Originaire du Congo Brazzaville, Liss Kihindou est une jeune écrivaine qui œuvre pour la promotion de la littérature africaine en général et congolaise en particulier. Auteure de deux recueils de nouvelles « J'espère » chez Amalthée en 2005 et « Détonations et folie » chez L'Harmattan en 2007 et d'un essai intitulé « L'expression d'un métissage dans la littérature africaine » chez L'Harmattan en 2011, elle publie aujourd'hui son premier roman « Chêne de Bambou » aux Editions Anibwe. Ce roman épistolaire confirme son talent d'écrivaine. Pour les lecteurs d'Amina, elle a accepté de répondre à nos questions. |
Comment est né le titre de votre roman et que signifie-t il?
Chêne de Bambou est un roman épistolaire. Deux jeunes femmes qui se trouvent l'une en Afrique, l'autre en Europe, échangent chacune sur leur continent par courrier électronique. Ces deux univers se traduisent dans l'expression « Chêne de bambou ». Le mot « chêne » est aussi un parfait homophone de « chaîne » et l'on peut penser à la chaîne que constitue la conversation continue entre Miya et Inès. Par ailleurs, « Chêne de Bambou » est le titre du manuscrit qu'écrit l'héroïne du roman. C'est donc ce manuscrit qui donne son nom au roman. Je n'ai pas inventé ce procédé appelé « mise en abyme ». On le trouve chez André Gide dans Les Faux Monnayeurs ou encore dans Trois jours chez ma mère de François Weyergans...
Pourquoi le choix d'internet comme moyen de communication?
Combien de personnes de nos jours s'envoient encore des lettres par la poste? C'est un phénomène qui se raréfie au profit de la communication électronique. Ne reste, dans le cadre privé, que l'envoi de cartes postales que l'on adresse aux siens depuis le lieu où l'on séjourne momentanément, en vacances par exemple. Sinon les envois postaux ne sont plus dévolus qu'à la correspondance administrative. Je n'ai fait que m'adapter à l'air du temps. Mais la correspondance électronique a aussi l'avantage de faciliter et d'accélérer la réactivité: les rebondissements sont plus vifs. Plusieurs sujets sont au cœur de la discussion entre les deux amies: mode, mariage, racisme, homosexualité...
S'agissant de ce dernier point, comment la question de l'homosexualité se pose-t-elle en Afrique aujourd'hui?
Je n'ai pas été en Afrique tout récemment, et je compte bien me rattraper, mais à ce que je sache, les personnes reconnues comme étant homosexuelles font malheureusement en Afrique l'objet d'un traitement cruel. On est bien loin de les autoriser à vivre leur sexualité comme elles l'entendent. On adopte au contraire des comportements tout simplement barbares à leur encontre.
Le fait que les deux héroïnes du roman se trouvent l'une en Afrique et l'autre en Europe a-t-il une signification particulière? Le risque de malentendu n'est-il pas élevé entre les deux femmes?
Le va et vient permanent entre l'Afrique et l'Europe traduit le fait qu'on est aujourd'hui non seulement citoyen d'un pays mais aussi, en même temps, citoyen du monde. On est au carrefour des civilisations et des cultures, on ne peut plus vivre les yeux entièrement tournés vers soi, on doit aussi être connecté au monde, ce que facilitent les médias et surtout Internet. Le risque de malentendu entre les deux femmes n'est pas élevé, je pense, car même si elles sont séparées par des milliers de kilomètres, elles sont nées et ont grandi dans le même pays, elles partagent la même culture.
Après avoir écrit deux recueils de nouvelles et un essai, vous publiez enfin votre premier roman. Est-il si difficile d'écrire un roman?
C'est vrai que ce n'est pas pareil, mais dans mon cas, je pense que je me suis ménagé une transition car je n'ai pas directement passé au roman classique. J'ai commencé par un roman épistolaire qui pourrait être assimilé à un ensemble de nouvelles si l'on considère que chacune des lettres qui composent le roman constitue une unité, une nouvelle, un texte court. Ce roman est le roman de l'entre deux: on est entre l'Afrique et l'Europe, entre la nouvelle et le roman, entre mariage d'amour et mariage blanc, entre vie professionnelle et vie familiale.
Quel est votre genre littéraire de prédilection et pourquoi?
Je n'ai pas un genre de prédilection. J'aime la poésie pour sa beauté, pour son mystère, pour la magie que l'on crée avec les mots; j'aime la nouvelle pour sa brièveté et son intensité à la fois; elle nous fait vivre en un temps relativement court des émotions dont la densité peut surpasser celle d'un roman. J'aime le roman parce qu'il permet de faire une escale dans l'univers d'un auteur, il rassasie le lecteur, là où la nouvelle nous laisse parfois sur notre faim. Le théâtre, c'est la vie donnée au texte. Le choix est souvent difficile et certains auteurs jonglent dans leurs textes avec différents genres, le narratif se mêlant à la poésie ou au théâtre.
Vous êtes à la fois enseignante, mère de famille, grande lectrice (votre blog « Liss dans la vallée des livres » témoigne de votre engouement pour le livre, et écrivain. Comment arrivez-vous à concilier tout cela?
C'est l'équation que j'ai à résoudre au quotidien et ce n'est pas toujours facile. Je suis obligée d'agir en fonction des priorités du moment: durant la période scolaire, les cours et les copies à corriger me prennent un temps important. Je profite des pauses qu'offrent les vacances pour lire les autres, publier des articles, et aussi pour faire aboutir mes propres projets littéraires. J'avoue que j'écris surtout la nuit parce que le jour, je dois aussi, en parallèle, me consacrer à ma famille, à mes enfants auprès desquels je veux passer des moments privilégiés. Je dois toujours trouver le juste équilibre.
D'où vous vient cette envie incurable d'écrire? Y-a-t il des auteurs qui vous ont montré la voie?
Je crois que nous sommes ce que nous avons lu. Chaque auteur laisse en nous des traces et mon envie d'écrire s'est nourrie de toutes mes expériences de lecture, qu'elles aient été bonnes ou mauvaises. Plus j'ai reçu des livres, plus j'ai eu envie, moi aussi, de donner, de me mettre à la place de celui qui raconte. Il serait difficile de citer des auteurs en particulier, mais je peux dire qu'il y a des valeurs intemporelles, comme Maupassant par exemple, qui m'émerveille toujours; et il y a aussi les découvertes que l'on fait, suivant les saisons de lecture. Je suis actuellement sous le charme d'une jeune auteure nigériane qui m'étonne par la puissance de sa narration et la force de son propos: Chimamanda Ngozi Adichie. J'invite les lecteurs à découvrir cette auteure, en lisant par exemple « Autour de ton cou », son dernier livre traduit en français, un recueil de nouvelles.
De nombreux parents se demandent souvent comment inculquer le goût de la lecture à leurs enfants...
Je leur conseillerais de commencer dès leur plus jeune âge, de les familiariser avec le livre dès qu'ils peuvent manipuler les objets et de leur lire des histoires. Cela ne garantit pas des grands lecteurs, mais cela assure des bases sûres pour le futur.
Pouvez-vous nous parler de votre prochain livre?
Nous parlions justement de livres et d'enfants et les miens, les petits surtout, se plaisent à m'écouter leur raconter une histoire, surtout une histoire tout droit sortie de mon imagination. Ainsi j'aimerais bien écrire un livre pour la jeunesse. J'ai aussi en chantier un essai sur ce que nous inspirent les personnages bibliques, que je peine à faire avancer faute de temps. Par ailleurs, j'ai fait cette année une nouvelle expérience: je participe à des ouvrages collectifs. Le premier réunit dix auteurs autour du thème de la marginalité, et moi j'ai écrit un texte sur la marginalité des auteurs du Sud. Le second ouvrage va marquer la célébration des soixante ans de la littérature congolaise, qui commença en 1953 avec le roman « Cœur d'Aryenne » de Jean Malonga, le premier écrivain congolais.
Propos recueillis
par Marc Talansi
Marc Talansi. "Liss Kihindou publie « Chêne de Bambou »,
son premier roman". Amina 523 (novembre 2013), pp.44 et 46.
par Liss Kihindou En 1953 paraissait la première œuvre littéraire congolaise. Il s'agit de Cœur d'Aryenne, de Jean Malonga. Ce roman marque donc l'entrée du Congo Brazzaville dans l'ère de la littérature écrite. Depuis, le Congo s'est distingué, dans toute l'Afrique et dans le monde par le nombre et la qualité de ses écrivains, parmi lesquels on compte Sony Labou Tansi, Tchicaya U Tam'si, Emmanuel Dongala, Henri Lopes, Alain Mabanckou. Des voix masculines en particulier, au milieu desquelles on peine à entendre des échos féminins. Au moment où la littérature congolaise célèbre ses noces de diamant, il est intéressant de s'interroger sur la place de la femme dans cette littérature. 1953 2013, le soixantième anniversaire de la littérature congolaise ne pouvait laisser indifférents les filles et les fils du Congo. Des festivités se préparent cette année, au Congo aussi bien que dans sa Diaspora (France, Canada...), sous la houlette de l'association Agora, via son porteur de projet Aimé Eyengué, écrivain. Sous le nom de « Festivités 60 », elles se donnent pour objectif de mettre en valeur toutes les productions littéraires congolaises de 1953 à ce jour. Pour ce faire, jusqu'à décembre, des rencontres se tiendront, en particulier du 20 au 22 décembre, point culminant des festivités, où, durant trois jours, seront organisés des colloques et des tables rondes, animés par l'intelligentsia congolaise: professeurs d'université et gens de lettres. Pendant ces trois jours, à Brazzaville, la littérature congolaise sera examinée, génération après génération, thème après thème; ses points forts, ses points faibles, ses sources d'inspiration... tout ou presque sera débattu, avec le concours d'un public que l'on espère intéressé et intéressant. Mais les « Festivités 60 » sont surtout marquées par la parution d'un ouvrage collectif, auquel ont participé des hommes et des femmes de lettres du Congo. Les 60 ans de la littérature congolaise, est non seulement l'occasion de mettre en lumière la richesse et la diversité des productions littéraires congolaises, mais aussi de se retrouver les uns les autres autour d'un projet commun, pour consolider les liens et donner encore plus de valeur aux talents respectifs des auteurs. La citation de Martin Luther King, reproduite dans le dossier de presse des « Festivités 60 », est judicieusement choisie: « Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots. » Ainsi, depuis plusieurs mois, les écrivains, les écrivaines en particulier se manifestent, se découvrent ou plutôt se laissent découvrir, et l'on est obligé de faire la remarque suivante: la littérature congolaise ne se lit plus seulement au masculin, elle comporte également une essence féminine de plus en plus forte. Aurore Costa, Emilie Flore Faignond, Liss Kihindou, Marie Léontine Tchibinda, Ralphanie Mwana Kongo, MarieLouise Abia, Marie Françoise Ibovi, Ophélie l'Insondable... Voilà des femmes congolaises que vous prendrez plaisir à lire. Mais il n'y a pas que celles qui ont participé à cet ouvrage, intitulé « Noces de diamant », il y a toutes les autres: Ghislaine Sathoud, Aimée Mambou Gnali, Noëlle Bizi Bazouma, Jeannette Balou Tchichelle, Amélia Nene, Evelyne Mankou Ntsimba, Aleth Félix Tchicaya, Lina Florence Ramona Mouissou, Aurore Foukissa... Les femmes s'emparent de la plume au Congo. |