire. Qui peut oser contester le rôle joué par Martin Luther King et Nelson Mandela pour la postérité? Ces illustres hommes, et bien d'autres, ont écrit les plus belles pages de l'Histoire. Martin Luther King s'est battu et a payé de sa vie pour la cause des Noirs Américains et pour leurs droits civiques. Aujourd'hui, les États-Unis, première puissance mondiale qui a pratiqué l'esclavage et la ségrégation raciale, sont dirigés par Barack Obama, un Noir, et qui ne démérite pas! Quel grand homme contemporain n'a pas fait ses classes auprès de Nelson Mandela? Les valeurs humanistes que cet homme a incarnées et enseignées à tous resteront à jamais dans la mémoire collective, tel un patrimoine. Oserait-on le méconnaître? Des grands hommes comme eux ne pullulent pas sur la terre, et ce sont des Noirs. Ce sont des modèles, des héros Noirs dont il faut s'inspirer.
Parmi les figures héroïques que vous faites revivre, on compte une femme: Kimpa Vita. Peut-on affirmer que c'est un choix hautement symbolique?
Tout à fait. Kimpa Vita symbolise le courage. Cette vertu lui a permis de surmonter la peur dans l'action, d'affronter le danger et la mort sans sourciller. C'est dire que la révolution n'est pas qu'une affaire d'hommes. Sa condition de femme et sa jeunesse auraient pu constituer des obstacles majeurs et l'arrêter, pourtant elle a fait montre d'un courage noble pour chercher à sauver le royaume Kongo et redonner de l'espoir à ses semblables. Nous avons besoin de tels modèles féminins pour nous ressourcer et réveiller le côté Kimpa Vita qui sommeille parfois en nous.
Votre recueil se termine par les phrases suivantes: « Mon enfant, ne demeure pas ignorant de ton histoire, tu seras semblable à un arbre sans racines. Or, un tel arbre est sans longévité. Il est emporté par la première secousse. » Votre livre s'adresse-t-il en particulier aux Afro-descendants?
Non, je veux que mon livre soit universel. En peignant le portrait de ces modèles noirs, j'invite les Afro-descendants à s'affranchir des anneaux de l'autocensure, et les autres races à réaliser que Noir ne rime pas avec moins que rien. Nous avons tous notre place dans l'humanité et notre rôle à jouer.
Un dernier mot?
Si je pouvais contribuer un tant soit peu à redonner de l'espoir aux uns et aux autres, à conserver la mémoire vivante à travers « L'écho du silence », alors mon travail d'artiste serait pleinement rémunéré.
Propos recueillis
par Liss Kihindou
Doris Kelanou. L'écho du silence. Paris: Aniwbe, 2015. 78p.