De culture franco-congolaise, Nathalie Matingou, 39 ans, a publié aux Editions Aryon son premier ouvrage intitulé Embrouillamini, Terre des Tronifer. Présenté sous la forme d'un conte philosophique, ce livre décrit un royaume en décadence. Le lecteur y découvre des personnages et des intrigues qui nous renvoient au monde d'aujourd'hui. |
Pourquoi l'écriture?
Depuis mon enfance, j'ai été attirée par les mots et leur architecture, par la possibilité de créer des mondes à travers leur conjonction. C'est donc naturellement que je me suis prise de passion pour l'écriture. Par ailleurs, l'environnement familial dans lequel j'ai grandi a probablement permis de renforcer cet aspect de ma personnalité. Et puis, au delà de tout cela, il y a eu l'inspiration du moment. [. . . .] Très jeune, j'ai été en contact avec les livres parce que mes parents disposaient d'une bibliothèque dans laquelle j'aimais me réfugier. Embrouillamini a été possible aussi parce que mon environnement familial a favorisé la lecture. Par conséquent l'écriture.
Pouvez-vous nous parler d'Embrouillamini?
En résumé, il s'agit d'un voyage au cœur de la nature humaine, dans ce qu'elle a de plus vil. "Embrouillamini" est un royaume dans lequel règnent perfidie, hypocrisie, vanité, envie, convoitise et orgueil, et dans lequel les règles sont dictées par un intérêt égocentrique des plus puissants (Mme Moustique de Anophèle, M. Criquet Locuste de Sauteriau et Sa Majesté). Ces oligarques font et défont la vie pendant que la majorité (les Tronifer) subit les affres de leur politique. A travers l'écriture de ce conte, j'ai pu renouer avec les amours qui ont animé et amusé mon enfance: l'architecture des mots c'est-à-dire jouer avec les lettres et les mots, user à souhait des techniques de reformulation.
Votre roman se présente sous la forme d'un conte philosophique. Pourquoi avoir choisi une telle forme d'expression ?
La forme n'a pas été choisie au départ, elle s'est imposée au fil de l'écriture. Le conte, me semble-t-il, permet aussi bien à l'auteur qu'au lecteur de ne pas se soucier de situer l'action en un lieu précis. Les caractéristiques des relations humaines étant absolument les mêmes, que l'on se trouve dans l'hémisphère nord ou dans l'hémisphère sud, il m'est apparu intéressant de ne pas situer mon récit dans une contrée définie, bien qu'Embrouillamini résulte de l'observation des milieux dans lesquels j'ai évolué.
Peut on dire que votre écriture se situe en-deçà des réalités africaines ?
Que faut-il entendre par réalités africaines? Mon objectif n'était pas de mener une analyse historique, sociologique ou politique comme Mongo Béti, Ahmadou Kourouma, Sony Labou Tansi ou Emmanuel Dongala. A travers ce conte-fiction, j'ai essayé de trouver ma voie dans le domaine de l'écriture et non pas de m'inscrire dans un engagement historico-politique ou sociologique. Au demeurant, pour tenter de répondre à votre question, je ne pense pas que l'on puisse m'accuser d'avoir une écriture surréaliste par rapport à la situation de l'Afrique. Je suis convaincue que les lecteurs trouveront des similitudes entre Embrouillamini et beaucoup de pays à travers le monde dans lesquels les populations sont méprisées, affamées, marginalisées et opprimées par certains dirigeants.
Ne pensez-vous pas qu'en Afrique beaucoup se reconnaîtraient dans les Tronifer?
Il suffit de bien observer la situation et l'attitude des différentes composantes de la société. Embrouillamini ne concerne pas plus une culture qu'une autre. Les caractéristiques des relations humaines ne sont pas propres à un groupe culturel ou politique. Ce conte met en lumière des attitudes détestables dont le genre humain est capable dans sa quête absolue de pouvoir.
Quel est votre avis sur la notion du pouvoir au moment où en Afrique, notamment au Maghreb, on a vu des manifestations dont l'ampleur a surpris?
Il faut espérer que ces mouvements aboutissent à quelque chose de véritablement nouveau et non à une reproduction à l'identique de l'ordre ancien. Dans le monde moderne, le pouvoir est pensé essentiellement comme une relation de soumission, de domination, d'influence, d'autorité. Cette forme d'exercice du pouvoir engendre la souffrance; elle ne met pas le peuple au centre des préoccupations des politiques mais au service de la satisfaction d'intérêts particuliers au détriment de l'intérêt général. Ces pratiques contribuent à maintenir l'Afrique dans une situation de dépendance et de sous-développement.
Pensez-vous que l'écriture puisse changer grand chose ?
L'écriture peut contribuer à éveiller les consciences en amenant les lecteurs à s'interroger sur ce qui est fondamental dans la vie. En ce sens, l'écriture peut effectivement changer les choses. Cependant, cela n'est possible que dans la mesure où la majorité de la population a accès à l'éducation et à la culture sous toutes ses formes pour un développement global.
En tant que Franco-Congolaise, comment vivez vous votre métissage?
C'est une notion toute relative qui ne saurait se limiter à la parenté et intégre toutes les expériences et les échanges culturels qui enrichissent notre identité. Je le vis bien, avec parfois des questionnements partagés par beaucoup de personnes qui ne sont pas forcément métisses ou issues de l'immigration.
Propos recueillis
par François Bikindou
Embrouillamini est disponible aux Editions Aryon et peut être commandé à [email protected]