"Que la littérature jeunesse en Afrique soit plus fournie, plus riche", tel est le souhait de Liss Kihindou, une femme dynamique qui assume avec brio ses multiples casquettes d'épouse, de mère, de professeur de français, d'écrivaine et de blogueuse. Amina l'a rencontrée. |
Quel genre de livres lisez-vous?
Je n'ai pas de genre de prédilection, tout me nourrit, pourvu que le texte soit beau, me parle, m'interpelle, remue des cordes en moi. Cependant, il faut reconnaître que sur le marché du livre, le roman occupe une très grande place. C'est pourquoi, en tant que blogueuse, je trouve qu'il est aussi de mon devoir de donner aux lecteurs le désir de se tourner vers des recueils de poésie, de les inciter à s'y intéresser, même si ils estiment que la poésie n'est pas trop leur priorité de lecture. La poésie, comme le théâtre ou la littérature de jeunesse, est un peu le parent pauvre de la littérature, en tout cas en ce qui concerne l'espace littéraire africain auquel je m'intéresse particulièrement et que l'on peut découvrir en visitant mes blogs « Liss dans la vallée des livres » et « Valets des livres ». Toutefois, vous verrez que je ne parle pas exclusivement de la littérature des Afriques.
La lecture, pour vous, est-elle une déformation professionnelle, une influence familiale, une passion inassouvie?
Je dirais que toutes ces raisons sont valables et même imbriquées les unes dans les autres. C'est un tout inséparable. J'ai la chance d'avoir eu des parents qui m'ont familiarisée très tôt avec les livres et je pense que c'est un facteur déterminant. Mes parents étaient enseignants. Les cadeaux de mon père ont souvent été des livres. Les matières littéraires étaient celles où j'excellais à l'école. J'ai naturellement choisi la série A (lettres) au lycée, et la branche littérature à l'université. Autrement dit, ce n'est pas faute de mieux que je suis devenue professeur de français, mais bien parce que c'était là le milieu où je m'épanouissais et où je m'épanouis toujours. La lecture est mon pain quotidien.
Quand vous écrivez un livre, vous pensez à quoi en particulier?
Ce sont les thèmes qui viennent à moi. Mon premier recueil de nouvelles, par exemple, est un peu le résultat de mon observation de la société et de ses problèmes: l'obligation, parfois, pour une femme, de renoncer à une partie de ses idéaux pour atteindre certains objectifs car il n'est pas aisé pour elle de gagner sur tous les plans, l'ingratitude, les tâtonnements des jeunes parents, les conséquences du sida, etc., et après avoir vécu les guerres civiles de 1997 et 1998 au Congo Brazzaville, je ne pouvais pas ne pas écrire sur ce sujet. Quand je suis sollicitée pour des ouvrages collectifs, avec un thème précis, l'inspiration me vient aussi.
Votre dernier livre, « Chêne de bambou », est un roman épistolaire entre deux amies. Pourquoi avoir choisi ce style?
Parce que c'était la forme qui correspondait le mieux au projet du livre tel que je le pensais: une sorte de conversation entre deux amies; un va-et-vient permanent entre l'Afrique et l'Europe. Le style épistolaire offre aussi une certaine liberté d'écriture et d'expression que je voulais explorer. C'était par ailleurs une manière pour moi de m'essayer à un style que d'autres auteurs ont expérimenté avant moi.
Deux amies qui parlent grâce aux technologies modernes, mais deux femmes dont les racines symbolisées par le chêne d'Europe et le bambou d'Afrique restent ancrées dans la terre. « Chêne de bambou », un livre de femme qui parle aux femmes ou au monde?
Les personnages principaux ont leurs racines en Afrique, même si l'un d'eux se retrouve en Europe. A travers deux symboles évoquant des espaces géographiques différents, j'ai voulu montrer qu'on peut avoir des attaches, des racines dans tel ou tel endroit mais que cela n'empêche pas qu'on soit aussi ouvert au monde. C'est un livre de femmes si l'on considère que le roman est constitué d'un échange entre deux femmes, sur ce qu'elles sont devenues; mais c'est aussi un livre qui s'adresse à tout le monde, hommes et femmes. J'aborde dans ce roman plusieurs sujets qui interpellent chacun et chacune. Pour moi, parler de la femme, c'est aussi parler de l'homme car le bonheur de l'un dépend de celui de l'autre.
Dans l'une de vos nouvelles, vous parlez de sorcellerie: la sorcellerie est elle un fléau maléfique pour ceux qui en sont victimes ou une démonstration de force pour les initiés?
La sorcellerie fait partie des mœurs en Afrique. Je veux dire qu'elle est présente sans être visible, ni démontrée mathématiquement. C'est un peu comme dans les romans, il y a les personnages nommés, qu'on voit évoluer, mais il y a aussi les non-personnages qui deviennent des quasi-personnages par la force de leur présence, ce peut être par exemple un thème, une idée... En réalité, il faudrait redéfinir la sorcellerie: qu'est ce que c'est? Dans ma nouvelle, « La déchéance du Vieux Manga », publiée dans le recueil « J'Espère », la sorcellerie, c'est d'abord ce qu'on appelle communément « le mauvais cœur ». Dans ce texte, un vieux du quartier, Ta Manga, est soupçonné d'être sorcier à cause de son égoïsme. Manga, dans le langage populaire lari, désigne la sorcellerie. Et ce vieux monsieur préfère voir pourrir les fruits de son verger plutôt que de laisser les enfants les ramasser et les manger.
Si on vous demandait de vous définir en tant que femme, quelle casquette porteriez vous avec le plus d'aisance: la femme, la mère, la sœur, l'amie?
Je me définis d'abord comme fille. La fille de mon père et de ma mère, et je rends grâce à Dieu de m'avoir donné ces parents-là. Je suis devenue femme, c'est-à-dire la compagne d'un homme; je suis aussi devenue mère et je remercie Dieu pour cette grâce qu'il m'a faite en me donnant quatre adorables enfants; mais être femme et être mère ne sont pas choses faciles. Je crois qu'après celle de fille, la casquette que je porterais avec aisance est celle d'amie. Si je suis l'amie de mon mari, si je suis l'amie de mes enfants, je pense que c'est déjà une bonne chose. L'amie ne veut que votre bien, vous écoute, vous donne les conseils qu'elle juge les plus salutaires. L'amie, c'est celle avec qui vous pouvez tout partager, sans craindre que vos confidences ne se retrouvent sur la place publique un jour...
En bloguant ou en écrivant, vous sentez-vous différente d'un Jean Malonga ou d'un Dominique Ngoïe-Ngalla?
J'écris, emportée par le sujet ou guidée par les personnages. Je n'écris pas en comparaison avec tel ou tel autre écrivain. Des auteurs comme Jean Malonga ou Dominique Ngoïe-Ngalla, et tant d'autres, sont des auteurs que j'apprécie beaucoup, mais je ne me dis pas: « J'aimerais être un Jean Malonga ou être différente de tel auteur ». Je suis moi, même si mon moi littéraire s'est fortifié au contact de tous ces auteurs qui m'ont fait aimer la littérature. De même, quand je publie un article sur mon blog, ce n'est pas dans l'intention de paraître ceci ou cela, mais parce que l'expérience du partage est la plus belle et la plus enrichissante qui soit.
Entre les occupations familiales, le boulot, l'écriture, vous reste-t-il du temps pour les loisirs?
Mes loisirs, c'est la lecture et l'écriture! Je n'ai pas besoin d'autre chose, j'aimerais tellement disposer de plus de temps pour m'y consacrer, avoir des journées plus longues que les 24 heures quotidiennes, comme je l'explique dans mon roman « Chêne de Bambou ». En tant que mère, je me reproche souvent de consacrer beaucoup de temps à lire ou à rédiger des articles, car c'est un temps que j'aurais pu consacrer à mes enfants. C'est pourquoi, pour limiter les dégâts, je travaille surtout le soir, jusque très tard. J'ai donc des nuits courtes, ce qui n'est pas non plus l'idéal pour la forme physique...
Propos recueillis
par Marie-Léontine Tsibinda