LIVRES. La Burkinabé Florentine Kima a remporté le Grand prix littéraire des régions francophones avec son roman, "Chienne de vie". Ce prix littéraire est le seul qui ne récompense pas un livre déjà paru mais qui consiste à éditer à 3 000 exemplaires le manuscrit inédit d'un écrivain d'une région francophone et à assurer la diffusion de l'ouvrage. Juriste de formation et magistrat de profession, elle est actuellement en service au ministère de la Justice. Elle évoque sa passion littéraire, ses projets et jette un regard sur les femmes africaines. |
Qu'est ce qui vous pousse à écrire ?
J'écris par passion de l'écriture. C'est également pour moi un moyen de communication afin de partager avec les lecteurs certaines préoccupations qui me tiennent à cœur. Un regard, une boutade, une blague, les scènes de la vie quotidienne ... Tout est pour moi prétexte à raconter...
Pourquoi ce titre ?
"Chienne de vie", c'est un titre qui n'est pas forcément "politiquement correct", j'en conviens. Je fais partie de ceux qui pensent que l'écriture s'accommode fort bien de l'impertinence. L'art par moment ne s'exprime véritablement qu'à travers l'outrecuidance. Ces mots m'ont paru les mieux indiqués pour exprimer le combat quotidien des femmes rurales pour survivre.
Comment avez vous été retenue et quels enseignements en tirez-vous ?
J'ai pris connaissance de l'existence du concours à travers un journal. J'avoue que je ne savais absolument pas ce que valait mon tapuscrit mais je me suis dit qu'il n'y avait aucun mal à essayer. On ne perd rien à essayer. Lorsque ça marche, tant mieux et, à défaut, on gagne en expérience.
Votre héroïne Yempoaka souffre des us et coutumes africaines, décide de se battre et de ne pas subir ?
J'ai écrit "Chienne de vie" moins dénoncer les coutumes que pour mettre en exergue le profond dénuement dans lequel végètent toutes les Yempoaka de nos villages. Bien entendu, les coutumes contribuent pour beaucoup à la misère féminine et il est évident que les femmes doivent trouver en elles les ressources pour rejeter ce qu'il y a de moins bon dans leur vie. Rien ne se gagne sans combat. Et dans mon entendement, ce combat doit se mener non seulement avec toutes les Yempoaka mais aussi avec les femmes qui ont eu la chance d'être plus éclairées et avec les pouvoirs publics.
Que leur manque-t-il pour s'épanouir ?
L'épanouissement est intimement lié à une amélioration de ses conditions matérielles de vie. La pauvreté limite les possibilités de décider par elles-mêmes de ce qu'elles voudraient que soit leur vie. Pour cela il faut avoir beaucoup de personnalité.
Les femmes veuves ou filles mères, les divorcées, comment leur redonner plus de considération et de dignité ?
Toute femme, quelle qu'elle soit, a sa place dans la société du seul fait de son humanité. Les femmes que vous citez sont des personnes qui vivent déjà une situation difficile. De ce fait, elles n'ont pas besoin d'être jugées. Je pense que si chacun de nous voyait en ces femmes une fille, une mère, une sœur, cela contribuerait déjà à améliorer la perception qu'on se fait d'elles. Ceci étant, on a un dispositif juridique assez bien élaboré qui peut leur permettre de faire valoir leurs droits.
Nombreuses sont les femmes qui débutent leur carrière littéraire par la poésie. Vous, c'est plutôt le roman. Pourquoi ce choix ?
J'ai effectivement entendu dire que beaucoup d'écrivains commencent leur carrière par la poésie. Je l'ignorais. En ce qui me concerne, je ne sens aucune fibre poétique. Ecrire de la poésie ? Non, si j'essayais, je ne pourrais pas aligner plus de deux vers. Vous savez, l'art, c'est un don et je n'ai pas eu la chance d'avoir celui là, malheureusement. Par contre, raconter des histoires, ça, c'est mon truc. Et comme cela colle assez bien au genre romanesque...
Au Burkina Faso, il n'y a pas beaucoup de femmes écrivains; pourquoi d'après vous ?
Au Burkina Faso, on n'a pas beaucoup de femmes écrivains, ni d'hommes écrivains... L'une des raisons, à mon avis, pourrait tenir à ce que l'écriture ne fait pas partie de notre paysage culturel. A cela, il faut ajouter les difficultés qu'on rencontre à se faire éditer. Un véritable parcours du combattant...
Quels sont les écrivains africains qui vous ont inspirée ?
J'ai dévoré des tas de romans, de tous les horizons. J'ai lu de grands classiques africains tels les œuvres de Mariama Bâ, Chinua Achebe, Mongo Beti, Henry Lopez... mais également des auteurs français comme Stendhal, Hugo, Flaubert; des auteurs plus contemporains : Clavel, Troyat, Queffelec... J'ai lu des œuvres d'écrivains non francophones mais traduits en français, Paulo Coelho, Ching Lie. J'ai également lu des romans policiers, d'espionnage. Il faut dire que je ne restreins pas mon horizon littéraire à une culture en particulier. Je pense que la littérature s'accommode fort bien de l'éclectisme.
Quel jugement portez vous sur la situation des femmes africaines aujourd'hui ?
Le combat de la femme africaine est loin d'être gagné. Malgré tout, lorsque je sors de chez moi et que je rencontre une grand-mère qui vend des arachides dans la rue pour prendre soin de ses petits enfants orphelins, lorsque je rencontre une jeune femme pédalant péniblement sur une bicyclette chargée de légumes qu'elle s'en va écouler au marché, lorsque la femme "intellectuelle" se réveille aux aurores pour prendre soin de son ménage avant d'aller au bureau, j'ai le sentiment que nous avons toutes intégré le sens du combat que la femme doit mener pour espérer une vie meilleure.
Quels sont vos projets littéraires ?
Continuer à écrire. Si je trouve un éditeur, tant mieux. Sinon, je continuerai à écrire pour mon propre plaisir. La prochaine œuvre ? Elle existe déjà.
Propos recueillis
par Tiégo Tiemtoré