Son brillant parcours universitaire laisse sans voix. Auteure de plusieurs publications (livres, essais, thèse de doctorat, articles de presse ...), membre affiliée à des sociétés savantes spécialisées dans la littérature, Marie-Rose Abomo-Mvondo conserve la modestie et la fraîcheur des personnes désireuses d'apprendre au quotidien tout en partageant leur savoir avec le plus grand nombre. Chargée de cours à l'UFR de Lettres d'Orléans, maître de conférences à l'université de Yaoundé 1, au Cameroun, elle reste très attachée à ses recherches dans l'équipe "Langue, Langue et Culture de l'Afrique Noire" au CNRS de Villejuif. C'est d'ailleurs dans ce cadre que l'enseignante d'origine camerounaise travaille sur la langue et la littérature orale et écrite de la zone pahouine en Afrique Centrale. Responsable pendant quelques mois des "Littératures aux Suds" au sein de l'Agence Universitaire de la Francophonie, elle a effectué plusieurs missions au Brésil. Marie-Rose Abomo Maurin a été décorée de la médaille de Chevalier dans l'Ordre des palmes académiques en 2013. Rencontre. |
Vous êtes enseignante, spécialiste notemment en littérature francophone. Comment est née votre vocation?
À vrai dire, comme tous les enseignants des littératures francophones de ma génération, j'ai d'abord été nourrie par les littératures européennes, surtout françaises. À ce titre, sur les listes officielles, je suis qualifiée pour « la langue et la littérature françaises ». Toutefois, déjà à l'Université de Yaoundé où j'ai commencé mes études universitaires, j'étais régulièrement inscrite dans le Département des Lettres modernes, où nous avions au programme un certain nombre d'auteurs de littérature négro-africaine. S'il est vrai que j'ai obtenu une maîtrise ès lettres à Clermont-Ferrand (je travaillais sur les XVIIIe et XIXe siècles) et un premier DEA de Littérature générale et comparée à Orléans, j'avais déjà très envie de m'engager dans ce qu'on a appelé à l'époque les « Littératures d'expression française ». C'est ainsi que je me suis inscrite au Centre International des Études Francophones à la Sorbonne, où j'ai refait un nouveau DEA sur la littérature africaine, avec en option la littérature de l'Océan Indien et celle des Antilles. Je trouve que la littérature francophone a des choses à dire, à partager. Elle a pour rôle de faire connaître des cultures, elle est une manière plurielle de faire connaître son univers, un univers qui n'est autre qu'un « archipel », pour plagier Glissant, une somme de façons d'appréhender la vie. La littérature francophone est pour moi le moyen par lequel je découvre et redécouvre l'homme dans cet univers. Or, je suis curieuse... Après avoir apprivoisé la littérature française classique, j'ai voulu pénétrer au sein des cultures francophones et francophiles...
Si vous n'aviez pas été enseignante, quel autre métier aurait pu vous séduire?
Toute jeune, je rêvais d'être médecin. Il faut dire qu'à notre époque, non seulement on ne savait pas très bien ce qu'il y avait d'autre, comme possibilités après les études, que l'enseignement et la médecine, mais en plus notre orientation était faite par la direction de l'établissement où l'on faisait ses études secondaires, surtout lorsqu'il s'agissait d'établissements confessionnels. Dès la classe de 6e, j'ai été orientée dans la section classique, avec le latin. En 4e, je devais faire de l'allemand. Rien d'étonnant que je me sois retrouvée dans une seconde littéraire, en dépit de mes très bonnes notes dans les matières scientifiques. Pourquoi la médecine? Sans doute pour rendre service. Il faut dire qu'à un certain âge, surtout lorsqu'on a été élevée dans certains milieux, souvent très protégés, même sans être riche, la notion de service public n'a de sens que dans le soulagement de la douleur et du malheur de l'autre. Ce sentiment altruiste dure un temps, jusqu'à ce qu'on comprenne un peu mieux le monde.
Vous avez enseigné à différents niveaux, aussi bien au Cameroun qu'en France. Quelle est votre plus grande satisfaction en tant qu'enseignante?
En tant qu'enseignante, il est vrai, apporter des savoirs et partager mes connaissances avec des élèves ou des étudiants sont une grande satisfaction. Mais j'avoue que ce qui m'a souvent fait le plus grand plaisir, c'est d'entendre dire: « On ne comprenait pas toujours tout pendant les cours de français, mais on courait à vos cours parce que vous racontiez des histoires qui nous ont montré qu'on peut apprendre autrement ». Les efforts et l'assiduité d'un élève jugé faible en français sont une récompense, car cette faiblesse ne peut porter que sur quelques aspects de la langue ou de la littérature. Et ces sorties avec les élèves dans les pizzerias, le soir, avec des parents qui les accompagnent ou qui viennent les rechercher! Et puis, lorsque vous sortez d'un établissement scolaire avec un énorme bouquet de fleurs, un stylo « chic », parce que « Madame, vous avez toujours des stylos trop ordinaires à notre goût », comment ne pas être satisfaite ? La meilleure des récompenses, c'est de retrouver un ancien élève ou un étudiant chef de service dans une boîte, une entreprise ou un bureau. Comme vous le voyez, pour moi, les moments de satisfaction l'emportent sur les chagrins...
Votre curiculum vitae montre un réel intérêt pour le littérature francophone. Quels sont, selon vous, les ouvrages majeurs que chaque Africain doit avoir lus au moins une fois dans sa vie?
J'avoue que cette question est très embarrassante. Puis-je dire que les premiers romans de Mongo Beti sont plus pertinents que ceux de Camara Laye, parce que le premier, très engagé, s'attaque aux institutions coloniales et que l'autre s'attache à décrire la vie africaine? On se rappelle la querelle entre ces deux auteurs en 1954. Puis-je déclarer que les romans et les œuvres qui évoquent les périodes de désillusion qui ont suivi les indépendances africaines sont plus intéressants que ceux qui décrivent la vie au XXIe siècle? Aurais-je raison en considérant les auteurs qui figurent dans le Dictionnaire des écrivains francophones classiques: Afrique subsaharienne, Caraïbe, Maghreb, Machrek, Océan Indien de Christiane Chaulet-Achour, avec la collaboration de Corinne Blanchaud (Paris, Honoré Champion, 2010), comme les seuls dignes d'intérêt ? En fait, pour moi, ce qui importe dans les ouvrages dits majeurs, ce sont les thèmes évoqués et la manière dont ces thèmes parlent aux peuples, à l'Africain, et je vous assure que la liste serait bien longue. Et même si nous parlons ici de la littérature francophone, l'Afrique n'est pas uniquement francophone. Par ailleurs, on ne peut pas nier, parmi les ouvrages majeurs qu'un Africain doit lire ou relire, ceux de certains auteurs antillais. Pour résumer, ayant hérité de certains critiques littéraires de la conception de la littérature africaine en « générations d'écrivains » ou périodes, il me semble qu'il est important de lire non seulement les « auteurs » devenus classiques, mais également ceux qui donnent leurs lettres de noblesse à la littérature. Selon nos sensibilités, nous avons tous nos auteurs préférés.
Personnellement quel est le livre qui vous a le plus émue?
Le personnage de Toundi, dans Une Vie de boy, de Ferdinand Oyono, reste celui qui m'a le plus émue. Si tout le roman permet de découvrir l'univers européen colonial en terre africaine, Toundi apparaît à la fois comme un nouveau « Candide » et un être tragique. Nouveau « Candide », il l'est par sa naïveté, par la confiance aveugle qu'il accorde au Blanc, par l'espoir qu'il met dans la religion. Argile facile à pétrir et à modeler, il est ce jeune homme sacrifié par le sort, car il est appelé à vivre l'installation du Blanc dans une Afrique encore bien ancrée dans ses traditions, une cohabitation qui s'avère tout de suite comme la confrontation entre le pot de fer et le pot de terre. Il ne peut appartenir ni à son peuple, puisqu'il a refusé l'initiation, ni à la communauté des Blancs, puisqu'il est Noir. Et quand bien même il se dit: « Je serai le boy du chef des Blancs: le chien du roi est le roi des chiens », son ambition d'être le « roi des chiens » est brisée très rapidement. Quelle faute a-t-il commise ? Celle d'être là, à un tournant de l'Histoire. C'est alors que tout le roman devient une prédiction, l'annonce de la difficile destinée de l'Homme noir face au Blanc, un exemplum où se développe à merveille la fable de La Fontaine: « Le Loup et lAgneau ».
Des projets en matière de publication ou autre?
J'avoue que depuis deux ans, j'ai un peu laissé de côté la fiction pour me consacrer à des ouvrages de critique littéraire. Trois ouvrages collectifs que je codirige vont sans doute voir le jour avant la fin de l'année. Il s'agit des actes du colloque du Centre de Recherches pluridisciplinaire de Yaoundé 2010, que mes collègues du Cameroun et moi avons créé. Il y a également les actes du XIe Séminaire de la francophilie "Voix et images de la diversité" organisé par le Centre d'études en littératures et cultures franco-afro-américaines du département de Lettres et Arts de l'Universidade Estadual de Feira de Santana au Brésil. Enfin, un ouvrage sur la littérature camerounaise depuis la Réunification. Je pense qu'après tout cela, je vais m'accorder du temps pour finir mon prochain roman. Par ailleurs, depuis quelques années, l'idée d'une « maison littéraire » m'habite davantage, avec des rencontres littéraires, une maison qui ne servirait qu'à recevoir des écrivains, des conférenciers, des stages d'écriture et où l'on servirait des repas et des boissons.
Propos recueillis
par Claire Renée Mendy