Après "J'espère", publié en 2005, voici
"Détonations et folie", un deuxième recueil de nouvelles paru aux
éditions L'Harmattan en octobre 2007, qui révèle un
écrivain avec lequel la littérature africaine devra
désormais compter. Titulaire d'une maîtrise et d'un DEA de lettres obtenus à l'université de Paris X, Liss se fait également remarquer dans le domaine de la critique littéraire. Amina, qui lui a déjà ouvert ses pages pour parler de littérature, a décidé de lui poser quelques questions pour évoquer son travail d'écrivain, cette fois-ci. |
"Détonations et folie", qu'avez-vous cherché à exprimer à travers cas deux termes ?
Le terme "détonations" renvoie à tous les bruits qu'on entend lorsque, à la place du dialogue fraternel, les armes deviennent le seul moyen de communication des hommes politiques. Et le mot "folie" exprime l'état dans lequel se trouve tout pays soumis à tel traitement : il traduit le manque d'humanité des responsables politiques qui s'obstinent dans leur voie sans tenir compte des désastres que cela provoque; il dit la détresse du peuple qui ne sait plus à quel saint se vouer, qui se demande comment survivre dans son propre pays, comment échapper aux exactions dont il est l'objet pendant ces guerres, viols, pillages, assassinats, etc. mais ce terme peut être aussi pris au sens propre, comme le suggère la nouvelle "Biens mal acquis" qui montre comment un pilleur en est arrivé à perdre la raison.
Ces nouvelles racontent surtout la guerre au Congo-Brazzaville, votre pays d'origine, entre 1990-2000. Pourquoi ?
L'oubli de l'histoire est le plus sûr moyen de commettre les mêmes erreurs que par le passé. Les hauts responsables politiques n'auraient pas eu la possibilité de faire ce qu'ils ont fait s'il n'y avait pas à la base, un certain soutien. Lors de ces événements il y a eu des pour et des contre tel dirigeant politique. Dans la nouvelle "La maison de Dieu" par exemple, je montre que même les chrétiens, les hommes d'Eglise ont encouragé la haine. C'est pour dire que les responsabilités sont partagées, qu'il s'agisse du peuple ou des dirigeants politiques. Alors, il importe de sensibiliser tout le monde, de nous rappeler ce que nous avons vécu afin de ne pas retomber dans le même gouffre. De nombreux récits existent aujourd'hui et continuent d'être publiés sur la guerre de 14-18 ou sur la déportation des juifs, par exemple. Il ne s'agit pas de focalisation, mais de rappel de l'histoire, de sensibilisation, pour la postérité.
La nouvelle serait-elle votre genre de prédilection ?
Il est vrai que j'ai déjà publié un recueil de nouvelles, celui-ci est mon deuxième, mais cela s'est fait comme ça, sans que je l'aie vraiment décidé moi-même. J'ai senti une inspiration pour des récits courts, et puis je m'y suis attelée.
Avez-vous des projets d'écriture dans d'autres genres, le roman ou le théâtre ?
Je souhaiterais, à l'avenir, explorer le genre romanesque.
Vous êtes à la fois écrivain et critique littéraire. D'où vous vient cette passion pour la littérature ?
Plus on lit d'auteurs, plus on découvre de styles et d'univers, et plus on a envie de faire découvrir son propre univers. Mais aussi plus on lit et plus on a envie de partager avec d'autres les émotions qu'on a pu ressentir. Pour moi lecture, écriture, critique littéraire deviennent de plus en plus indissociables. J'ajouterai aussi que quand on a fait l'expérience de la publication et qu'on sait combien ce n'est pas facile, on aimerait encourager de jeunes auteurs et contribuer à faire connaître leur œuvre au public.
Pour vous, qu'est-ce qu'un écrivain ? Comment concevez-vous son rôle dans la société ?
On pourrait dire beaucoup de choses là-dessus, mais pour être court, je dirais qu'un écrivain, c'est quelqu'un qui fait, d'une noble manière, l'expérience du partage; c'est quelqu'un qui a la chance de beaucoup donner et de beaucoup recevoir, mais c'est surtout quelqu'un qui sait se mettre à la place de l'autre, qui sait faire siennes les joies, les douleurs, les angoisses des autres. Il a la chance d'avoir un lieu privilégié d'expression et il doit s'en servir judicieusement.
Quels sont vos auteurs de chevet ?
Il me serait difficile de citer un auteur en particulier, car plusieurs ont participé à mon bonheur de lecteur et à la construction de mon chemin d'écriture; cela dépend de mes lectures du moment. Chaque livre qu'on lit laisse en nous quelque chose. Je préfère parler de livres plutôt que d'auteurs, car toutes les œuvres d'un auteur ne nous émeuvent pas de la même manière. Et si vous me demandez quels sont les livres qui m'ont émue depuis que je sais lire, la liste serait longue. Mais parmi les lectures qui ont fait de moi une lectrice heureuse ces derniers mois, je citerai "Eve de ses décombres" d'Ananda Devi "Attentat" de Yasmina Khadra, "Eldorado" de Laurent Gaude et "Le cœur des enfants léopards" de Wilfried Nsonde.
Comment arrivez-vous à concilier vie familiale et vie littéraire ?
Très bonne question. C'est un combat de tous les jours. Ma journée est gagnée lorsque j'ai réussi à contenter tout le monde : ma famille, les livres qui, sur mon bureau, attendent que je les dépouille, le grand maître Ecriture qui se plaint de mon manque de soumission totale... Je dois avouer que de telles journées ne sont pas fréquentes.
Pouvez-vous nous dévoiler le titre de votre prochain livre ?
Pas du tout ! Laissons le fœtus se développer jusqu'à la naissance. Il sera toujours temps de savoir à quoi il ressemble.
Propos recueillis
par Marc Talansi