Eveline Mankou n'a pas froid aux yeux et n'hésite pas à dénoncer les maux des sociétés africaines dans ses romans. Ses nombreux voyages ont aussi en partie inspiré son écriture. Elle a quitté le Congo après l'obtention d'un bac littéraire avant de déposer ses valises à Abidjan où elle reste trois bonnes années pour étudier dans une école de commerce. Puis, elle s'envole pour la France et vit plusieurs années à Nice. Ensuite elle part en Angleterre où elle poursuit ses études, à Londres, pour développer ses compétences en ressources humaines. Cette écrivaine d'origine congolaise est aussi polyglotte: elle parle le français, l'anglais, le néerlandais, le lingala, le lori, le kikongo, l'espagnol et l'italien. Maintenant installée en Belgique après avoir voyagé dans les quatre coins du monde, elle vient de sortir son troisième roman, Elikia, qui évoque les relations tumultueuses entre les hommes et les femmes. Elle parle de son nouveau livre à Amina. |
C'est juste la continuité de mon travail. Ici, je me suis penchée sur les relations humaines, en particulier les rapports homme-femme. Ce n'est pas facile de construire une relation, quelle qu'elle soit: amitié, amour, famille. Il est moins facile encore de vivre ensemble. J'ai voulu délivrer un message d'espoir comme l'indique le titre du livre. Quelle que soit la difficulté, il est important de toujours garder la tête haute. L'essentiel est de fixer l'horizon et d'avancer ainsi jusqu'au bout.
Vous parlez d'un homme et d'une femme qui peinent à vivre leurs sentiments à cause d'un mur. Que représente ce mur?
Ce mur, c'est un peu comme le mur de Berlin, quoi qu'il ait été démoli. Ici, le mur représente les différences culturelles, de mentalité et au-delà, les préjugés.
Il est symbolisé par quoi exactement?
Par leur façon de penser par exemple, leurs choix culinaires ou vestimentaires par exemple, des petites choses du quotidien qui les opposent complètement.
Vous confrontez aussi dans ce livre le modernisme et le traditionalisme dans un couple. Pourquoi avez-vous tenu à évoquer cette question. Est ce une façon de faire référence à l'actualité?
Je ne sais pas si la question est d'actualité car j'en suis de plus en plus déconnectée: l'actualité me déprime. Par contre la tradition et le modernisme, j'y suis personnellement confrontée puisque je suis Africaine, avec une partie de ma famille en Afrique et une autre en Europe où je vis avec d'autres réalités culturelles. Il faut donc, dans ce contexte, avoir la finesse de jongler entre les deux parties familiales. La vie est un roman. Il suffit alors de se mettre à l'écrire. On s'accroche à tout ce que l'on peut pour guérir de ses maux, et pourquoi pas à l'écriture. Quand j'écris, je suis juste relaxe, dans le calme pour ne pas qu'un fil d'idée ne m'échappe.
Votre pays d'origine, le Congo, est toujours très présent dans vos écrits, est-ce un besoin pour vous de toujours faire référence à vos racines?
Il y a plusieurs choses qui sont chères à mon cœur, dont Nice et le Congo. Mes personnages évoluent souvent dans ces lieux auxquels j'aime rendre hommage. Je n'oublie pas d'où je viens. Il y a aussi plusieurs auteurs qui m'inspirent et que j'aime beaucoup tels que Dany Laferrière, Claire Legendre, Charline Effah, Tonino Benacquista.
Quel regard portez-vous sur la littérature congolaise qui n'est pas toujours très connue du grand public?
Le Congo a une littérature très riche avec de grands noms comme Alain Mabanckou, prix Renaudot 2006, pour ne citer que lui. Les auteurs congolais, on ne les compte plus et dans cette grande famille, les femmes s'y collent de plus en plus, parfois très jeune. Je pense à la plus jeune écrivaine congolaise, Ketsia Béatrice Safou Bouanga qui est une plume d'avenir. Les femmes écrivaines du Congo Brazzaville se sont d'ailleurs organisées en collectif et j'en suis membre. De ce groupement est née une anthologie: Sirènes des sables (Editions L'Harmattan, 2014). Le Congo a également chaque année un grand stand au Salon du livre de Paris. Un stand digne d'une maison comme Albin Michel où chaque année les auteurs viennent s'exprimer.
Vous avez déjà écrit au sujet du viol, dans votre roman L'instinct de survie. En République Démocratique du Congo (RDC), le viol est utilisé comme une arme de guerre contre les femmes. Quelle est votre analyse de cette situation qui dure depuis près de vingt ans?
Ce sont généralement les hommes qui font la guerre et les femmes ainsi que les enfants qui la subissent. Ce qui se passe en RDC est déplorable. Le viol est utilisé comme arme de guerre et il ne faut pas oublier que parfois des enfants viennent au monde suite à ces crimes, car un viol est un crime. Des crimes qui restent impunis, sans parler des contaminations aux diverses maladies sexuelles dont le VIH sida. Et que dire à ces enfants une fois grands au sujet de leur filiation? Dans ce contexte, quelle est la relation entre la mère et son enfant né d'un viol? Que dire de la souffrance et des vies détruites. Ce sont ces thèmes que j'évoque dans mon livre L'instinct de survie (Éditions jets d'Encre).
Propos recueillis
par Assanatou Baldé