Souvent première de sa promotion, Milie Théodora Miéré est une femme qui n'a jamais eu peur de la difficulté. Se démenant pour réaliser ses rêves, elle a effectué maints petits boulots pour financer ses études. Elle obtient ainsi haut la main sa licence, sa maîtrise, son DEA et son doctorat. Aujourd'hui, Maître de conférences à l'Université de Versailles Saint Quentin en Yvelines, son histoire est un exemple édifiant de ténacité, de persévérance, de courage et de volonté. Elle la raconte dans son roman autobiographique «Ma Chrysalide est devenue papillon 20 ans après». Ne pas se laisser écraser par sa condition de femme et de mère, tel est l'enseignement qui se dégage de ce livre. |
J'ai constaté lors de mon dernier séjour au Congo, à l'été 2014, que les mentalités ne changent pas. On sublime toujours l' «ailleurs» qu'on imagine être idéal. C'est vrai que le parcours d'un Africain hors du pays est difficile. Il doit s'en sortir par lui-même et il doit en même temps soutenir sa famille «restée» au pays. Cette situation est souvent source d'incompréhension. On attend tout de l'autre... qui finit parfois par craquer et renoncer à ses rêves, les charges étant très importantes. Les mentalités peuvent toujours évoluer, l'état des choses n'est pas immuable, le changement fait partie de la vie mais il faudrait une véritable stratégie de l'éducation et de l'enseignement au Congo, avec des moyens, des actions et un bon suivi. Il faut beaucoup de communication, de la transparence. Il y a des choses que nos aînés ne disaient pas sur leur parcours à l'étranger et je crois que la nouvelle génération est plus décidée à faire part des difficultés et à solliciter les autorités pour un meilleur encadrement des étudiants sur place comme à l'étranger.
Où qu'ils se trouvent, les natifs du Congo ont été touchés par la guerre civile de 1997, les relations entre eux, notamment, ont changé; même à l'étranger, ils se sont regroupés par ethnie mais vous, vous avez refusé de vous enfermer dans le groupe ethnique. Peut-on espérer que les différentes ethnies du Congo puissent encore vivre en bonne intelligence?
Oui, bien sûr, toutes les communautés congolaises ont vécu en bonne intelligence pendant des années. Il y a de la part de certains hommes ayant pour objectif la conservation du pouvoir, une volonté de mettre en avant les différences entre les peuples, de diaboliser l'autre. Cela se fait partout dans le monde. Moi, j'ai eu la chance d'avoir des parents enseignants qui ont posé comme base de notre éducation l'ouverture à l'autre et la tolérance... ils ont montré l'exemple. Nous sommes un seul peuple et pas très nombreux en plus. J'ai espoir dans la nouvelle génération. Vivre ensemble est un impératif, un enjeu de notre siècle. L'être humain doit arrêter de détruire l'autre parce qu'il est différent. L'autre, c'est nous... C'est la nature qui a voulu que nous soyons différents, et c'est cette différence qui crée l'harmonie.
Vous parlez beaucoup de votre père, Théodore Miéré, à qui vous rendez hommage en quelque sorte dans ce livre. Vous citez les paroles qu'il tint en 1988, longtemps avant les guerres civiles qui ont stigmatisé l'ethnie: «les fonctions administratives et politiques sont réparties non pas selon les qualités, l'efficacité personnelle du citoyen congolais, mais selon son appartenance à tel ou tel groupe ethnique». Finalement, l'ethnie n'a-t-elle pas toujours été la bête noire de la cohésion sociale au Congo?
C'est vrai, mon père l'avait écrit dans son mémoire et c'est malheureux que cela perdure. Nous devons apprendre à vivre et à travailler ensemble, mettre l'homme qu'il faut à la place qu'il faut, regarder les compétences et non l'origine de la personne, comme je l'ai dit précédemment.
Vous avez souvent eu des postes à responsabilité, malgré le fait que vous soyez noire. On vous a fait confiance. Le racisme ne semble pas avoir freiné votre évolution professionnelle?
Non, puisque j'ai fait ma thèse en partie à France Télécom, quatrième opérateur de téléphonie mobile, et j'ai été classée première dans deux universités (Picardie et Versailles) lorsque j'ai passé le concours de Maître ce Conférences. Je pense devoir ma réussite professionnelle à mes compétences. Il est vrai que j'ai beaucoup travaillé, tout le temps. J'étais consciente qu'il me fallait être parmi les meilleurs pour réussir. J'ai eu beaucoup de chance mais cela ne veut pas dire que le racisme n'existe pas. Il est vrai que lorsque l'on appartient à une minorité, on doit prouver plus que les autres que l'on est compétent. La moindre erreur est blâmable, par contre personne ne parle de ce que l'on fait de bien. Cette exigence de perfection est souvent source de stress et cela m'a causé des problèmes de santé. Le fait de n'être aux yeux de certains qu'une couleur de peau, devoir en faire plus que les autres, est pour moi la plus terrible des injustices. Attendre de l'autre une perfection du fait de sa couleur de peau, c'est le considérer comme un objet et lui enlever toute humanité. Les choses évoluent, certes, mais il faut encore beaucoup de travail.
En plein épanouissement professionnel, vous vous êtes également réjouie d'être mère: vous avez eu une fille, ce qui a eu pour conséquence de ralentir votre vie professionnelle. Vous avez même pensé arrêter toute activité pour pouvoir vous occuper d'elle. Peut-on dire que, malgré tous les sacrifices que les femmes sont capables de faire, il est tout de même difficile pour elles de concilier vie familiale et vie professionnelle?
L'enseignement est une activité qui demande beaucoup d'énergie. On parle au quotidien à un public nombreux qui vous regarde, vous écoute, et il faut transmettre des connaissances. C'est très physique comme activité. Avec une fille qui ne dort pas, c'est difficile. Je ne pouvais plus enseigner, ni écrire. Le médecin a été obligé de me mettre en arrêt maladie jusqu'à ce que je trouve une solution au problème. On arrive de nos jours à concilier une vie professionnelle et une vie familiale, mais cela demande une grande organisation. La société évolue, les pères aussi occupent une place désormais plus importante, le foyer se gère à deux, même si la contribution de la mère reste plus importante.
Vous dites votre admiration pour Mme Aimée Gnali, écrivaine congolaise qui, entre autres, a été aussi ministre: «Elle a eu une grande carrière, elle a eu son bac très jeune». Vous dites avoir toujours eu de l'admiration pour les femmes qui ont fait de longues études et qui ont du caractère. Quel message pouvez-vous adresser aux jeunes filles et aux femmes qui vous liront?
Travailler, travailler, travailler et faire des études. C'est vrai que j'aime les femme qui ont fait de longues études et surtout celles qui arrivent à gérer un poste de responsabilité et une vie de famille épanouie. J'invite les femmes à oser, comme Nathalie Loiseau, directrice de l'ENA et mère de quatre enfants, car «elle peuvent tout avoir».
Des projets en vue?
Oui, terminer et soutenir mon mémoire d'Habilitation à diriger les recherches; cela me permettra de diriger les thèses en Sciences de l'information et de la Communication; continuer à favoriser les partenariats entre la France et le Congo dans le domaine de l'éducation; enseigner et faire de la recherche scientifique en France et au Congo. Et pendant mes loisirs, continuer à voyager, à aller à la découverte de l'autre qui est «notre autre nous».
Propos recueillis
par Liss Kihindou