Avec « La Boue de Saint-Pierre », son premier roman, Raphanie Mwana Kongo nous entraîne dans les rues boueuses de Saint-Pierre, un quartier insalubre où la population essaie tant bien que mal de s'en sortir. Nous sommes à Tanu, pays imaginaire d'Afrique centrale. À côté des « misérables » de Saint-Pierre, vivent les nantis qui ont des maisons, des voitures, et qui préfèrent jeter leurs restes de nourriture à la poubelle plutôt que de les voir faire le bonheur d'une famille dans le besoin. Tanu est à l'image des sociétés modernes: très antinomique, avec d'une part la pauvreté excessive et de l'autre une insolente richesse. Explications de l'auteure. |
L'image que vous donnez de la femme dans votre roman est très satirique: mère indigne, fille qui ne tente rien pour s'en sortir, épouse ingrate et infidèle... vos personnages féminins n'illustrent pas vraiment la pensée selon laquelle la femme est l'avenir de la société...
(Sourire de l'auteur) Je n'ai pas le sentiment d'avoir gratifié les personnages masculins de mon roman d'une image plus reluisante. Mais en même temps, l'exercice d'écriture que j'ai entrepris ne consistait pas à comparer les hommes aux femmes; c'est de l'être humain en général que j'ai voulu parler, dans ce qu'il peut avoir de louable ou de méprisant, peu importe le genre auquel il appartient. La femme, l'avenir de la société ? Mais qu'est-ce que la femme sans l'homme, et vice versa? Je crois, moi, en la complémentarité des sexes pour la construction d'une société plus juste.
La boue du quartier Saint-Pierre où évoluent vos personnages, et qui donne son titre au romon, illustre-t-elle l'implacable misère dans laquelle vivent certaines couches de la société africaine?
Disons qu'au-delà de son aspect factuel (en rapport avec l'état même des rues), la boue symbolise ici la crasse, la souillure. Je me suis attelée à décrire les mœurs des résidents de ce quartier pauvre qu'est Saint-Pierre, faisant ainsi un lien étroit entre misère et vices. La pauvreté déprave l'Homme, il est ce fumier sur lequel germent des maux tels que la prostitution ou l'escroquerie.
Dans votre roman, deux jeunes enfants sont traités comme des domestiques, voire des esclaves, par leur grand-mère qui les considère plus comme une main d'œuvre gratuite que comme des petits-enfants. Ces actes sont condamnables bien sûr, mais faut-il pour autant généraliser et présenter l'initiation des jeunes aux travaux domestiques comme une mauvaise chose?
Non, l'initiation des enfants aux travaux domestiques n'est pas une mauvaise chose en soi. Bien au contraire! Et nous avons tous appris au contact de nos mères et de nos aînés. Seulement un enfant doit baigner dans l'insouciance propre à son âge, avoir accès aux loisirs utiles à son épanouissement, et il ne devrait en aucun cas assumer des responsabilités d'adulte je fais ici allusion par exemple à ces petites filles qui secondent leur mère, qui doivent en permanence s'occuper de leurs cadets; on attribue à ces enfants un rôle qui ne devrait pas être le leur.
Vous dénoncez dans votre livre, je cite: « une société basée sur le tabou, les non-dits, les silences compaisants ». En publiant ce roman, espérez-vous que les langues se délient? Connaissez-vous des personnes dans votre entourage qui ont subi des choses ignobles comme l'inceste et qui ne se sont pas révoltées?
Le tabou est encore beaucoup trop présent dans nos sociétés africaines. Il faut dire qu'il est également difficile pour une victime qui nourrit un sentiment de culpabilité de dénoncer les sévices qu'elle subit. Et c'est surtout parmi les proches, dans le voisinage, que les langues devraient davantage se délier, que des mesures doivent être prises pour mettre un terme à ces choses et punir leurs auteurs. Non, je n'ai eu vent d'aucun acte d'inceste dans mon entourage immédiat, heureusement!
Peut-on s'émanciper quand on n'a aucun soutien, quand la société refuse de voir votre calvaire?
Cela est difficile, mais demeure toutefois possible. Gaspard Tala, l'un des principaux personnages de mon roman, parvient à trouver sa voie grâce à la couture. Plus tard sa sœur Pélagie, prendra conscience qu'elle peut à son tour s'affranchir du joug d'un compagnon irresponsable et brutal, et assurer son avenir ainsi que celui de ses enfants grâce à son talent (qui est le tricot).
"La Boue de Saint-Pierre" est votre premier roman. Qu'est-ce qui a motivé votre désir d'écriture?
Je rêve d'écrire depuis mes plus jeunes années. Et ce premier roman est né d'une empathie pour certains individus. Je conçois l'écriture comme un outil, une arme dont on peut aisément se servir pour dénoncer certaines choses. J'écris parce qu'il y a des réalités qui me dérangent.
Vers la fin du roman, le dirigeant au pouvoir est renversé par l'un de ses proches, après avoir régné en dictateur durant plusieurs décennies. Et voici ce que nous lisons à la page 151: « Sokoto était un diable auquel on s'était accommodé au fil des ans. Et un diable qui vous est familier est bien plus rassurant qu'un inconnu, dont on ne sait s'il se conduira en ange ou en démon cent fois plus ignoble encore que son prédécesseur ». La dictature est-elle tolérable lorsqu'elle est gage de stabilité?
Rien ne peut justifier la dictature. Dans cet extrait, l'auteure que je suis retranscrit la pensée de ces peuples marqués à jamais par un sombre passé fait de guerres civiles et d'insécurité politique, et pour lesquels des maux, tels que le chômage et la pauvreté, deviennent supportables pour peu qu'on leur garantisse une paix même précaire. Et l'homme qui sera parvenu à les sortir de la guerre, à faire régner un semblant de paix dans le pays, les rassure bien plus qu'un nouveau dirigeant surtout quand celui-ci prend le pouvoir par la force dont ils ne peuvent encore prévoir la bonne ou mauvaise « gouvernance ».
En plus de "La Boue de Saint-Pierre", quels romans conseilleriez-vous à nos lecteurs?
« Temps de chien » de Patrice Nganang. Un très bon roman!
Propos recueillis
par Liss Kihindou
Ralphanie Mwana Kongo. La boue de Saint-Pierre. Paris: L'Harmattan, 2012. (160p.). ISBN : 978-2-336-00519-5.