Ancienne cadre d'Air Afrique, Mme Reine Latré Dovi Lawson-Body épouse Laparra, la soixantaine, a dédicacé son tout premier ouvrage l'année dernière. Plus qu'une biographie, ce livre retrace de façon émouvante le parcours tumultueux d'une femme au caractère trempé dont le courage et l'abnégation lui ont permis de surmonter les tribulations et les vicissitudes de la vie. Première femme titulaire d'un doctorat en économie et Gestion du Transport aérien et d'un diplôme spécialisé en Droit aérien de l'Institut de Formation Universitaire et de Recherche du Transport aérien (IFURTA), Mme Laparra a fait toute sa carrière professionnelle à Abidjan dans les années 80, au sein de la compagnie Air Afrique en tant que cadre financier supérieur et chef de service Association RK-UTA-AF et Compagnies étrangères. Par cette œuvre, la néo écrivaine veut crier son ras le bol des maux qui minent les sociétés africaines. C'est aussi un appel lancé à toutes les femmes africaines à se surpasser, pour s'affirmer pleinement, malgré les pesanteurs sociopolitiques. |
Pourquoi le titre « Travers de sociétés, colère et inquiétudes d'une intellectuelle engagée »?
À cause des difficultés, des blocages et plus grave encore, tous ces ostracismes auxquels je ne m'attendais pas du tout. Concrètement, ce livre doit surtout inciter les uns et les autres à une réflexion sur les maux qui gangrènent actuellement les sociétés africaines. Et amener si possible tout le monde à un sursaut d'orgueil en faveur d'un changement de mentalité, d'attitude et de comportement positif vers l'unification. Notre Afrique doit être délivrée des maux que sont la corruption, la délation, l'injustice, la malhonnêteté, la suspicion, la mal-gouvernance, etc. Toutefois, c'est leur propension apparemment sans limite avec des effets dévastateurs, des conséquences à la fois dangereuses et douloureuses pour les populations que je veux dénoncer.
Vous auriez pu profiter d'une conférence débat pour exprimer votre ras-le-bol, plutôt que de rédiger un roman?
Pour reprendre cet adage: « Les paroles s'envolent, les écrits restent », j'ai préféré l'écriture pour mieux m'exprimer. Ma fin de carrière à Air Afrique a été très douloureuse à cause d'évènements imprévisibles et inattendus qui ont surgi successivement avant, pendant et après. Cela m'a si profondément bouleversée qu'il me fallait exorciser les impacts très négatifs sur le plan psychologique surtout; une sorte de thérapie pour vite recouvrer l'équilibre. J'ai alors écrit des poèmes. La décision de concevoir, d'élaborer et de faire éditer ce premier roman est venue bien plus tard; et je le dois à toutes les péripéties qui émaillent une traversée du désert à la recherche d'une nouvelle identité sociale. Bref comment apprendre à repartir à zéro.
Quels sont les problèmes qui vous ont le plus marqué dans votre vie, et dont vous faites mention dans ce livre?
C'est tout un pan de ma vie. Imaginez, un rêve de jeune fille: devenir intellectuelle, avoir une réussite professionnelle, une vie de famille stable, et coup de théâtre! La décadence de la compagnie et la perte de mon emploi, accentuées par le décès de mon petit frère volleyeur professionnel en France, puis la mort prématurée du bébé que j'ai adopté. Le pire m'attendait au pays: les railleries et le mépris de mon entourage suite à mon échec professionnel, y compris le rejet de ma propre mère quand les voisins me traitaient de femme « stérile », enfin le cœur meurtri de la riche chèfe de service devenue mendiante. Voilà les étapes les plus douloureuses de ma vie.
Vous étiez cadre d'Air Afrique, comment êtes-vous arrivée à ce poste?
Être hôtesse est une profession noble, valorisante, de surcroît très distinguée et admirée au sein d'une compagnie aérienne Elles font la fierté de tout le personnel, navigant comme au sol. Moi, par contre, j'ai eu un cursus différent. En effet après l'obtention d'une maîtrise en Sciences économiques à l'Université de Poitiers, je suis rentrée à Air Afrique avec un D.E.S.S. en économie et Gestion du Transport aérien, et un diplôme spécialisé en Droit aérien à I'IFURTA d'Aix en Provence. J'ai écrit une thèse de fin de 3e cycle sur « Les conditions actuelles de fonctionnement, les besoins de développement et les perspectives de croissance de la multinationale Air Afrique ». C'est ce qui explique que le poste que j'ai d'emblée occupé en tant que cadre financier supérieur et chef de service Association RK-UTA et compagnies étrangères, après deux années de stage pratique dans plusieurs grandes compagnies aériennes d'Europe, a été assez important.
Vous êtes restée à ce poste, jusqu'à la disparition de la défunte Air Afrique? Racontez-nous.
Je n'y suis pas restée jusqu'à la débâcle totale, fort heureusement. Cependant la traversée du désert après mon départ d'Air Afrique, a été longue, éprouvante et franchement périlleuse. Car il fallait repartir à zéro et, ironie du sort, c'est mon niveau d'études qui a constitué le plus gros handicap pour ma reconversion! La plupart des entreprises et sociétés en crise qui pouvaient encore recruter optaient pour un nivellement par le bas des diplômes. Je suis donc rentrée au Togo où j'ai mis en place deux structures à caractère social et hautement éducatives: une ONG Hygiène en milieu scolaire au Togo, « HY.S.T.O. », et une association (AV.L.E.DE.R) en faveur des enfants de la rue.
Au regard des dernières législatives au Togo, la participation et les résultats obtenus par les femmes sont insignifiants. Qu'en pensez-vous?
Vous savez, l'équité dans le genre est en soi une très bonne chose; et la décision pour la voir se concrétiser à tous les niveaux possibles ne peut être que louable. Cependant force est de constater que pour plusieurs raisons, à mon humble avis, elle restera encore pour un temps un leurre, un vœu pieu. Le plus gros effort devra venir des femmes elles-mêmes, qui, en toute connaissance de cause se sentiront capables, aptes, compétentes, prêtes et bien outillées pour s'engager sur la voie qui mène à la députation, aux communales et à d'autres postes de responsabilité. L'objectif et la finalité à ne jamais perdre de vue étant bien sûr le mérite, le dépassement de soi, la volonté sans cesse renouvelée pour aboutir à des résultats qui comblent les attentes, qui soient appréciables et appréciés de tous, honorant ainsi tout travail bien fait.
Propos recueillis
par Victorine Aguiar