Peu importe l'âge ou la profession, elle nous habite, nous
titille, nous permettant d'aller de l'avant. Elle nous accompagne tout au long
de notre existence tantôt faible et vacillante tantôt tonique et
lumineuse. Parfois, elle se contente juste de nous donner un coup de pouce pour
gérer le quotidien. Mais lorsque le cœur lui en dit, elle nous dope
et nous donne des ailes. Elle peut aussi exploser, et briller de ses mille feux
nous livrant à la passion, qui soit nous consume et nous dévore,
soit nous propulse vers des sommets où ne trônent que les
catégories de femmes et d'hommes qui donnent un sens à leur
vie. A entretenir cette flamme intérieure qui est en chacun de nous, l'étincelle procurée, au-delà des paillettes est une véritable source de gratification. En témoigne le parcours de Adame Ba Konaré, qui a réussi à briller auprès de son icône de mari, ancien président du Mali et Président de la Commission de l'Union Africaine. Inspirée par sa foi de militante, elle a eu le courage, la ténacité voire même l'audace de poursuivre l'excellence et d'avoir une vie riche et flamboyante. Avec une dizaine de livres à son crédit, cette grande figure de la mémoire africaine, trace le chemin pour les générations futures, tout en nous rappelant au passage que cette flamme qui l'anime est en chacun de nous. A nous de la rallumer. |
Historienne, écrivain, épouse du Président Alpha Oumar Konaré, mère de famille... N'est-ce pas beaucoup de casquettes à la fois pour une seule tête ? Voulez-vous nous parler de vos différents rôles et des actions menées ?
C'est vrai... Je suis professeur d'histoire, épouse du Président Alpha Oumar Konaré qui a dirigé le Mali pendant dix ans et qui est maintenant Président de la commission de l'Union Africaine. Pendant cette décennie, mon parcours à ses côtés a été une mission d'accompagnement. Nous avons le privilège d'avoir la même formation, d'être des militants du Mouvement Démocratique et du Mouvement des Droits de l'Homme. Indépendamment de ce rôle d'accompagnement, j'ai aménagé une place privilégiée pour moi-même à travers l'écriture. Et ma réflexion s'est élargie au-delà de mes préoccupations purement scientifiques. J'ai surtout réfléchi à l'humanitaire, à la solidarité entre les hommes, au sens du partage. Du reste, il me semble que c'est la société elle-même qui fait un appel du pied aux Premières Dames pour les inviter à s'impliquer dans l'humanitaire.
Au départ, j'avais résisté pour éviter de gêner mon mari car à prendre trop d'épaisseur, les femmes finissent par embarrasser leurs époux et faire grincer des dents. Malgré tout, j'ai essayé de l'accompagner par une réflexion nourrie par le sens de la solidarité et du partage. C'est ainsi que j'avais organisé un grand séminaire à Bamako "l'Afrique face au défi humanitaire", j'ai créé la Fondation "Partage" et le "Musée de la Femme" sans parler de la publication de mon ouvrage intitulé "Ces mots que je partage" : un recueil de mes discours de Première Dame avec une introduction sur l'humanitaire.
Je dis toujours que le Président Konaré a la chance de défricher des terrains. Il a été le premier Président démocratiquement élu du Mali. Il m'a fallu deux ans avant de trouver mes marques. Aujourd'hui, qu'il est le premier Président de l'Union Africaine, il me faut à nouveau trouver une nouvelle identité. Ce n'est pas toujours évident compte tenu de la délicatesse de la mission. Cependant lorsqu'il sollicite mon avis, j'essaie de l'aider au mieux par mes conseils.
Et je m'implique dans le cadre de la réflexion, en participant à certaines réunions comme celle des "Intellectuels" qui s'est tenue à Dakar il y a environ deux ans. Sur le terrain, j'ai essayé timidement quelques démarches auprès de la Communauté Internationale installée à Addis-Abeba. Par exemple, j'ai organisé des petites sorties à l'occasion du 8 mars et de la Journée de l'Afrique. Engagée dans l'écriture qui me passionne, je réfléchis à toutes les questions qui interpellent l'Afrique d'aujourd'hui...
L'écriture étant une démarche très solitaire, comment conciliez-vous cet exercice avec vos activités mondaines ?
En fait, je suis une solitaire par tempérament. Et cela depuis ma tendre enfance. Je suis très casanière et j'aime ça. Je suis organisée de telle sorte que je suis libérée de certaines activités. Je participe aux mondanités par devoir, par mission, sinon ce n'est pas ma nature profonde. Je découvre que la réflexion intellectuelle fait partie de moi. Et l'écriture est une question vitale qui me permet d'être bien dans ma peau. J'ai mis beaucoup de temps à percer ce secret. Aussi il faut dire que je suis à un âge et dans une situation où je n'ai plus beaucoup de challenges. Je perçois ma vie comme une vie d'accompagnement. Et comme je ne cours pas après mon quotidien, je n'ai pas d'envie particulière... Dieu m'a beaucoup donné. Il ne me reste plus qu'à m'investir auprès des autres dans la solidarité...
En dehors de ça, je disais que j'adore cogiter, même dans mon sommeil. Sur ma table de nuit, j'ai toujours un crayon et du papier car en pleine nuit, il m'arrive de bondir du lit et de prendre des notes. Je fonctionne entre trois heures et six heures du matin avec une interruption pour la prière.
Vous devez vous imposer une discipline d'enfer, non ?
Non, pas du tout. Je n'ai pas de réveil, je me fie à mon horloge biologique. Il m'arrive même d'avoir des moments de léthargie mais lorsque je me remets à l'ordinateur, je constate que je n'ai pas cessé de travailler dans ma tête. Longtemps j'ai pensé que l'inspiration ne peut être qu'au bout du bic mais cet outil magique qu'est l'ordinateur m'a fait changer d'avis.
Votre mari ne serait-il pas jaloux de l'ordinateur par hasard ?
Au contraire. Nous avons toujours été un couple complémentaire. Nous avons même publié ensemble un ouvrage et écrit l'histoire chronologique du Mali. Il m'encourage beaucoup, et m'achète beaucoup de livres.
Comment a débuté cette longue et belle complicité ?
Nous nous sommes rencontrés il y a trente-cinq ans à l'université. Nous étions dans le même département. Avec seulement deux salles de classe qui nous séparaient. Ce n'est pas particulièrement glorieux comme histoire !! (rires). De deux ans mon aîné, il prétend que dès qu'il m'a aperçue dans la voiture de mon père, le jour de la rentrée, il s'est dit: "Ce sera elle ma femme!!!" Il le raconte même à nos enfants...
Combien sont-ils ?
Ils sont trois. La fille est l'aînée de deux garçons.
Pourquoi ce besoin obsessionnel d'écrire ?
Pour moi c'est vital. En dehors de ma thèse de doctorat qui portait sur le fondateur de l'empire Songhay, tous mes ouvrages sont engagés. A sa publication, j'ai eu comme l'impression d'être guidée par la main du destin vers le pouvoir, sans jamais savoir qu'un jour mon mari serait appelé à jouer un rôle national. "Sunjata", fondateur de l'empire du Mali, "Da Monzon, un pouvoir guerrier", les articles, les essais écrits sur les souverains..., tout me ramène à la pratique du pouvoir ... Ce n'est peut-être pas l'effet du hasard.
Le concept du pouvoir...
J'essaie d'expliquer que l'homme de pouvoir est un peu comme le soleil autour duquel gravitent des citoyens planètes. Il brille et entretient avec les citoyens planètes une relation de solidarité cosmiquement agencée. Autant le soleil a besoin que les planètes tournent autour de lui, autant les planètes citoyens ont besoin de recevoir la lumière du soleil. Donc la solidarité cosmiquement agencée est une nécessité, une exigence vitale. Et je débouche en conséquence sur la notion d'humilité. Dans la mesure où chacun se trouve dans une position d'interdépendance, il faut que chacun reste humble là où il se trouve. Je dis même que chaque homme de pouvoir devrait s'aménager des temps de réflexion laïque en dehors des heures de prière pour réfléchir sur le sens de la vie et de ses responsabilités et se convaincre que le destin de tout pouvoir est de passer de la lumière à l'ombre.
De la même façon que le soleil, né il y a quatre milliards et demi d'années, doit disparaître dans quatre milliards et demi d'années, le soleil chef d'Etat est condamné à passer de la lumière à l'ombre. Cette réalité inhérente au pouvoir nous a permis de garder la tête froide. Il m'arrivait souvent d'épier le président qui était devenu un sujet d'observation et de réflexion pour moi. Un intellectualisme qui m'a permis de tenir le cap. Et pour moi, c'était l'occasion de tester la validité des hypothèses de mon ouvrage, "L'os de la parole." Sur ce point, je dois dire que je ne suis pas déçue. A mes yeux, notre passage au gouvernement était une parenthèse, une mission que Dieu et les électeurs nous avaient confiée. Ce qui nous a permis d'avoir une meilleure maîtrise de l'analyse et de la pratique du pouvoir.
Votre dernier livre s'intitule "Quand l'ail se frotte à l'encens" . Pourquoi ce titre ?
Mon livre porte sur la fracture sociale. D'un côté les pauvres, les miséreux, de l'autre les riches ! On dit que l'odeur ne ment pas. Aux riches les bonnes odeurs, aux pauvres les mauvaises. Pour moi, l'ail est la métaphore de cette mauvaise odeur. Et l'encens, c'est l'univers des riches. Donc du choc entre ces deux univers, qu'en sort-il ? C'est le chemin directeur de l'ouvrage.
D'où vous vient l'inspiration de ce thème ?
A partir d'une expérience vécue. Dans la pratique du pouvoir, c'est une réflexion qui m'a profondément interpellée. Je me suis longtemps interrogée sur le sens de la solidarité et du partage. Dans la revue culturelle féminine "Faro" que j'animais pour accompagner le musée de la femme "Moussokounda" créé en 1998, les thèmes oscillaient autour de "Femmes et Religion", "Femmes et Santé", "Femmes et Maternité"...
C'est ainsi qu'il m'est venu l'idée de chercher la Malienne la plus fertile et prolifique. Nous avons fini par trouver une mère de quinze enfants (dont trois fois des jumeaux et des triplés). Elle était dans un état de misère extrême et vivait sur un tas d'ordures. J'ai immédiatement organisé un premier secours avant d'identifier d'autres sites. Il y en avait huit au total dans Bamako.
Je me suis immédiatement rendue sur l'ensemble des sites en compagnie de mon dernier fils et du président du Parlement des enfants, tous deux âgés de 13 ans. J'ai engagé le Président Konaré à nous trouver des terrains et nous y avons construits des maisons clés en main, et donner des papiers dûment notariés à ces familles...
De là est venue l'idée du roman. Et en voulant sensibiliser les gens sur ces rebuts sociaux, j'ai essayé de véhiculer le message suivant: "Attention, ne croyez pas qu'à secourir les pauvres, on leur rend service... nous le faisons pour nous-mêmes."
Si le monde continue à se cloisonner entre riches et pauvres, on ne peut déboucher que sur des tsunamis sociaux ou des déflagrations telles que je les décris dans ce roman. En fait, l'équilibre de notre planète en dépend car dans cette aventure humaine, personne ne peut se sauver sans sauver l'autre.
Une autre fois, en décembre lors des grands froids, j'ai mené une autre opération de 22 heures à minuit pour voir les sans-abri de la ville et leur distribuer des nattes et des couvertures. Vous savez, apporter de l'aide aux gens est certes utile mais il est indispensable d'aller constater sur place comment ils vivent dans les égouts, les fossés, aux abords des hôpitaux...
Que vous inspire la situation politique actuelle de nos pays dans la sous région ?
Du point de vue de l'intellectuelle que je suis, je constate un grand changement. Il est vrai que par rapport aux textes, on aurait pu mieux faire... Je ne parle pas ici de l'adaptation de nos constitutions mais il y a quand même une réflexion à faire par rapport au processus d'endogénisation.
La force de la culture est telle que si on n'a pas la carrure intellectuelle nécessaire pour méditer sur le sens de la démocratie, on est vite happé et on glisse facilement. Pour une certaine opinion qui n'est pas préparée à l'exercice démocratique du pouvoir, le dérapage n'est pas à exclure. D'où l'importance d'avoir des oppositions fortes qui peuvent jouer leur rôle dans tous les pays d'Afrique. Il en va de même pour la presse. Sinon il faut craindre que nos histoires ne soient que des parenthèses démocratiques. C'est ce que j'appellerai le concept de la précipitation démocratique.
Les occidentaux reprochent aux africains d'être des irresponsables incapables d'exercer la démocratie mais en réalité, ils ne mesurent pas la dimension culturelle dans laquelle nous évaluons. Il est donc nécessaire de relativiser et d'approfondir davantage la réflexion.
Que vous inspire l'élection d'Ellen Johnson Sirleaf au Libéria? Pensez-vous que l'arrivée massive des femmes aux affaires changent en quoi ce soit les mœurs politiques de nos pays ?
Il faut l'espérer. J'ai beaucoup salué l'arrivée au pouvoir de Mme Johnson Sirleaf. Je l'avais déjà rencontrée en 1997 et le 8 mars dernier à un débat organisé sur "Femmes et Développement" par le Ministre de la Coopération française.
Cet événement a suscité en moi des interrogations. Je pense qu'il faut rester dans les justes proportions et se méfier du défaut de généralisation. Mme Johnson a été élue dans un contexte particulier avec des soutiens particuliers, dans un pays particulier. Il ne faut pas l'oublier au point de croire que l'heure des femmes est arrivée !
En dehors de cet exemple, il me semble que le monde est néanmoins à un tournant où le changement de mœurs politiques est une réalité. Je ne dis pas qu'on a assez vu les hommes, il faut qu'ils partent maintenant... (rires !!!)
Le monde est déchiré, la violence et l'arrogance dominent. Et, je me dis que les femmes ont tellement souffert dans leur parcours multi-séculaire, qu'elles ont développé et cultivé beaucoup de savoir-faire, capitalisé des valeurs qui nous interpellent.
Elles incarnent de façon particulière la paix. Elles s'impliquent dans toutes les missions de paix car ce sont leurs fils et leurs maris qui vont au front. Avec les traumatismes subis dans leur vécu quotidien, elles ont appris la tolérance, le sens du partage, la douceur.
Nous sommes à un tournant où elles symbolisent les valeurs dont nous avons le plus besoin, à savoir la paix. Au lieu de se plaindre, elles préfèrent positiver. Désormais, on peut dire que le monde va chercher à s'abriter sous la douceur du pavillon féminin.
Propos recueillis
par Assiatou Bah Diallo