Ecrivain voyageur, Nathalie M'Dela Mounier est aussi enseignante documentaliste en Bretagne. Métisse, elle explore l'identité et les mémoires individuelles ou collectives. En observatrice du monde, elle croit à la transmission et au partage des cultures, aux mots qui réveillent. Depuis 2007, elle travaille avec Aminata Traoré (ex-ministre de la Culture du Mali et essayiste) dans le cadre du FORAM (Forum pour un Autre Mali) et du Centre Amadou Hampâté Bâ à Bamako, sur la question des migrations. Elles parrainent le festival Paroles Indigo, à Arles, qui propose « d'autres manières de dire le monde ». Nathalie M'Dela Mounier signe là sa première pièce de théâtre, « Les Désenfantées », sur l'appel du djihadisme auprès de jeunes Africains désespérés et révoltés, dont elle nous parle. |
Quel est le point de départ de cette pièce?
Nous étions en 2013, et il n'était pas encore question de tous ces attentats qui sont survenus par la suite. C'est un fait dont nous avons pris conscience avec Aminata (Ndlr: Aminata Traoré). J'étais alors au Mali où je travaillais sur le thème des migrations et de l'exil. Tous les ans il y a un événement, intitulé Migrance, faisant intervenir des migrants, leur famille, des politiques et des chercheurs pour réfléchir sur la migration. Cet événement se termine toujours par une note culturelle. Et cette fois, nous avions réfléchi à un dialogue entre les mères et les fils migrants. Longtemps ces mères de migrants ont poussé leurs fils, maintenant elles les retiennent car elles ont compris quels étaient les enjeux. En les écoutant, nous avons découvert que les barrières entre l'Afrique et l'Europe sont de plus en plus hautes et l'humiliation et le désespoir de plus en plus violent. Les jeunes envisageaient alors de partir vers le nord du Mali pour rejoindre les djihadistes. Nous avons pensé qu'il était intéressant d'écrire sur ce sujet. Si la forme théâtrale m'a surprise au début, j'y ai mesuré la force de la parole.
En France, on connaît les raisons du départ des aspirants djihadistes, qu'ils soient en situation d'échec ou de perte de repère ou dans la réussite. En Afrique, quelle est la raison de leur départ?
Ces jeunes Africains ont beaucoup en commun avec les jeunes Français. En plus du désenchantement, des jeunes diplômés sans espoir de travail, sont assignés à résidence, donc complètement bloqués. Ils se sentent humiliés face au traitement de leurs frères qui s'exilent. Tout ça fait qu'ils se sentent rejetés par une grande partie du monde. Ils ne pensent pas du tout à la signification du djihadisme. Pour eux, cela peut être une façon de gagner un peu d'argent, d'avoir un vrai statut social et une sorte d'idéal.
Ça fait peur, car en Europe on essaie d'endiguer ces départs, tandis qu'ailleurs cela continue. Je comprends que ce soit pour eux une forme de porte de sortie...
Ils n'attendent pas grand chose du djihadisme. Ils sont plus poussés par une humiliation intense, par un désespoir et une violence verbale mais que pouvons nous leur proposer d'autre? Si les causes structurelles ne changent pas, on ne peut pas les arrêter.
Donc le djihadisme en Afrique tirerait parti des recherches et les révoltes d'une jeunesse qui se sent dans un grand « no future »?
Les djihadistes ne se font pas d'illusion sur ces jeunes. Ils savent comment les appâter et comment en faire de la chair à canon. Ces jeunes aspirants ne savent pas vraiment ce qui les attend. Ils partent de leur plein gré ou pas, comme ils partiraient en exil!
C'est une forme d'exil...
Oui! Plus on fermera les frontières, plus les jeunes auront l'impression d'être repoussés, plus ils chercheront d'autres alternatives, qui sont des formes de suicides...
Est-ce que ces départs pour le djihad sont très nombreux en Afrique de l'Ouest, au Mali, au Sénégal et en Côte d'Ivoire?
Ce n'est pas aussi net. Leur finalité peut être Daesh, Aqmi, on ne sait pas trop. C'est: « On part rejoindre ces gens-là! » Car ils ont une possibilité de ne plus rester assis sur le trottoir, mais de devenir des « Hommes dignes », même s'il faut en passer par la violence. Il peut y avoir une grande naïveté sur la finalité, c'était le cas en 2013.
Donc ces départs seraient la conséquence d'une politique d'enseignement secondaire laissant à désirer, et de la corruption...
Oui! Puis aussi la conséquence de nos politiques libérales qui laissent un continent à la dérive, ou qui le pressurisent, ou des territoires qui sont totalement abandonnés, ou des poches de pauvretés qui s'idéologisent avec une radicalisation expresse...
Y a-t-il des retours comme en France?
Il y a des allers-retours. Certains vont vers le nord, d'autres redescendent, ça ne se fait pas du tout de la même manière qu'en France et en Europe. Mais des retours repentants, je n'en ai pas vu. Ça n'existe pas. Ce sont surtout des hommes jeunes, pas une seule jeune fille n'est partante.
Pourquoi utiliser le néologisme « désenfantées » dans le titre à votre pièce?
Une maman avait inventé ce terme avec toute sa rage et je l'ai repris, car c'était vraiment ça: Des mères « désenfantées ». On leur prend quelque chose. Ces mamans veulent comprendre et ne veulent pas en rester là. Les victimes deviennent des bourreaux.
Ces mères ressentent sans doute une certaine culpabilité...
Bien sûr, mais elles se sentent impuissantes, même si elles ont fait du mieux qu'elles pouvaient.
Vous avez collaboré avec Aminata Traoré. Comment avez-vous procédé?
C'est moi qui ai écrit la pièce de théâtre, mais elle m'a beaucoup aidée dans les témoignages de mères et dans les rencontres avec les gens sur place. Et cette pièce est la suite de Foram et de Migrance, le forum se déroulant au centre Amadou Hampâté Ba à Bamako, avec les jeunes, les mères et les candidats à l'émigration. Ces paroles ont été dites d'une manière ou d'une autre. Aminata m'a relue. Elle est souvent sur le terrain en prise avec le réel et c'est une grande écrivaine et essayiste, ancienne ministre de la Culture.
Quels sont les autres sujets sur lesquels vous écrivez?
J'aime écrire sur l'interculturalité. C'est ça qui me fait vibrer, c'est très important car lié à mon identité de métisse. Je suis franco-martiniquaise par ma mère et le Mali est mon pays d'attache. Je m'y sens chez moi.
Quels sont vos projets d'écriture à présent?
Faire jouer la pièce au théâtre, puis un livre de photos et de textes sur le Liban, et un recueil de poésie. Un jeune aspirant au djihad a fait une lecture de la pièce et il a compris que le djihad n'était pas la solution.
Propos recueillis
par Pascale Athuil
Nathalie M'Dela Mounier (en collaboration avec Aminata Dramane Traoré). Les Désenfantées. Bamako: Editions Taama, 2015. 89 pages.