Originaire de la République Démocratique du Congo, Stéphanie Manfroy Boale, vient de publier son premier roman. Un texte dépouillé, écrit dans un rythme saccadé, à l'image du destin tragique d'une mère, Belina. L'exil, la solitude et la maladie l'ont dépossédée de sa capacité à renouer avec son fils en quête d'identité. Mais la mère lègue à son fils un message posthume. À l'instar de celui de la fable de Jean de la Fontaine "Le laboureur et ses enfants", le testament de Belina montre combien la richesse se terre parfois là où on la cherche le moins. Un roman optimiste, à l'image de l'auteur. |
Vous avez étudié le journalisme...
Après un graduat en journalisme à Kinshasa, j'ai travaillé de 1994 à 1996 en République centrafricaine comme consultante en communication au Programme des Nations-Unies pour le développement. Je suis arrivée en Belgique en 1997 pour poursuivre des études universitaires mais j'ai été confrontée à un problème d'équivalence de diplôme. J'ai collaboré comme bénévole pour le Comité belge de l'Unicef. Chemin faisant, j'ai rencontré mon mari et suis finalement restée en Belgique. Après avoir suivi une formation spécifique à l'Office national de l'Enfance il y a trois ans, je suis devenue accueillante conventionnée. Je suis moi-même maman de deux jumeaux de cinq ans, Patricia et Alexandre, et j'assure un accueil familial à quatre enfants âgés de quatre à vingt-trois mois. Il s'agit d'un métier qui bénéficie du même statut que celui du travail salarié.
Le testament d'une mère, votre premier texte littéraire a été publié fin 2008. C'était un projet de longue date ?
J'aime lire, laisser mon imagination vagabonder, conter des histoires à mes enfants, mais je ne pensais pas à écrire. L'idée de mon roman est née lors du festival Yambi 2007 RD Congo-Wallonie-Bruxelles qui avait accueilli plusieurs artistes en provenance de plusieurs régions du Congo. Il y avait peu de Congolais de la région de l'Équateur d'où je suis originaire. Il manquait aussi des jeunes écrivains. Je me suis dit : «pourquoi pas moi? » Je me suis lancée dans l'écriture du Testament d'une mère que j'ai soumis au psychologue, écrivain et conteur congolais, Pie Tshibanda. Il m'a encouragée à le faire publier. Je n'ai pas présenté mon manuscrit à des maisons d'édition car, renseignements pris, on ne me donnait pas beaucoup de chance. Comme je ne voulais pas que l'on mette mon manuscrit dans un tiroir, je l'ai publié à mes frais. Je l'ai proposé à la maison d'édition Panubula à Louvain-la-Neuve.
Quelle est la trame de l'histoire ?
Le roman parle de la difficulté des femmes africaines à élever seules leurs enfants en Europe. En Afrique, toute la famille, proche ou éloignée, s'occupe de l'éducation de l'enfant alors qu'en Europe, on se retrouve souvent seule. Le testament d'une mère parle de la relation entre une mère, Belina, et son fils Loïc. Belinda est gravement malade. Ses rapports avec son fils se sont beaucoup détériorés. Alors qu'il demande à connaître son père, sa mère refuse de lui révéler une vérité trop dure. Cette quête d'identité va pousser le jeune homme à se révolter. C'est un enfant mal dans sa peau, introverti, agressif qui, à force de faire de mauvaises rencontres, va sombrer dans la délinquance. À la mort de sa mère, il découvre son message posthume. Pour toucher son héritage, Loïc doit rentrer en Afrique pour disperser les cendres de sa mère du haut de la mine de Damari, son village. Damari justement est un village qui se cherche aussi. À force de s'acharner à trouver des émeraudes dans une mine, les villageois déstabilisent le sol qui s'effondre, ensevelissant sans cesse les populations. Il y a aussi l'exode rural et son cortège de sacrifices. Je parle de l'exode à plusieurs niveaux. Celui des jeunes qui quittent les villages pour aller dans les villes avoisinantes ou en Europe. Belina est partie en ville avec l'intention de revenir dans son village. Mais elle va se retrouver en Europe, dans la filière des demandeurs d'asile avant de rencontrer le père de Loïc, qui devient son amant et proxénète.
Vous parlez de la jeunesse qui bouscule les traditions, bafoue les mœurs, brandit ses droits, piétine ses obligations.
En Europe, on parle beaucoup des droits des enfants. En Afrique, on parle du devoir de l'enfant envers sa famille et la société. Belina veut que son fils revienne sur le droit chemin. Pour cela, il doit retourner à ses origines. Elle sait que les villageois vont le reconnaître comme un des leurs, qu'ils lui raconteront l'histoire du village, de ses ancêtres, de sa mère.
Pourtant c'est un choc pour Loïc que de se retrouver au village. Pour lui, c'est la préhistoire...
Oui, il trouve que c'est « honteux d'appartenir à ce peuple, de vivre dans des conditions aussi misérables à l'heure actuelle, sans maisons, sans hôpitaux, sans magasins, sans eau courante, sans toilettes, avec des enfants nus qui ne fréquentent pas l'école, coupés du monde extérieur ».
Il ne comprend justement pas comment un Blanc, Jesse, a quitté l'Europe pour vivre dans ce bled au milieu de tous les villageois.
J'ai voulu montrer une autre face de l'Europe. Jesse était agronome. Il est devenu un globe-trotter suite à son divorce et depuis, il n'a plus aucun contact avec ses enfants. À Damari, lui, le sans-famille, le sans-toit s'est senti accueilli, accepté et utile. Il fait comprendre à Loïc combien il a de la chance d'avoir des gens qui l'accueillent à bras ouverts et combien son village a besoin de lui. À la fin du roman, la quête de Loïc a pris fin. Il ne sait toujours pas qui est son père, mais il a découvert une terre, une famille qui l'accueille. Il va décider de s'impliquer dans le village pour aider ses habitants à s'en sortir, à travailler la terre.
Le message du roman ?
C'est important de savoir d'où l'on vient. Nous avons nos valeurs et nous ne pouvons pas les effacer du seul fait de l'immigration. Les enfants qui sont nés ici ignorent souvent ce que leurs parents ont vécu en Afrique, leurs histoires familiales et individuelles. La transmission générationnelle ne se fait pas toujours et le décalage entre la jeunesse des parents et celle de leurs enfants peut être très grande. Le bagage identitaire des parents n'est pas celui que les enfants veulent ou peuvent porter. Le monde évolue et les parents se doivent de dialoguer, partager, échanger avec leurs enfants. Je plaide aussi pour le métissage des cultures.
Avez-vous d'autres projets d'écriture ?
Mon roman a été bien accueilli et les critiques sont plutôt encourageantes. Je travaille actuellement sur un nouveau roman. Cette foi-ci j'irai frapper aux portes des maisons d'édition.
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