C'est au salon du livre de Besançon, « Les mots Doubs », que nous avons rencontré Léonora Miano. Très sollicitée par sa séance de dédicaces, elle a accepté de nous répondre avec la gentillesse et la délicatesse qui la caractérisent et d'évoquer, entre autres, son dernier roman Ces âmes chagrines. |
Parlez-nous de votre roman.
C'est un roman intimiste. On trimballe tous de vieilles blessures d'enfance, des sentiments que nous n'avons pas su exprimer. Nos cultures subsahariennes ne permettent pas l'expression de beaucoup de choses, mais, quelquefois, la douleur ne s'exprime pas de manière directe, surtout quand on a des choses à reprocher à ses parents. Antoine, devenu adulte, souffre de cette douleur en se protégeant de l'amour. Il fait tout pour ne s'attacher à personne et cherche à punir ceux qui l'ont fait souffrir. C'est la découverte, à travers cette histoire, d'une famille, de ses secrets et ses difficultés inhérentes aux cercles familiaux subsahariens d'exprimer leur amour: ne pas savoir dire son amour à un parent, et se rendre compte en l'ayant perdu qu'on n'a pas su lui exprimer cet amour! Lorsqu'on ne parle pas assez des drames familiaux, ils ont tendance à se répéter de générations en générations. Il faut en parler pour briser la fatalité.
Vous êtes si prolifique, quand vous reposez-vous?
Je me repose beaucoup plus qu'on ne le pense. Ce dernier roman qui est paru cette année est assez ancien puisque c'est l'un de mes premiers textes.
N'avez-vous pas peur, à travers ce roman, de faire perdre son identité à une certaine Afrique qui se veut mystérieuse?
Je ne sais pas ce que c'est qu'une identité africaine. Il y a toujours eu des identités en Afrique, et, comme partout, elles sont sujettes à de profondes mutations. L'Afrique a rencontré l'Europe, elles se connaissent depuis l'antiquité ce qui l'a transformée. L'expérience coloniale a encore intensifié cela. Une Afrique authentique est une vue de l'esprit. L'Afrique est comme les pays de la Caraïbe, créolisée à sa façon, vivant dans un mélange culturel qu'elle doit accepter. Nous révéler aux autres, c'est leur permettre de nous connaître, de nous comprendre, mais ce n'est pas chercher à devenir comme eux!
Pourquoi avoir mis en scène dans Ces âmes chagrines un personnage sans papiers?
Maxime est un sans-papiers « cinq étoiles ». Il a fait des études, il arrive à avoir du travail; c'est quelqu'un qui n'a pas le profil du sans-papiers type. Son but a toujours été de rentrer au pays et de transmettre son savoir. Ce qu'il a vécu était temporaire et il ne s'est jamais senti humilié. Et à propos de la pauvreté, elle existe partout. Un sans-domicile français et un habitant des sous quartiers des ghettos africains, c'est la même pauvreté. Il faut savoir s'affranchir du regard des autres, en posant sur nous-même un regard qui est le nôtre, alors, nous n'aurons plus honte de nos blessures, de nos fragilités et de nos misères. Nous saurons les dépasser. Je suis une Africaine décomplexée, qui s'est affranchie. Je me fiche complètement de ce que les autres vont penser et, quoiqu'ils en pensent, cela ne doit pas avoir d'impact sur ma réalité. C'est ce que je désire accomplir qui, pour moi, est important. Après cette histoire de traite et de colonisation, nous avons été fragilisés. Notre devoir aujourd'hui, c'est d'essayer de réhabiliter cette conscience et cette estime de soi. Quand ceci sera fait, nous nous dépasserons. Ne restons pas des êtres blessés et fragilisés. Ceux qui viennent nous faire la guerre ne sont pas meilleurs, ni de grands démocrates. Nous avons cinquante ans d'indépendance et ce n'est pas beaucoup. Ne devenons pas ce que les autres prétendent que nous sommes. Faisons tomber nos chaînes, n'ayons pas peur de regarder en face nos histoires douloureuses.
Que pensez vous des guerres européennes en Côte d'Ivoire et en Libye?
Je ne pense pas qu'on puisse libérer par la force des personnes qui n'ont pas demandé à être libérées. Je vous réponds avec l'émotion d'une Africaine qui connaît l'histoire de son continent. Cela m'est trop pénible de voir des armées occidentales sur le sol africain quel que soit le motif pour lequel elles y sont. Dans l'histoire, leur venue n'a jamais été favorable à l'Afrique. Je voudrais bien croire que c'est pour ramener la démocratie! Mais qu'on libère d'abord les Birmans, les Coréens du nord ou les Chinois... J'ai, comme beaucoup d'Africains des doutes, car c'est une manière de nous recoloniser.
Et le feuilleton de cet été, D.S.K. et Diallo?
Pour moi on peut en parler autant qu'on veut, cela ne change en rien à la situation des femmes violées par milliers au Congo. Elles ont été violées et bannies de leurs communautés. Qui en parle? Nafissatou Diallo va intenter un procès au civil, que la justice suive son cours! Cependant, il est vrai que cet homme a fait quelque chose de grave. Mais je refuse de regarder cela selon un prisme racial. C'est tout simplement quelqu'un qui a l'habitude de mal se comporter avec les femmes de toutes catégories et de toutes couleurs.
Propos recueillis
par François Z. Effa
Léonora Miano. Ces âmes chagrines. Paris: Plon, 2011.